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Full text of "Saynètes et monologues"

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SAYNÈTES 



BT 



MONOLOGUES 



T&OISIEMB SERISl 



F. AURBAU. — IMP. DE LâONT. 



NOUVELLE EDITION 



SAYNÈTES 

ET 

MONOLOGUES 



C. ALLABY, P. ABÈHB, P. BILHAUD, 

AUTIH, 1. CLABKTIB, CH. CB03, L. DÉPBET, L. FOBA: 

GEOBGES D'HBILLI, E. LABICHE, 

J. SE HABTHOLD, I. NOBHAHD, QUATBELLES, 

CH. DE SIVBY, B. TBRGOHSIK, 

M. Dl TILLARD, VILLIEB3 DE L'ISLB-ADAM. 



TROISIEME SÉRIE 



PARIS 

TRESSE, ÉDITEUR 

«ALERIS DU THEATRE-FRANÇAIS 

VAK.AflH-nOTAL 



LE CAPITALISTE 



MONOLOGUE 



PAR 



M. CHARLES GROS 



m* 



PERSONNAGE 



;« <:Àr<fAUST8. •••.•• M. C0i)U8LIll^ABIT. 



LE CAPITALISTE 



04 Coquelin-Cadet. 



(Ed liomiiis pressé.) 

Je snis très-enouyé. Je viens vons demander nn conseil; 
et doonez-le moi très-vite parce que j'ai placé la pins grande 
partie de mes capitaux, c'est vrai, mais j*ai encore une 
somme de deux millions cinq cent mille francs, sans compter 
les intérêts qui courent, qui courent, qui courentpendant que 
je vous parle et qui ne sont pas payés, à raison de 6 pour 
cent (on place à 7, même 8 dans le commerce) ; mais je 
ne suis pas exigeant, je me contenterai de 5, seulement 
en placements sûrs. Je ne fais que ceux-là. — J'aimerais 
mieux perdre sur un placement sûr que gagner sur un 
placement aléatoire. 

Vous croyez que c'est amusant d'être capitaliste. C'est vrai, 
quelquefois c'est amusant, mais il faut qu'on n'ait pas un 
instant à soi ! ! il faut que tous vos capitaux soient engagés, 
— Et c'est difficile I On n'en veut pas du capita' ; personne 
ne vent d'argent; alors votre argent dort et vous ne dormez 
pas ! — Une dinde rôtie peut attendre; une fiancée (sans 
comparaison) peut attendre devant Tautel ; une mère (sans 
comparaison encore) peut attendre son fils qui ne revient 
pas de la guerre, elle peut attendre ; l'argent seul n'attend 
pas! 



4 LE CAPITALISTE'. 

Et j'ai ces deux millions cinq cent mille francs qui n'ont 
rien rapporté depuis le temps que^^e vous parle. Donnez- 
moi donc vite un conseil, mais ub conseil sérieux. 

On m'a proposé de la rente sur TEtat. Sur l'Etat! On dit 
sur une table ; on dit : sur le parquet, on sait ce qu'on veut 
dire; — mais sur l'Etat, qu'est-ce que c'est que ça? C'est une 
abstraction^ personne ne s'appelle l'Etat. — C'est de la mé- 
taphysique, l'Etat. — C'est pas pratique. Une révolution; 
qu'est-ce qui reste ? 

Le commerce, les bateaux, les vaisseaux! — C'est sur la 
mer,— sur Teau ; ça danse sur l'eau ! La mer, qu'est-ce que 
c'est que ça la mer? C'est de l'eau qui remue, c'est jamais la 
même eau ! Et puis, il y a les bateaux qui vont sur cette eau 
— qui n'est jamais la même! Ils s'en vont : ils sont gros d'a- 
bord quand on les voit de près, ces bateaux, On se dit : c'est 
un bon, c'est un gros placement ! Et puis ils s'en vont; un 
petit point qui se perd à l'horizon. Qu'est-ce qui reste? Pas 
sérieux. 

Le;s chemins de fer? Mon Dieu, vous voyez comme une 
allée sablée où il y a des rails, où il y a quatre rails générale- 
ment. C'est solide, les rails, c'est du fer, c'est vrai; mais il 
n'y en a pas beaucoup de fer; — et puis il y a aussi les 
gares, mais c'est construit en bois, en fonte, c'est de la ca- 
melotte. Maintenant vous me direz les trains, les wagons, 
les locomotives, le matériel... mais oui, c'est gentil à voir 
comme ça, de près. Je ne nie pas que ça ait de la valeur ; 
il y a encore du fer ; des bouillottes pour se chauffer les 
pieds, c'est solide, (et encore il n'y en a pas dans les troi« 
sièmes, des bouillottes). 

On se dit : l'argent est bien placé là-dessus. Mais le train 
part sur ces sacrés rails de fer. Un point noir à l'horizon 
encore. Qu'est-ce qui reste? La fumée? C'est pas sérieux, 
c'est pas un placement. 

Acheter des maisons, des terrains des champs? Parce que 
ça reste ? mais les propriétaires de ces immeubleSi pourquoi 



LE CAPITALISTE. 5 

lesvendent^ils? Si c'est bon, pourquoi ne les garoenins pas? 
Donc, c'est mauvais, pas sérieux! 

Les télégraphes ? Des fils dans la campagne ou bien des 
câbles sous-marins. — Les fils ? C'est exposé aux ordures 
des oiseaux; ça rouille, ça ronge le fer. — Et puis qu'est-ce 
qui passe dans les fils? l'électricité T Ga se vend-il au 
kilo ? Non, c'est comme l'État; encore de la métaphysique! 
•» Les câbles? — Il y a un tas de moules et d'huîtres qui 
s'incrustent là-dessus. Ça n'a l'air de rien, tout ça, ça ronge 
le câble. Et les poissons? Les requins, les cachalots, les 
baleines? S'ils mangent le câble, irez- vous le leur chercher 
dans l'estomac? ou bien leur réclamer des dommages et in- 
térêts? C'est pas un placement, c'est pas sérieux l 

On m'a conseillé de monter une écurie de courses. 
Ëh bien ! vous avez un cheval, il est coté à 20 contre 1, 
vous vous dites : c il peut se casser une patte ». Vous vous 
engagez contre. On l'oblige à courir. 11 gagne La course, et 
vous perdez tout votre argent. — C'est du jeu. C'est du pari. 
On pourrait peut-être avec un boni convenable réparti aux 
jockeys, on pourrait faire des affaires positives. Et si les 
jockeys ne veulent pas? Vous êtes flambé. Je sais bien, ça ' 
m'est arrivé. On croit l'affaire faite : tous les chevaux par*, 
tent ; les jockeys, les rouges, les verts, les bleus en pin- 
cettes sur leurs étriers passent devant vous comme la 
foudre. Il y a des poteaux, on vous dit qui est arrivé pre- 
mier, second. Je veux bien le croire, mais enfin, on peut se 
tromper, un cheval ressemble tellement à un autre cheval I 
Qui a gagné? Ils rentrent à l'écurie et qu'est-ce qui reste 1 
Mauvais placement. 

Los rivières? les canaux? le touage? les écluses/ Tout ça, 
c'est de l'eau, ça coule sous les ponts, ça ne revient jamais. 

On m'a parlé d'une affaire, mon Dieu l pas bien impor- 
tante, les boues de Paris I Vous savez ce qu'on appelle la 
gadoue, qu'on ramasse comme ça. (coap de ba]ai.) D'abord il n'y 
en pas, il n'y en a pas de boue à Paris. C'est pas une affaire, 
parce que ça s'évapore dans les tombereaux... et puis, les 



6 L8 CAPITALISTB. 

balayeurs ne sont pas aurveUlés« ils en mettent la moitié 
dans leurs poches. 

Les mines? De grands trou» dans la terre; oit tout est 
noir, impossible dy rien comprendre! — Les oayriers 
descendent là dedans, ils se perdent dans toutes les direc- 
tions, à 300, à 600 mètres de profondeur, allez donc les 
chercher ; ils y mangent les trods quarts de l'argent avec 
des femmes ; ils remontent et tous disent que c'est le grisou! 
Qu'est-ce qui reste ?C6st pas sérieux, c*estpas on place- 
ment. 

Non, au fond, je von» demande conseil, c'est pour la 
forme •— parce que j*ai trouvé une excellente affaire ; mais 
positive I (soioBiMi.) C'est l'exploitation des masses pierreuses 
qui sillonnent, qui jonchent la rive gauche de i'Ténisséi. 
Qu'est-ce que c'est que ça l'Yénisséi. — L'Yénisséi? 
Eh I mon Dieu, c'est une rivière, un fleuve même, oui. 
Mais pas un fleuve comme les autres, (vous savez l'eau qui 
coule tout la temps?) non, non. C'est comme ça (cno ligne 

borizonua» vne U main.) Ça UO COUlO paS, Ça UO bOUgO paS, 

c'est gelé toute l'année 1 Et gelé 1 1 1 Je le sais bien, j'ai été 
le voir moi-même, j'ai dépensé 25,000 francs de voyage : 
je ne regarde pas à dépenser mon argent quand il s'agit de 
le placer. 

J'ai été voir cette rivière étonnante qui ne perd pas une 
goutte d'eau, —j'ai touché ces masses pierreuses (j'ai même 
eu deux doigts et le nez gelés.) Figurez-vous des grosses pier- 
res, vous cognez dessus, on sent que c'est solide. C'est 
énorme, énorme l Vous voudriez les emporter, c'est impossi 
ble — à cause de cette masse immense, et puis d'ailleurs, 
il n'y a personne dans le pays. Ce seraient des sacs d'argent, 
on ne les emporterait pas. Il n'y a personne, absolument 
personne. Tout le pays est complètement blanc sans une 
habitation. Il y a des ours, mais Ils meurent de faim ; — 
qui manger? Il n'y a rigoureusement personne! Songez que 
ces masses pierreuses resteront là éternellement 1 Dans 
cent ans, dans deux cents ansi ce sera la même chose, ce 



LE CAPITALISTE. 7 

seront les mêmes masses pierreuses 1 sur la même rivegaa- 
che de l'Ténisséi I le même fleuve avec la môme glace qui 
n'aura pas bougé depais ce temps-là! C'est admirable! 
Or, nn capital qu'on ne déplace pas pendant cent ans, 
pendant deux cents ans, môme à un intérêt d'un taux extrê- 
mement modeste, s'accroît et fructifie au delà de toute limite. 

— Je viens de placer cinquante millions dans cette affaire-là 

— et en vous parlant, je m^aperçois que décidément ces 2 
millions 500 mille francs qui me restent ne seront bien pla- 
cés que là I — Vous m'avez écouté, vous n'avez rien dit, 
vous m'avez fait perdre mon temps, (le temps, c'est de l'ar- 
gent) vous me coûtez peut-être 500,000 francs d'intérêts 
qui ne courent pas, les intérêts, faut que ça coure. C'est moi 
qui cours placer mes 2 millions 500,000 francs sur les masses 
pierreuses. C'est plus sérieux que vous. — Yous ne compre- 
nez pas ça ? Je n'ai qu'un regret, c'est d'être venu, je me 
ruine ici et je m'en vais. Les intérêts courent... je les entends 
courir, je me ruin^ ici, je m'en vais, je ne vous salue pas! 

Il tort outré. 



FIN DU CAPITALISTE. 



1 



INFANTERIE ET CAVALERIE 



FaR 



M. EUGÈNE YERCONSIN 



Ht. I . 



PERSONNAGES 



SIMON) ÎDTalide. (Grande taille. — Capote d'uDiform», easqnette de doni- 

tenoe, l*rgM laoettec, nei d'argent, ad libitum.) 
M AT H lA S, ia valide. (Petite taille. — Balafre à la jooa. — Ghapeaa de grands 

tenue, habit idem.) 



La MèM se pMie 4 Paris, chea Sônoa, an ISVft. 



INFANTERIE ET CAVALERIE 



T«bU inr hfiwito Mt iu p«l d» Sbiih^ «b etMiM. d'w»-4«-vM^ deu fttàiM TtrrM 
et M .qa'U laat pour éeriro. — Deux ehaisM de paîUis. •>• TaUtuz de ^f^fUftT 
aux mon. 



SCÈNE PREMIÈRE 

"SIMONy w^ à la eutoMdtk 

Adieu, Marie. 

UNB TOOt DB JBUNB FILLB, m deimn. 

A ce soir, grand-père. 

La Toix f'éloigne. 
SIMON, an publie. 

C'est ma petite fille, messiears, c'est tonte ma famille, 
depuis que j'ai perda non pauvre fils... Chère petite Marie I 
Elle n'a pas seise ans» el travaille déjà comme une femme.. 
Elle dit qu'elle veut à son tour aider son grand-papa, qui a ^ 
pu rélever, grâce à la pension de sa croix et à sa retraite. 
Elle vase promener avec lui le dimanche; elle le soigne et 
lui lait de la tisane quand il est malade, le gâte en tout 
temps... (soQriaat.) et lui donne des flenrs le jour de sa fôtel 

(U Ta respirer le roiier t>oeé rar sa table.) Comme Ça SCUt bOU leS fleurS 

données par nos enfants! Ça embaume le cœur, quoi! 

(Ob fnvpa à la porte.) Qui Va là? 

Entre Mathias, tenant croelaue eboce de eacbé ■ooa mu monchoir. 



12 INFANTERIE ET GAYALERIB 

SCÈNE IV 

SIMON, MATHIAS. 

MATHIAS. 

Gonjoar, Simon. 

SIMON. 

MathiasI... Bonjour, mon vieux Mathias... Ciomment vont 
les rhumatismes?... 

MATHIAS. 

Heu I heu 1 Nous aurons delà pluie demain. (souieTant son bru 

gaache avec lenteur.) Ce brdS-là pèsO CeUt UvrOS. 

SIMON. 

Tiens! j'aurais parié que nous aurions du beau temps ; ma 
jambe droite est aussi gaillarde que sa sœur. 

MATHIAS. 

Tu ne souffres jamais comme tout le monde, toi. 

SIMON. 

Mauvaise langue 1... Qu'est-ce que tu caches là^i^ 

MATHIAS. 

Eh bien! n'est-ce pas aujourd'huila Saint-Simon?... C'est 
aujourd'hui la Saint-Simon, et je t'apporte mon cadeau. 

SIMON, éma. 

Brave Mathias!... (Regardant le cadeaa.) Une tabatière 1 

liATHIAS. 

Avec le portrait du grand homme. Est-il assez ressembla 
hein ! 

SIMON. 

Etonnant. Tu Tas donc vu de près, toi? moi je n'ai jamais 
eu cette chance-là. 



INFANTERIE ET CAVALERIE 13 

MATHIAS. 

Moi non plus... Quand je dis qu'il est ressemblant, je dis 
qu'il ressemble... à ses portraits. 

SIMON. 

Oh! pour ça, il est frappant. 

MATHIAS. 

Javais d'abord pensé à t'apporter nn nez d'argent, mais 
tu m'as dit, l'autre jour, que le tien était encore en bon état. 

SIMON, secouant le bout de 100 nei «vee ion doigt. 

Oh oui! il me fera bien encore la fin de Tannée... Brave 
Mathias, va, de penser comme ça à son vieux camarade! 

MATHIAS. 

C'te bêtise I Toi et ta petite Marie, n'ôtes-vous pas mes 
seuls amis à présent?... A qui diable veux-tu que je pense, 
si ce n'est à vous?... D'abord, quand je ne le voudrais pas, 
je pense à toi tous les deux jours... 

SIMON. 

Qu'est-ce qu'il chante? 

MATHIAS. 

Mes jours de barbe. Chaque fols que je me rase, je me re- 
garde dans le miroir; chaque fois que je me regarde dans 
le miroir, je revois ma balafre ; chaque fois que je revois 
ma balafre, je repense à la bataille d'Eylau; et chaque fois 
que je repense à la bataille d'Eylau, je repense à toi, puisque 
c'est là que nous fîmes connaissance. 

8IM0N. 

Et dans des circonstances majeures, comme on dit : mon 
petit Mathias avait affaire, pour le quart d'heure, à deux 
géants de Cosaques qui* ne voulaient pas lui livrer leur dra- 
peau. Il ne leur demandait que ça, le gourmand. 



14 INFANTERIE ET GàTâLSRIB 

MATHIAS. 

Le plas méchant m'avait déjà allongé Testaûladâ en qnes* 
tion, que je lui avais rendue ave<i les intérêts... 

SIMON. 

Et Tautre grand mâtin allait venger son camarade.^. 

MATHIÂS. 

Quand un cuirassier de la garde tombe au milieu de nous 
et m'enlève dans le tas. — Je tenais toujours fe drapeau 
russe, — mon adversaire ne lâchait pas de son côté.. . 

SDfON. 

Si bien que j'emporte la grappe vivante au galop de mon 
cheval. 

MATHIAS. 

Et le moment d'après, mon brave Simon présentait à Mu- 
rat en personne un camarade sauvé, un prisonnier russe et 
un drapeau enlevé à Tennemi. — Qui qu'a pris le drapeau? 
s'écrie Murât, en secouant son panache de corbillard. — 
C'est Simon, que je réponds. — C'est Mathias, que tu ré- 
pliques... Tu as toujours eu l'esprit contrariant, toi. 

SIMON. 

Et Murât nous décore tous les deux. 

MATHIAS. 

Dn rude temps, Simon, mais un beau temps! 

SIMON. 

Nous allons boire à ce temps-là, camarade l 

Il Ta chercher ma boateilU «rasn-daHri* tt des petili ven»» 
MATHIAS, aperceTant la pat de fleurs sur la table. 

Tiens l depuis quand que t'as des jardins dans ta maison» 
loi? 

SDi(Mf> aTaejoie. 

C'e&l le cadeau de ma petite- fille... Elle a aussi pensé à 



INFANTERIE ET CAVALERIE 15 

ina fête. Et elle n'a pas senlement songé à l'agréable, mais 
encore à l'utile.»., ^tUe durci, comme disait mon capitaine. 
Elle m'a donné une douzaine de moudioirs marqués ï mon 

nom. (n tk« u wncnAtm d» oMriavr à» m pwik* «t •» Boadie.) 

KATHIAS, attendri. 

Gomme c't enfant-ià comprend les besoins du cœur hu- 
maini... Et comme c'est ourlé l... Est-ce ourlél Veux-tu que 
je te dise : eh bienl le jour de sa fôte, moi je lui donnerai 
un châle» à ta petite Marie. 

Tous deaz •'«•Moient à la tabla. 
SUCON* 

Brave Matbîasl Mais ne ya pas faire de folies an moins. 

MATHIAS. 

Des folles! eh bien! quand je ferais des folies pour notre 
petite-fille, je voudrais bien savoir qui m'en empêcherait... 
Je suis riche, d'ailleurs, puisque j'ai cinq cents francs de 
rente, outre ma pension... Ça me rappelle que pas plus tard 
qu'hier, j'ai été toucher mon revenu chez mon notaire... 
Car j'ai un notaire, moi! 

SIMON. 

Eh bienl moi aussi» j'ai un notaire. Seulement toi, t'es le 
client du tien ; moi, je suis petit clerc chez le mien, voilà 
toute la différence. 

MATHIAS. 

Voilà !... Je te disais donc qu'hier je sortais de chez mon 
notaire, le gousset garni... Bah! que je me dis, je m'en vais 
me régaler. Et je m'en vais dîner au Palais-Royal..., à trente- 
deux sous. 

SIMON. 

Sardanaple, va ! 

MATHIAS. 

Le fait est que c'était splendide..., de lumière surtout. On 



46 INFANTERIE ET CAVALERIE 

voit bien clair pour quinze sous; on mange pour le reste.. • 
Eh bien oui, mais en sortant de là, y'ià qu'il me prend un 
remords. ^ Comment, vieil égoïste, que je me disais, tu 
fais comme Qa des débauches tout seuil c'est vilain, ça!... 
Le fait est que c'était vilain... Et je me bougonnais en des- 
cendant la rue du Bouloy, quand j'aperçois, auprès d'un 
épicier, trois petits ramoneurs en contemplation devant un 
tonneau de figues sèches... — Paraît qu'on aime les figues? 
que je dis comme ça, sans avoir l'air. — Ahl ouf, monchieur 
l'invalide, répond le plus petit de la bande. — Eh bien! em- 
plissez vos poches, mes enfants..., et que ça déborde... Ils 
ne se le font pas dire deux fois... Je les aide moi-même au 
dégât, — je prenais de la main droite, pendant que je 
payais de la main gauche.... sans compter. 

SUION. 

C'est juste, puisqu'il est écrit que la main gauche ne doit 
pas savoir ce que donne la Inain droite. 

I^ remplit les Terres. 
MATHUS. 

Ahl répicier a compté, lui; c'était son affaire à c't 
homme!. . Eh bien! tu me croiras si tu voudras, mais il 
fallait ces figues-là pour faire passer mon dîner... Et je 
m'en suis été fier comme un préfet en tournée. Seulement, 
en rentrant chez moi, — j'avais plus le sou. 

SIMON. 

Tu te ruineras, prodigue !... à ta santé !... 

UATHIAS. 

À la tienne, mon vieux. (lu boirent) Gentille eau-de-vie que 
tu as là. 

SIMON. 

C'est un cadeau de mon ex-capitaine... A sa mémoire! 
(ils trinquent et boivent.) Ou uo boit co uanau-là qu'avoc dos amis, 
des lapins qui ont vu le soleil d'Austerlitz... Yoilà un beau 
jour* 



INFANTERIE ET CAVALERIE 17 

KATHIASy on p«a knoé. 

Et une belle bataille!... Je m*y vois encore... Notre corps 
d'armée s'avançait sur la gauche de Tarraée russe. 

n fait le pUn de la bataille arec ta eanne* 
SnfON. 

Non, sur la droite. 

HATHIAS. 

Sur la gauche. 

sniON. 

Sur la droite, je le sais bien, puisque J*ai été blessé ce 
jour-là. 

MATHIAS. 

Ostiné, va! 

sniON. 
Mauvaise lôte! 

MATHIAS. 

Tiens! veux-tu que je dise pourquoi tu confonds les posi- 
tions, c*est parce que t'es gaucher. Un gaucher se trompe 
toujours de côté, c'est son droit. 

snfON. 

Allons! bon I le voilà parti. Pour cinq ou six petits verres... 
Mon Dieu! comme t'as la tête faible 1 

MATHIAS. 

Vlà qu'il confond encore! Mais c'est toi, mon pauvre 
Simon, qu'un petit verre étourdit. C'est vrai! les femmes t'ont 
toujours reproché de ne pouvoir supporter un verre de vin... 
Elles disaient : — Simon est un joli cavalier... Et de fait, tu 
étais un joli... Dame! maintenant tu n'es plus..., mais au- 
trefois tu étais... un joli cavalier... Seulement les femmes te 
reprochaient... 

SIMON, lancé à ion tonr. 

Qu'est-ce qu'il dit? Qu'est-ce qu'il dit?... Les femmes 



18 INFANTERIE ET CAVALERIE 

m'ont toujours adoré, au contraire!... En ai-je fait des mal» 
heureuses, en 1810! 

MATHIAS» 

Nous étions jeunes alors! 

SIMON. 

Je n'avais pas vingt-cinq ans. 

MATHIAS. 

En 1810? Tu n'as donc pas tes petits anatre vincft-dix 
ans. 

SIMON. 

Je les aurai aux vendanges. 

MATHIAS. 

Gamin, va! moi je les ai eus à la Trinité. Mais les femmes 
me disent généralement que je ne les porte pas. 

SIMON. 

Ah 1 c'est que de notre temps on savait faire des hommes. 

MATHIAS. 

On n'en fait plus comme nous. 

SIMON. 

G*est défendu... Te souviens-tu de certaine garnison à 
Dresde en Saxe? 

MATHUS. 

Parbleu! je sais bien que ça n'est pas en Picardie... Pour 
quoi dis- tu Dresde en Saxe? 

SIMON. 

Je dis Dresde en Saxe..., parce qu'on dit Dresde en Saxe... 
dans la société. Te rappelles-tu Charlotte? 

MATHIAS, cherchant. 

Si je me rappelle Char... Ah non! je ne me rappelle pas 
du tout. 



INFANTERIE ET CAVALERIE 19 

SIMON. 

La beil» Chariotte de Dresde... qui avait des yeu grands 

comme. •• (Après «voir ehenAé «ntoup 4e lui on tMin* ds «wparaiaott, il inâiqM 
le large erele de lee Inaettes.) COffimO Ça. 

MÀTHIÂ5, 18 ravisant. 

J'y suis. . . (ATee anffisanee') J'y SUIS 1 Bt dos maîDS mignonoes... 

(il regarde tour à tour lea BMiai de Simon et lei siennef.) PlttS mignODDeS 

que ça, par exemple... Si je m'en souviens! Ahl je l'ai bien' 
aimée cette femme-là I Elle me le readait, du reste* 

SIMON. 

Qu'est-ce qu'il dit encore? 

MATmAS. 

Je dis : Ahl je Fai bien aimée cette femme-là I 

SIMON. 

Il bat la campagne!... Gomme tu baisses, mon pauvre 
MathiasI... C'est moi qu'elle adorait, à preuve que je devais 
répouser, sitôt l'Europe conquise. 

MATHIAS. 

Toil 

SIMON. 

Parbleu I 

MATHIAS, piqné. 

Toil... Comme si ce n'était pas moi qui allais pas tous les 
matins dans la rue aux Juifs, où elle habitait. Dis un peu 
que je n'allais pas tous les matins dans la rue aux Juifs où 
elle habitait. 

SIMON, de même. » 

Mon Dieu I je ne dis pas que tu n'allais pas tous les matins 
dans la rue aux Juifs où elle habitait.... mais c'était pour 
me faire la courte échelle pendant que je lui jetais des bou- 
quets par sa fenêtre. (Se levant et chancelant, areo un geste de triomphe.) 

Car je lui jetais des fenêtres par ses bouquets... non... 



( 



20 INFANTERIE ET CAVALERIE 

MATHIAS. 

Bon! il embrouille maintenant la fenôtreet les bouquets... 
Voyons, Simon! du sang-froid, mon ami!... Tu sais bien que 
c'est moi qui menais Charlotte, tous les lundis, au bal. 

SIMON. 

Mais non, puisque c'est moi qui la conduisais tous les di- 
manches, à la comédie... Que diable! Raisonnons, Mathias! 

MATHIAS. 

C'est ça, raisonnons. 

Us boÎTtnt de plai en plot. 
SIMON. 

Et suis bien mon raisonnement : Les femmes n'aiment 
que les beaux hommes, n'est-ce pas? 

MATHIAS. 

Eh bien? 

SIMON, arec dédain. 

Eh bien! tu n'as jamais été un bel homme, toi. 

MATHIAS, 

Je n*ai jamais été bel homme, bel homme, c'est possible; 
mais j'avais mes agréments. D'abord les femmes m'ont tou 
jours trouvé... de la conversation. 

SIMON. 

Des bétisesl... Les femmes n'ont jamais aimé des pousse- 
cailloux de fantassins comme toi. 

MATHIAS, se fâchant. 

Pousse-cailloux! Mais c'est avec ces pousse-cailloux-là 
que Napoléon a fait le tour de l'Europe, et sans passe-port, 
mon vieux. S'il n'avait eu, pour lui frayer son chemin, que 
des poulets d'Inde comme vous autres, il n'aurait seulement 
pas dépassé Vaugirard!... Pousse-cailloux! 

-> SIMON, blessé an eœnr. 

Ta offenses mon arme, sargent. 



INFANTERIE ET CAVALERIE ^^ 

MATHIAS. 

Je lui rends justice, maréchal des logis I et je dis que la 
cavalerie n'est bonne... qu'à monter à cheyal. La vraie 
force de la France, c'est Pinfanteriel (Barut «t erUnt.) Vive 
l'infanterie I 

SIMON, bsTant «t «ffkat 

Vive la cavalerie! 

HATHIAS. 

La cavalerie ! mais a-t-elle seulement remporté une ba- 
taille, la cavalerie? a-t-elle jamais pris une ville d'assaut, 
la cavalerie? 

SIMON, U mtm sur md labre. 

Ab mais! ah maisl tu me manques, Mathias. 

MATHIAS, de même. 

Je te touche, au contraire, et'juste..., puisque vous vous 
fâchez. 

SIMON. 

Sache, mon petit tourlourou, qu'un cavalier vaut deux 
fantassins, c'est connu ça; c'est dans tous les livres I 

MATHIAS. 

A preuve que j'ai fait descendre la garde un jour à deux 
hussards autrichiens qui me barraient le passage. 

SIMON. 

Je te parle des cavaliers français, imbécile! 

MATHIAS. 

C'aurait été des cavaliers français imbéciles, que c'aurait 
été absolument la même chose. 

SIMON. 

J'en connais un qui rabattrait ta crânerié, sargent. 

MATHIAS. 

Je voudrais bien voir cela, maréchal des logis. 



22 INFANTERIE ET CJLTALERIE 

SIMON, 

Ça ne sera pas tong... (iitir6ioii«bre.) En garde, mon petit 
voltigeor. 

MÂTHIÀS. 
En garde, mon grand cuirassier! (U essaie Tùnement de tirer son 

•abre.) Gré III Aido-moi donc à tirer mon sabre... Il est rouillé 
dans le fourreau. 

SIMON, roidant à dégainer. 

. Prends garde de lui ressembler. 

Ils fe mettent en garde. 
MATHIAS. 

Nous verrons bien 1 (ns ferraillent. Tout à oonp Mathiaa rompt la garde 

«t se frappe le front.) Tonnorre ! sommes-nous bétesl 

SIMON. 

Tu recules? 

MATHIAS. 

Non pas, morbleu I mais nous ne sommes pas des vaga< 
bonds pour nous battre ainsi sans faire nos testaments. 
Donne-moi de l'encre et du papier. 

SIMON* 

C'est juste. En voilà. 

MATHIAS, de m«me. 
Merci, (ns s'asseoient ohaean de lear c6té et écriTent.) écrlVOUS. 

SIMON. 

Ecrivons. 

MATHIAS. 

As-tu fini, tête de mule? 

SIMON. 

Oui, tête de baudet. 

Ilfl poaent lenri testaments sur la table. 
MATHIAS. 

Eh bienl reprenons la conversation. (lu se remettent en gw^ 



INFANTERIE ET GAVàLEElE 23 

Simon fait de ▼aini efforts pou plier le jarret.) Oh 1 Oh 1 tU n'aS plUS tOD 

jarret de vingt ans, mon camarade. 

Mathias ports un coup dana le vide. Ba ferraillant ik tonnitat et chaDgent de 
côté. 

SIMON. 

Ta vue baisse, mon vieux! tu veux tuer les mouches, 
comme si nous n'étions pas en hiver, (se frappant le front à ion 

tour et rompant brasqnement la garde.) ÂllOUS, bOUl j'ai OUbiié de Si- 

gner mon testament. 

MATHIAS. 

Tiens! moi aussi! 

lia reprennent les testamenta déposés snr la table en se trompant de eété. 

SIMON) lisant areo poine. 

Qu'est-ce que j'ai griffonné là? 

MATHIAS, de mémo. 

Mais ça n'est pas mon écriture I 

SIMON, déchiffrant le testament de Mathias. 

« Si je meurs je donne toute ma fortune... à mon vieil 
» ami Simon et à sa petite-ûlle... » 

MATHIAS, lisant le testament de Simon. 

« Si je succombe, je lègue ma petite-âlle à mon vieil ami 
» Mathias... » (smn et dégrisé.) Il iho lègue sa petite-fille t 

SIMON, de même. * 

Gomme ça, si je l'avais tué, il me laissait son bien... 

MATHIAS, pleurant. 

Si je l'avais descendu, il me léguait sa petite Marie I Ahl 
c'est gentil, ça... Brâve Simon, va! 

SIMON, de même. 

Brave Mathias! (une panse et des sanglots.) Daus mes bras, mon 

ami, dans mes bras I (lU se jettent dans les bras l'an de l'antre et pleurent 
eosemble. — Se monehant.) VoyOUSl nO plOUTO dOUC paS COmme Ça, 

sargent > 



24 INFANTERIE ET CAYALERIB 

MATHIAS. 

C'est plus fort qae moi, maréchal des logis!... Quand j> 
pense que nous allions peat-être... Faut avouer que je suis 
un fier animal. 

SIMON, de même. 

C'est moi qui suis une bote brute... D*abord/je te taquine 
toujours..., et ponr.des bêtises encore... 

MATHIAS, vivement. 

Mais non! puisque c'est moi qui!... Au fait, maintenant 
que je me rappelle, c'était bien toi que Charlotte aimait. 

SIMON. 

Non! à présent je me souviens, c'est toi qu'elle préférait. 

MATHIAS, avee impatieneo. 

Je te dis que non! 

SIMON, avee colère. 

Je to dis que sil 

MATHIAS. 

Je te dis... 

SIMON. 

Eh bien! allons-nous recommencer? 

Ils se regardent et se mettent à rire. 
MATHIAS, confidentiellement. 

Tiens! veux-tu que je te dise? Charlotte ne nous aimait 
ni Tun ni l'autre. 

SIMON. 

 moins qu'elle ne nous ait préférés tous les deux. 

Cliant de jenne fille dans la eoullsse. 
MATHIAS. 

Silence, mauvais sujet! voici ta petite Marie. 



Pllf D*INrAHTEaiB KT GAVALERIB 



LE CLOWN 



PAR 



M"» NINA DE VILLARD 



III. 



PERSONNAGE 



LB GLOWll*«.«.«.«<..r«««^^#>... H. COQUELIN-CADBT 



LE CLOWN 



aâ Coquelin-Cadet. 



Mon cirque fait roiâche, et j'en profite, amis. 
Me trouvant oe soir libre er corroetement mis. 
Pour vous dire en (feux mots ma singulière histoire. 
J'ai commencé mes tours au bord d'un écritoire, 
Ah ! dame, vous savez, on commence où Ton peut; 
J*ai fait beaucoup de^vws dont on se souyient peu, 
J'ai célébré i'étfaer, rooéan, la mouette, 
La forêt, rarc-en^ciei, l'amour : j'étais poëtel 
Vous aurez feuilleté mes- livres sur les quais, 
Ils sont tous entassés sur le quai Malaquais; 
J'ai rêvé des sonuiiet& ailiers, 4es aères cimes • 
Qu'on peut escalader sur les ailes des rimes, 
De ma jeunesse en fleur tel fût le clair matin. 



Mais la vie est un rink.où.sûuvont le patin 

Nous emporte bian loin du but : erreur fatale! 

J'ai traîné Thabit noir du solliciteur pâle 

Qui cachi. un manuscrit lourd, j'ai connu Ihorreur 

De l'antichambre où Ton attend qu'un directeur 

Ait fini de causer avec des ingénues. 

J'ai vu naître et mourir bien des jeunes revues» 



28 LE CLOWN 

Et j'ai noctambule triste» hagard, crotté. 

Vêtu pendant Thiver de jaquettes d'été, 

Et d'uisters poussiéreux pendant la canicule. 

Mais un jour, lassé d'être un martyr ridicule, 

Pour dompter le public il faut, me suis -je dit, 

Employer quelque truc aussi fort qu'inédit. 

Alors j'ai dédaigné les ornières connues, 

Que suivaient les anciens pour aller jusqu'aux nues; 

Et, pour mieux m'écarter des vulgaires chemins, 

A la postérité j'ai marché sur les mains. 



Je suis le clown moderne et froid, ma jambe maigre, 
Gomme un piment confit longtemps dans du vinaigre, 
A d'étranges zigzags où le songeur se plait; 
Je sais poser mon front pensif sur mon mollet, 
En faisant de petits bonjours de ma bottine 
A la brune ambrée, aux senteurs de veloutine, 
Qui profile son galbe aimable aux promenoirs. 
Je vois s'illuminer les yeux verts, bleus ou noirs. 
Quand, au son du hautbois, de mon orteil senestre . 
Je mouche élégamment le nez du chef d'orchestre. 
Je porte une perruque écarlate, un maillot 
Tout zébré de dessins fantasques, dernier mot 
Des gommeux du tremplin; mon sourcil circonflexe 
Abrite mon regard qui trouble l'autre sexe. 
Je suis le roi des désossés ; comble de Tart, 
Je rase une table en faisant le grand écart. 
Gomme un rameur véloce en une périssoire, 
J'improvise des pas sur une balançoire; 
Les applaudissements gantés me sont acquis, 
Quand je jongle avec les couteaux, d'un air exquis. 
Brillant d'une gaité féroce et japonaise, 
Tantôt guépard, tantôt boa, toujours à l'aise. 
Je sai& bondir, ramper, m'aplatir chaque soir 
Et ce qui sert aux autres hommes à s'asseoir 



LE CLOWN 29 

Me sert à moi, le clown rôveur, de mandoline, 
Pour ma chanson sans mots, sans notes, mais câline. 
C'est alors que je plane — et je reprends mon rang 
De descendant direct da père orang-outang. 



D'être son petit-fils je sens si peu la honte 

Que vers ce grand aïeul fièrement je remonte. 

Loin de répudier sa haute parenté, 

Je le prends pour modèle, et c'est ma vanité. 

Qu'on dise quand, rasé, ganté de frais, le linge 

Eclatant de hlancheur, je parais : « Tiens, un singe I » 



FIN DU CLOWN. 



m. t. 






MARQUIS ERNEST 



SAYNËTB 



PAR 



M. LOUIS DÉPRET 



PERSONNAGES 



LE MARQUIS ERNEST (28 un). 
HECTOR, ion TaUt da ehambrt (mâiM ift)» 



LE MARQUIS ERNEST 



Le théâtre représente rentiohAmkre d'imriohe appartement. — An lerer du ridean,' 
Hector assis snr noe banquette de Telonrs, près de la porte de l'appartement, ob~ 
serre aree une irritation eroissante la sonnette qui tinte presqae sans disconti- 
aaer. 



SCÈNE I 

HECTOR, seul. 

Quand cela finira-t-il?... C'est insensé!... Et voilà la mu- 
sique à laquelle je suis condamné depuis une heure... mol... 
moi qui raffole des maîtres nouveaux, et qui ai la tête en- 
core toute vibrante de fraîches mélodies : 

n chante. 

Hél bonjour, monsieur le mari... 
Qa'ayez-TOTis fait de votre femme?,.. 

Il esquisse le reste de l'air. 

En dépit des cabales, le monsieur qui a fait cette chose* 
là, a vraiment une lyre... comme disait ce reporter qui m'a 
été présenté l'autre jour au bal des gens de maison, (oo 
tonne.) Emest ost fou, et pas d'aujourd'hui, exemple : (on 



34 LE MARQUIS ERNEST 

sonne lentement et longnement.) Je C0DtinU6 , exemple : lorsqa^OD 

voit, réanis sous ses yeux, sur une table ronde en chêne 
sculpté... à soi, tous les éléments d'un dîner respectable, sans 
parler de Tlie Bourbon, des Brevas, du Kumel, mes seuls 
amis à moi... (On senieonp impérieoz et Me.) Âh I mais... dh! maisi 
Je continue : quand on a toutes ces choses à portée de la 
main, c'est l'usage des vrais gens du monde de se livrer 
alors aux enlacements du bien-être, et d'envisager l'œuvre 
du créateur à travers toutes sortes de couleurs ravissantes. 
Est-ce le cas d'Ernest? •— Âh bien oui! — mais j'oublie... 
que j'ai oublié de camper mon bonhomme, comme disait ce 
sculpteur qui m'a été présenté l'autre jour à notre bal. 
Qu'est-ce qu'Ernest? Eh bien, ii y en a qui diraient qu'Er- 
nest est mon maître. Va pour mon maître, puisque c'est ainsi 
que cela se prononce. Et pourquoi, mon maître^ s'il vous 
plaît? Tout uniment, parce que lorsqu'il est là, je dois l'appeler 
monsieur. Mais ne vois^tu donc pas, vieille folle de société, 
qu'il s'agit ici d'une simple convention commerciale? Ernest, 
mon semblable... moins la tournure, moins je le ne sais quoi, 
est un homme qui se trouve avoir trop d'argent de poche. 
De cet argent de poche, il me cède une partie, afin que je 
l'appelle monsieur. Je suis l'offre, il est la consommation. 
Lorsqu'il ne consomme pas, farrête son compte, il rede- 
vient Ernest, plus de monsimr. Je ne vois pas du tout 
pourquoi je lui ferais des cadeaux... surtout en son absence. 
Nous dirions àonc qn'Ernest n'a pas d'estomac, il la fait à 
Veau dS Vais, il mdnge ridicolemeat, sans esprit, sans 
distinction, sans soupçonner qu'un autre homme, son .égal, 
a affirmé du génie dans ce salmis de bécasses, (poétiquement.) 
Naguères^ ces mêmes bécasses, ce n'était qu'un objet désa- 
gréable à l'œil que le plomb du chasseur venait d'abattre 

sanglant... sur la grève. (Tintement traînant de U sonnette.) ÂS-tU 

fini! —Je continue : A présent, c'est joyeux, c'est parfumé... 
c^est Parisien. Eh bien, Ernest n'en fait aucun état, pour 
parler comme ce normalien qui a demandé à m'ètfe pré- 
senté à notre bal. C'est l'homme des œufs à la coque, de la 



côtetettô, te ti6Q& jeu, qoÊiil Ifftis toat cela ne ma dit 
pas pourquoi cette vie de nt de Mbitothègue, ces airs ca- 
chés, et depuis trois mois environ cette le&ue de bal ^ 
rhetire du dîner, et uses tTemures mystérienees? Mon Dieu, 
(|Qe cet honime a d^ne ^ la province en hii I Je ne loi con* 
nais pas de dettes, ce qui n'est pas pour le flatter... mais 
enfin il ^ a qnelqne chose, quelcpie chose de nouvean, ^eis 
est certain, quelque chose q«l ne ressemble pas aux vieilles 
médailles, aox vieilles assiettes qni ont seules jusqu'à pré- 
sent occupé son cœur. Mats qnoîT'^JUer il dînait en ville, 
ttatarellement dhez des Fot^au-fêH. Ce gaillard-là n'a rien 
à voir avec te grand*-seize, je vous en réponds... ni même 
i^oe le petit, (iifit «vee«ir«etetioii.) Tenec, voilà de ces mots 
comme il n'en trouvera jamais, loi. J'ai supposé que Ton 
chanterait an dessert, et qtte cela finirait par un joli loto. 
Aussi, me la suis-je brisée, et à minuit et cinq minutes, je 
savourais un puros devant la Maison-Dorée, après avoir as- 
sisté à la première des Variétés. J'ai retrouvé là tout mon 
monde ; c'est bon de se sentir les coudes. J'avais au der- 
nier moment trouvé un excellent coin... adossé contre les 
baignoires de face. Il m'en a même coûté un chapeau, a la 
suite de circonstances... mais passons. En rentrant, je fus 
mandé par Ernest, rentré lui-même avant moi. Je pus crain- 
dre un instant qu'il serait colère, de mauvais goût, qu'il me 
dirait de ces mots... je le trouvai au contraire assez agité 
et l'air malheureux. ^ Mon cher Hector, me dit-il, demain de 
grand matin, et peut-être avant, une personne brune vien- 
dra carillonner ici. (Mimant u Mène.) Moi — Une femme lîl — 
Ernest (Aree embamg.) Uncfcmme... peut-être. — Moi. — Une 
femme l!!^ Ernest. — Tu ne lui ouvriras sous aucune espèce 
de prétexte. (On lonne.) C'est ça... c'est bien ça... je continue. A 
cette prière stupide, j'opposai une objection pleine de. sens: 
— Et, si je n'ouvre pas, comment saurais- je que c'est la pe- 
tite dame brune? ^ C'est très-juste, mon excellent Hector 
comme toujours c'est toi qui es dans le vrai ; Eh bien alor 
n'ouvre à personnCi laisse le monde entier sonner! 



36 LB MARQUIS ERNEST 

(Sonnerie répétée.) Et le monde entier, comme vous Toyez, a l'air 
de profiter de la permission. Cependant, je languis à sentir 
de si près Todeor d'un bon gros secret, sans y pouvoir don- 
ner un coup de dent. Et dire que derrière cette porte, der- 
rière cette misérable planche de bois, palpite un être gra- 
cieux, SenSitif... une femme. (OnKttne,UMrappro«hedekporte.) 

Hum ! la fine odeur! On n'aurait qu'à faire comme cela : 
crie! crac! Et Ton serait en face de son idéal I (S'edrenaot à u 

•onnettequi recommence.) Tu SaîS... tOi... UC me tOUtC paS. (Collant 

ion oreille à le porte.) Raisounous ; pout-ôtre je me suis privé jus* 
qu'à présent d'ouvrir, par le fait d'une ridicule condescen- 
dance envers Ernest, qui doit être occupé maintenant avec 
ses gravures, ses cuivres, et ne pense plus à ce qu'il m'a dit 
hier au soir, car il n'a pas beaucoup de suite dans les 
idées cet ôtre-là, mais il est si plein d'égards pour moi! (iIt» 

l'Miarer dn oAté des eppartementt.) ToUt OSt biOU par ÎCi, mOU CŒUr 

tais-toi! Allons, un bon mouvement! crie! crac! voilà qui 
est dit. (u oQTre u porte et recule terrifié.) C'était iBOUsieur !!! 

Le marqnii caché derrière la porte, entre fnrienz. 



SCENE II 

HECTOR ERNEST, tenant Hector an eeUet. 

ERNEST. 

Paillasse I 

HECTOR, se dégageant. 

Monsieur! (a part.) Dame, à présent il paye. 

ERNEST. 

Va-nu-pieds I fainéant 1 mouchard ! poseur! 



LE MARQUIS ERNBST 37 

UEGTOB. 

Monsieur le marquis I (▲ put.) Je trouve même quMl court 
après son argent. 

ERNEST. 

Ah I voilà comme tu me récompenses, drôle, de ne pas 
Savoir jeté à la porte hier au soir, pour m'avoir fait atten- 
dre moi, ton maître. Eh hien, à présent, je t*y flanque à la 
porte... j'en ai assez de toi, je te renvoie, je te chasse... tu 
vas me tourner les talons... d'ici une heure, il faut que tu sois 
parti. Hé quoi, faquin 1 tu m'entends dire que j'attache la 
plus grande importance à ce que cette porte reste close ; et 
le premier usage que tu fais de mon secret, c'est de tâcher 
de le violer. Eh bien, sache-le, misérable, il n'y a pas de 
secret... c'est une épreuve... c'est un piège que je t'ai tendu, 
parce que je me méfiais de toi... pas ça de secret, tu m'en- 
tends ; mais je voulais être fixé, j'ai pris par la porte de 
service... et j'ai sonné... 

HECTOR. 

Comment, tous ces coups-là... c'était monsieur... 

ERNEST. 

Cane te regarde pas 1 

HECTOR, arec noUesM. 

Alors monsieur le marquis pourra témoigner que i'ai 
lutté. 

IlBorU 



ERNEST, le pounairant de oo eri 

Pas de secret 1 pas de secret I 



tu. 



38 LE MARQUIS BRNBST 



SCENE III 

LE MARQUIS ERNEST, a4»ablé, tombe sur It banqnette. 

Il n'est plas là, je puis parler... Eh bien, si, il y a un se- 
cret, im Yllain seeret, et comme on dit, une méebante 
affaire. -« Dans ce temps-là, le marquis Ernest (c'est moi !) 
venait de s'éveiller comme à Fordinaire, c'est-à-dire sur les 
neuf heures, et en regardant sur son journal le quantième du 
mois, il avait poussé un cri de surprise et presque d'hor- 
reur. Gomment, lui, Thomme précis el ordonné entre tous, 
(oh oui! je suis précis et ordonné) avait*il pu commettre 
une aussi forte méprise? Sachez donc, que par suite 
d'une faute de calcul très-pardonnable quand on aime, 
ce n'était pas dix-huit jours, ainsi qu'il aimait à le 
croire, mais vingt qui le séparaient encore de son mariage 
avec sa cousine Yolande dont il était chéri, et qu'il ado- 
rait. Oh! oui, je l'aime bien, mon Yolande! c'est à la dé- 
couverte funeste de ce vingtième jour que remonte le vilain 
secret, la fâcheuse affaire en question. Le marquis Ernest 
n'est pas un type. — Non, je ne suis pas un type. — Mais il 
est dans son espèce un homme assez rare, ayant la passion, la 
manie de Tordre. Je suis le rangement, le classement, la 
méthode en personne: Mon bonheur, c'est que toute chose 
,loit en sa place, que toute heure ait son emploi invariable, 
.ftepuis l'âge de dix-sept ans, je raffole des exemplaire» 
Vares, des Sèvres, des Saxe, des gravures, des vieux grès. 
Je passe ma vie à ranger, à déranger, à épousseier ces tré- 
sors. Je rumine comme une grosse affaire des chassé-croisé 
pour le lendemain : ces livres à la place de ces faïences, 
cette Commode au lieu de ce bureau, voilà les événements 
de la vie du marauis Ernest. Oui voilà quels sont... hélas t 



LE MARQUIS ERNEST 3» 

quels étaient les événements de ma vie. Dici vous voyez 
comme un pareil caraelère est mal placé pour goûter 
l'abracadabrante fantaisie des Gora, des Blanche, des 
Bébé. Ânssi demeore-t-il froid à ces noms illustres, 
j'allais dire à ces dates patriotiques. Il avait arrêté de 
se marier [à vingt-huit ans.«. oai, j'avais arrêté cela. 
Donc, à vingt-sept ans et neuf mois, je demandai et 
j'obtins la main de ma cousine au troisième degré, Yolande 
qui me chérit et que j'adore... Oh oui, j'adore mon Yolande! 
Le marquis Ernest, entra dèslors officiellement dans sa 
seconde manière. Sans négliger pour cela ses cuivres 
et ses porcelaines, il entra dans la phase des bouquets, 
des bijoux, des vers, des dîners chez les parents de la fiancée, 
lesquels habitent près de Chantilly; de la sorte, mon inté- 
rieur n'est dérangé par aucune allée et venue, et mon 
valet de chambre lui-même ne sait rien de mes projets. Je 
gagnai ainsi deux mois et douze jours, du moins, je le 
croyais, et mon programme restait encore tracé pour dix- 
'buit jours... pas une seconde pour l'imprévu : formalités lé* 
gales, visites, invitations, adiats divers en vue d'un voya* 
ge... en Italie bien entendu... total dix-huit jours seci 
Tout allait si bien... trop bien! Mais quel révMI, lorsque 
le marquis découvrit, se dressant de toute la hauteur de leurs 
quarant^uit bêtes d'heures, deux grands {ours dont 
remploi non prévu restait en blanc. Soudain son dé- 
sarroi fut traversé comme par un éclair. Il n'était pas de 
ces gens à qui, dans le malheur, il revient des airs de mu- 
sique. Non, il était homme, vous le devinez, à recourir 
plutôt aux proverbes. Juste au moment où 11 allait saisir le 
{NTOverbe consolateur, il reçut la visite d'un sien parent, le 
comte Pierre, boulevardier à tous crins, un brave qui trouve 
qu'avec un bon cheval et un bon dîner, la vie est belle, et 
qui connaît... toutes les cocottes. Le comte Pierre que 
je n'avais pas vu depuis un an, vint à moi la main ten- 
due : « Hé bien, Pos se marie, rae dit-il... sans pré- 
venir personne, et moi, ton cousin, je n'en saurais 



40 LE MARQUIS ERNEST 

rien, si je n'étais aassi un pea cousin de la mariée, qui 
m'a prévenu, elle. Sans rancune, mes complimeuts. Et 
cela t'a pris tout de suite, comme cela, mon cher bric-à- 
brac, ma vieille potiche! As-tu an peu vécu au moins? 
Qu'est-ce que tu as fait de ta jeunesse, avant de l'enterrer 
pour toujours? raconte-moi cela, car tu sais, mon petit ma- 
got) mon précieux craquelé, je te le dis aussi sérieuse- 
ment que la sagesse des nations elle-môme : il faut que jeu- 
nesse se passe 1 » — C'est celai c'est cela mêmel m'écriai-je 
en sautant au cou de mon ami Pierre. C'est cela même, tu 
as raison, j'ai trouvé... Eurêka, le proverbe est clair : il 
faut que jeunesse se passe, c'est la sagesse des nations qui 
l'affirme. Eh quoi, monsieur le marquis, les nations se 
sont cotisées pour être sages à votre profit... et vous n'en 
profiteriez pas 1 » En effet, ne pas voir dans cette coïnci- 
dence des deux jours supplémentaires et du proverbe né- 
gligé, une invitation d'en haut, c'eût été par trop d'aveugle- 
ment. La volonté des puissances mystérieuses me rappelait 
clairement un devoir presque sacré. Restait à définir les 
conditions dans lesquelles s'accomplirait ce devoir. Le comte 
Pierre qui devant l'explosion de ma joie m'avait cru un peu 
touché^ entra bientôt dans mes vues et me fut du plus grand 
secours. Le comte Pierre, je l'ai dit est très-lancé. U me re- 
commanda une divine personne, sympathique au club... 
pas un mot de plus, c Admirablement élevée par une tante 
idolâtre, la divine personne pouvait prétendre à tout, me 
dit le comte Pierre, lorsqu'elle fut lâchement... lâchée par 
un prince de la maison russe des Ober... off. » Ainsi 
me parla le comte Pierre, mon cousin. J'eus l'air, par 
politesse, de gober le prince Ober... off... mais dans le 
fond, comme je ne suis que méthodique, et pas imbé- 
cile, je trouvai cette arabesque oisease. Sur-le-champ, 
le comte Pierre me présenta. Une jeunesse qui a résolu 
de 6e passer en quarante-huit heures n'a pas de temps 
à gaspiller. Nous fûmes très-vite d'accord avec la victime 
du prince Ober... off. Le comte Pierre, grand maître des ce- 



LB MARQUIS ERNEST 4i 

rémonies, décida que le jeune couple dînerait chez Bignon, 
et assisterait dans une baignoire^ à la première des Va- 
riétés. Dans rintervalle, le marquis Ernest, qui depuis 
son enfance n'avait pas connu une minute de vide 
à frotter ses médailles, à cataloguer ses dessins, s'ennuya 
monstrueusement auprès de la jolie brune dont les mille 
petites extravagances le révoltaient. Il se faisait à lui-même 
l'effet d'un civilisé jeté parmi les sauvages. Ce que c'est 
pourtant que l'idée, car il n'est rien de moins sauvage au 
monde que la divine personne. Ses prévenances les plus 
délicieuses tourmentaient le marquis. Il attendait, comme 
un supplicié, la un de l'épreuve. Enfin sonna l'heure du 
diner, pois celle du théâtre. Je trouvai bien que qua- 
rante . louis pour des huîtres d'Ostende, des ortolans 
brûlés, des truffes gelées, une bouteille de moët, et 
cette baignoire asphyxiante comme une étuve... c'é- 
tait déjà assez joli... le prix d'un Delft dorél Hais 
avec quelle joie il eût ajouté à sa mise quarante autres 
louis pour que sa compagne voulût bien se retirer dou- 
cement avant la sortie... au commencement du dernier 
acte par exempte. Quels vœux ardents j'adressais au ciel, 
de me voir rendu à mes collections, à mon Yolande, guéri 
à jamais de ma foi aux proverbes... et des personnes 
sympathiques au club. A cette sueur froide qui me perle 
sur le front, je sens revivre toute la réalité du petit dra- 
me... Et ce n'est peut-être que le prologue! Écoutez 1 écou- 
tez! L'ancien parterre, transformé en stalles d'orchestre, 
apportait comme une houle de têtes dites humaines, jusqu'au 
bord de ces sombres nids qui seraient d'intolérables ca- 
chots, si l'entrée n'en coûtait à certains jours le prix d'un 
cheval anglais. Toutes ces cages sont bondées, excepté une 
seule* qui n'enferme que deux prisonniers. Le devant est oc- 
cupé par une gentille dame pas tropébourrifée, et au sourire 
inexplicable. Dans le fond^de la baignoire, dont nul visiteur 
ne vient troubler le profond silence,est assis un jeune homme 
qui pourrait servir de modèle à un portrait définitif de ce/ut 



4% LE MARQUIS BHNEST 

f lit voudrmt bien 8*en aUer. Tapi aa coin le plus obscur 
de sa geôle, il ne perd pas des yeax sa compagne. Cepen- 
dant Fattitude de celle-d n'offrait rien que de rassnrant à 
i'œil da pins inqniet. Elle s'occupait rôvenscment à vider 
nne botte d'oranges glacées. V<Hlà où en étaient les préoc- 
CQpations du marquis attentif, et qui tout en se félicitant 
de trouver sa compagne si raisonnable, s'étonnait de son air 

rêveur. 

La petite boite d'oranges glacées m'avait d'abord fait 
trembler, le voyais d'ici ma compagne grignotant pendant 
la musique, et le parterre furieux, de crier à la porte! et mon 
mariage devenu impossible après ce scandale public... Eh 
bien, rien de tout cela. — C'est incroyable... me disais- 
je... Elleestcalmeet môme un peu triste... pauvre femme! I ! 
Quel vide 1 1 1 quel ennui parfois sous ces fronts couronnés 
de roses I Qu'est-ce qui peut donc l'absorber ainsi? » 

N'y tenant plus, le marqiûs émerge de son coin obscur, 
juste à temps pour jouir du spectacle de sa belle amie posant 
la dernière pierre, c'est-à-dire le dernier pépin d'orange à 
un gentil monument dont les assises n'étaient autres que le 
bord d'un chapeau ; ledit chapeau situé d'aplomb sur la 
tôte d'un personnage gravement assis au parterre, un peu 
plus bas que la baignoire, et totalement invisible pour nous. 

C'était pendant l'entr'acte. Des rires étouffés des baignoires 
voisines avaient éveillé en moi de vagues terreurs... mais 
jamais, jamais plus ridicule catastrophe ne s'était offerte à 
mon imagination. — Misérable me dis- jet Yoilà ce que me 
réservait son air songeur l Dans trois minutes on va frapper 
le premier coup. Les musiciens rentrent déjà. Cet homme 
forcé de se découvrir, découvrira tout... je ne crains pas les 
épées... mais Yolande perdue... un si bon mariage démoli... 
mon nom mêlé à cette teee grossière... ¥oilà ce qu'on ap- 
pelle passer sa jeunesse! 1 1 Non! non I foin de la fausse che- 
valerie! fuyons avant tout le tapage; d'ailleurs je ne dois 
aucun ménagement à la créature qui m'expose ainsi. Là- 
dessus, j'ouvris d'un coup sec la porte de la baignoire. — 



Ll MARQUIS KRNSST 43 

Vous avez si chaud que cela, marquis? — Oui, je m*en vais 
pour de bon. Libre à vous de m'imiter, mais tout de suite, 
ou pas du tout. Est-ce compris? — Parfaitement! beaa 
croisé, à votre aise... vous voulez filer; avant Vauteur! rou- 
teur !I! de peur de me compromettre. Bon voyage. «Elle 
n'était pas autrement émue; étrange créature! Je sautai 
dans la première voiture, et je rentrai ici maudissant ma 
sotte complaisance pour les proverbes. Et me voilà sous 
le coup d'une persécution de la dame, ou d'une visite do 
l'bomme au chapeau, qui viendra, son couvre-chef avarié 
d'une main... 



SCÈNE IV 



Sur les dernières paroles da marqais, HECTOR fait soa eotrée, joste daie 
l'attitude indiqaée, brossant da ooade sop chapeau, dont il semble yonloir 
enlerer une tache rebelle. 

HECTOR. 

Monsieur le marquis pourra témoigner que j'ai lutté.. 
je lui donne ma parole que ce qui est arrivé, la porte ou- 
verte, cric! crac! né serait pas arrivé, si je n'avais eu la tête 
«ncore toute pleine des émotions d'une première^ une vraie 
première de Parisiens ... 

LE MARQUIS, intéressé malgré loi. 

Une première... où? quand cela?... ' 

HECTOR. 

Oh ! monsieur me fait poser... pardon... monsieur veut 
rire. Monsieur sait mieux que moi, ce que je veux dire 
avec cette première. (▲ paît.) Je le flatte, je le traite comme 
un Parisien. 



44 LE MARQUIS ERNEST 

LK MARQUIS, embarrataé. 

Ah! oui... hier... je crois avoir la cela... dans mon 
journal... à TOpéra-Gomique? 

HECTOR, à part. 

Paysan! (Haut.) Oui, monsieur, c'est-à-dire pas loin de 
rOpéra-Comique... aux Variétés. 

LE MARQUIS, très-in^et. 

Ahl VOUS allez là... vous! Eh! comment cela s'est-il passé, 
rien d'extraordinaire... pas d'accidents? 

HECTOR,"^* pirt. 

Est-ce qu'il s'imagine que les omnibus circulent dans la 
salle? (Haat.) Non, rien d'extraordinaire ; j'ai aperçu an dé- 
part... (puisque monsieur le marquis m'interroge) son ami 
le comte Pierre qui avait au bras une jolie brune... et ils 
riaient... ils riaient!!! 

LE MARQUIS. 

Et voilà tout... pas de dispute... pas de bagarre? 

HECTOR, à part. 

Ah çà, d'où vient-il? (Haut.) Monsieur... nous étions là, en 
excellente compagnie. 

LE MARQUIS, mnlagé de ses eriiotes. 

La salle était belle? 

HECTOR. 

Oui... mais il se glisse de fiers... mal élevés partout. 
Voyez ce qu'ils ont fait de mon chapeau. Ils ont jeté dessus 
leurs pépins d'orange. Ah! si je savais qui! 

LE MAÉQUIS, lai doonant od louis. 

Tenez, allez acheter un autre chapeau, je vous pardonne 
pour cette fois. 



LE MARQUIS ERNEST ^3 

HECTOR, à part. 

Provincial, mais homme du monde. 

LE MARQUIS, ravi. 

Oh ouil j'aime bien mon Yolande. 



flN DO XAfiQDlS ÉÈJKBil 



m. 3* 



MON AMI NAZ 



PAR 



M. PAUL ARÈNE 



MON AMI NAZ 



A Côquelin-Cader. 



Or, voici par suite de quelle ayenture mon ami Naz fut 
voué au vert : 

Blasé sur les joies du collège, fatigué de fumer toujours 
desfeuillesseches.de noyer dans des pipes en roseau, e^ 
d'élever des serpents avec des cochons dinde au fond d'un 
pupitre, mon ami Naz résolut un jour de s'offrir des émo- 
tions plus viriles. 

Et, le képi sur Tœil, le cœur battant à faire éclater la 
tunique, il entra, mon ami Naz, au cabaret de la mère 
Nanon. 

Tous les collégiens un peu avancés en âge le connais- 
saient, ce cabaret : une porte basse sur la rue, un petit es- 
calier à descendre, un corridor à suivre, et Ton se trouvait 
dans la salle! avec sonjplafond à solives, sa fenêtre qui re- 
garde la Durance, et la bataille d'Isly accrochée au mur. 

joie, ô paresse 1... Le collège à deux pas (parfois même 
nous en entendions la cloche) et du soleil plein la fenêtre, 
et la grande voix de la Durance qui montait. 

— Une topette de sirop, mère Nanon ! 

— De sirop, petits?... Est-ce de gomme ou de capillaire? 

— De capillaire, mère Nanon. 

Et la mère Nanon apportait une topette de capillaire. De 



50 MON AMI NAZ 

la pointe d'un couteau, elle enlevait dextrement le petit 
bouchon, puis renversait la topette, le col en bas, dans le 
goulot d'une carafe pleine de belle eau claire. Le sirop s'é- 
coulait lentement, avec un joli bruit, comme le sable d'un 
sablier. L'eau claire, le sirop s'y mêlant, se troublait de pe- 
tits nuages couleurs d'opale et d'agate, et de grosses guêpes 
attirées montaient et descendaient le long du verre, curieu- 
sement. 

Mon ami Naz — qui était en fonds ce jour-là — but tout 
seul huit ou dix carafes. Puis, la tête échauffée, il se mit au 
billard, à faire la partie ! 

Je le Tols encore, ce billard ; un solennel billard à blou- 
ses, du temps de Louis le Quatorzième, décoré de grosses 
têtes de lion à ses quatre coins, têtes de lion qui ouvraient 
avec bruit leur gueule en cuivre, chaque fois qu'an hasard 
de la partie, une bille tombait dedans. Les billes, d'ailleurs, 
étaient en buis, les queues sans procédé, et les bandes an- 
térieures, parait-il, à l'invention du caoutchouc, semblaient 
rembourrées de lisière. Quant au tapis, qui en décrirait les 
reprises sans nombre et les maculaiures? 

Mon ami Naz, ce jour-là, gagna tout ce qu'il voulut. 

Pourquoi ne s'arrêta-t-il pas à temps? Et d'où vient cet 
amer plaisir que trouve l'homme à tenter ainsi sa destinée T 

Naz gagnait tout : partie, revanche et belle. Il n'avait 
qu'à s'en aller^ il resta. Il n'avait, le dernier coup fait, qu'à 
poser la queue glorieusement. Il préféra, le dernier coup fait 
et marqué, gard^ la queue en main pour continuer sa série, 

£t il la continua, le malheureux 1 il fit un, deux, trois 
carambolages ; il en fit cinq, il en fit six ; U en fit huit, il 
en fit dix; et les billes allaient, venaient, s'effleuraient et 
tourbillonnaient, puis s'entrechoquaient doucement, comme 
attirées par un aimant invisible; et les carambolages rou- 
laient, et les spectateurs applaudissaient, et la vielle Nanon 
elle-même remuant des sous dans la poche de eon tablier, 
admirait et faisait galerie. 

Tout d'un coup «^ c'était un effet de recul — la queue. 



MON AMI NAZ 61 

lancée d'ane main nerveuse, glisse sur la bille et la man- 
que ; le tapis (S'aque, le tapis se fend triangolairement, et 
la queue presque tout entière s*engoiiffre et disparaît dans 
un abîme de drap vert. 

Le tonnerre en personne serait tombé dans la salle, que 
le saisissement n'eût pas été plus grand. Chacun s'entre>re- 
garda. Naz» le malheureux Naz resta debout, comme stupé- 
fait, le corps en ayant et la bouche ouTerte. 

~ Son père! s'écria la vieiUe Nanoat qu'on aille 
chercher Monsieur son père ! 

Le père de Naz arriva. 

On s'attendait à une explosion de colère, il se montra gla- 
cial et digne : 

— Combien ce tapis? 

— Soixante francs, mon beau Monsieur, pas moins de 
soixante francs. 

— Voici soixante francs !... et qu'on me donne le vieux 
drap. 

Puis, les bandes déboulonnées et le tapis décloué - 

— Emporte-moi ça, dit le père en mettant le tapis roulé 
sur le dos. 

Que comptait-il faire? 

Le surlendemain tout fut expliqué quand nous vîmes en- 
trer le malheureux Naz vêtu de vert de la tête aux pieds; 
habit vert, gilet vert, pantalon vert, casquette verte, et non 
pas vert- pomme ou vert-bouteille, mais de ce vert cruel et 
particulièrement détestable qu'on choisit pour les tapis de 
billard. Sur l'épaule droite nous reconnûmes tous une 
grande tache faite par la lampe à schiste, et sur l'épaule 
^'auche une petite meurtrissure bleue imprimée dans le drap 
par un massé trop brutal. 

A partir de ce jour, mon ami Naz passa une jeunesse mé- 
lancolique. 

Six ans durant, son père fut inflexible ; six ans durant, 
des habillements complets de couleur verte sortirent pour 
le malheureux Naz de cet inépuisable tapis. 



52 MON AMI NAZ 

Ses camarades le raillèrent. 

Les demoiselles de la ville s'habituèrent à rire de lui. 

Et le malheureux Naz souffrit beaucoup de toutes ces 
choses, étant né avec un cœur aimant. 

On le surnomma le lézard vert. 

Sa figure, à force d'ennui, devint peu à peu verte comme 
le reste. Il se mit à boire de Tabsinthe ! 

Enfin, à l'âge de vingt ans, long, maigre, et toujours ha- 
billé de vert, mon pauvre ami Naz ayant pris l'humanité en 
haine, s'embarqua vert et seul pour les Grandes-Indes, le 
paradis des perroquets 1 



rm DE MON AMI NAl 



LE 



NEYEU DE LA MARQUISE 



SAYNfiTB DE SALON 



PAR 



M. GEORGES D'HETCLI 



PERSONNAGES 



LA HARQUISB* 
ROGER d'eNTRAIGUES. 
LISBTIEy lonbretta de la KarqolM. 



▲ Pkris, «a 177*. 



LE 



NEVEU DE LA MARQUISE 



Ub mIob. — Porto dTantfé* «■ UuL — A gaiebs, porto ds b dwmbrt d« k 
maifoiM. — FoaêtKj à draito, doBaut nr k r«t. — Tablo ohargée da livrai ot 
de pi^ierf. 



SCÈNE PREMIÈRE 

LA MARQOISE. 

Elle est auÎM et brode an tamboor. *» Blla a'aïuime. — Ella poaa fon anrraga at 
prend nn lÎTra qu'elle onTre et dont elle lit quelques lignas. — Ella la ra|etto 
presque aussitôt sur la table, en poussant un soupir. — Après oa petit manégai 
elle sa lèta et sonne. — Silence. — Elle sonne de nouToau. 

Voyez s'il en Tiendra unseai! j'ai trois domestiques è 

mes ordres! (euo resonne) et j'ai beau les sonner, les carillon- 
ner, pas un ne répond à mon appel! 

Ella sauManeora 



gg LE NEVEU DE LA MARQUISE 



SCÈNE II 



La MÂMB, LISETTE, entrant TÎTemento 
LISfiTrE. 

J'achevais en tonte hâte de m'habiller, lorsque j'ai en- 
tendu la sonnette de madame la marquise. 

LA MARQUISE. 

Et Frontin? Et Jacqueline?... 

LISETTE. 

Madame ne se souvient j^lus, sans doute, qu'elle leur a 
donné la permission de s'ansenter jusqu'à ce soir pour aller 
voir la fête et les illuminations en l'honneur du mariage do 
Mgr le Dauphin. 

LA MABQUISE. 

C'est vrai, je l'ayais oublié... (Après on tjiene«.) Sais- tu une 
chose, Lisette? je m'ennuie... 

LISETTE. 

C'est le mal de bien des gens, mais madame la marquise 
le ressent plus que personne parce qu'elle vit volontaire 
ment isolée. 

LA MARQUISE. 

C'est vrai, Lisette, mais depuis mon veuvage» je n'ai pu 
reprendre encore l'habitude de revoir le monde. 

LISETTE. 

Penh I... madame la marquise a si peu de temps connu 
M. le marquis I 

LA MARQUISE. 

Cela est encore vrai, mais je n'en dois pas moins à sa 



LE NEVEU DE LA MARQUISE 57 

mémoire, et à moi-même» de respecter le plus longtemps 
possible mon veuvage. 

LISETTE. 

Soit, madame, respectons votre veuvage, je le veux bien ; 
mais franchement, n*avons-nous pas assez fait pour cette 
illustre mémoire? ne nous sommes-nous pas, en rhonneur 
de ce mort qui, en somme, a laissé si peu de regrets, en» 
terré pendant plus de dix mois dans un vieux castel perdu 
au fond des montagnes?. . . 

LA MARQUISE. 

Mais puisque nous voici maintenant à Paris, que de« 
mandes-tu de plus?... 

LISETTE. 

Que madame la marquise reçoive ses amis, ses connais- 
sances, les personnes de son rang et qu'elle s'empresse de 
choisir bien vite, parmi les jeunes seigneurs de la cour, un 
successeur à feu M. le marquis... 

LA MARQUISE. 

Rien ne presse, Lisette... (uo sUenee.) Tiens, pour tuer le 
temps qui me semble immortel, coiffe-moi. 

LISETTE, en coiffant la marqniae. 

Et parmi ces seigneurs, madame la marquise sait bien 
qu'elle n'a qu'à choisir. 

LA MARQUISE. 

Oui!... mais je ne veux d'aucun. 

LISETTE. 

Alors, nous resterons veuve I... Voilà qui nous promet 
bien du plaisir. Nous avons cependant le neveu de M. le 
marquis, ce jeune officier qui était encore en garnison dans 
le Nord lors du mariage de madame et dont la visite nous 
est depuis si longtemps promise. 



58 LB NEYBU DB LA lARQUISB 

LA MARQUISB. 

Eh bien?... 

LISETTE. 

Eh bien! M. Roger d'Entraigues est revenu A Paris, et il 
n'attend qu'un mot de madame la marquise qui, par le fait, 
est sa tante, pour se présenter chez elle et ramener en môme 
temps, avec lui, toute la belle et illustre société que voyait 
M. le marquis. 

LA MABQUISE. 

Mais Lisette, tu connais mes affaires mieux que moi^ 
môme et tu en sais beaucoup plus que je n*en pourrais dire 
sur le compte du neveu du défunt marquis» lequel neveu je 
n'ai jamais vu, ni même, je t'assure, envie de voir... 

LISETTE. 

Alors, nous renonçons définitivement mAme à la pers- 
pective d'un nouveau mariage?... 

LA KAHQmSB. 

Ehl qui veux-tu que j'épouse, grands dieux?... 

LISETTE. 

M. d'Auterive, par exemple... 

LA MARQUISE. 

Non certesl... tu trouvais le marquis trop vieux; mais 
M. d'Auterive est, pour le moins, aussi vieux que lui. 

LISETTB. 

Oui... mais il a un si grand train de maison; cda fait 
passer sur bien des choses... puis nous avons le comte d^ 
Dunières. 

LA ICARQUISE. 

Trop vieux aussi pour moi. 

LISETTE. 

Alors nous avons le marquis des Réaulx... 



LE NEVEU DS tk MARQUISE 59 

LÀ MABOUISB. 

Encore?... Mais, Lisette, as-tu juré de me faire mourir. 
Ta me cites les trois plus Tîeux gentilshommes de la cour. 
En est-il un, parmi ceux-là , que tu voadrais pour toi- 
même, si tu étais veuve et marquise? Les six mois que j'ai 
vécus avec le marquis m'ont guérie, à jamais, du goût des 
unions disproportionnées, au moins au point de vue de 
rage. Je ne veux plus d'un mari maladif et podagre. Le 
mien a pris le lit au lendemain de notre mariage et il ne Ta 
quitté que pour entrer au cercueil. Ces six mois, je les ai 
passés dans la tristesse, dans Tennui, dans le dégoût même, 
car je n'aimais pas le marquis que j'avais épousé pour com- 
plaire à mon père et j'étais trop enfant pour bien compren- 
dre ce qu'on me faisait faire. Ce temps d'épreuves m'a 
vieillie, d'ailleurs, moi aussi, et les longues journées pen* 
dant lesquelles j'ai été garde-malade du marquis n'ont pas 
été perdues pour mon intelligence, ni pour ma raison. Bien 
que je n'aie pas encore vingt ans, je t'assure que l'expé- 
rience m'est venue avec le chagrin, et, quoi que tu dises, je 
suis bien décidée, si je me remarie jamais, a choisir quel- 
qu'un qui soit en rapport avec ma situation, avec mes goûts 
et surtout avec mon âge... 

USBTTB. 

Eh bien, précisément, madame la marquise... nous avons 
M.Roger d'Entraigues. Vous êtes déjà sa tante, par suite 
de votre alliance avec son oncle; devenez sa femme; cela 
ne ^rtira pas de la famille. 

LA MARQUISE. 

Tu es une folle, Lisette, et je suis bien folle aussi d'écou- 
ter tes sornettes! M. d'Entraigues est encore un enfant c*. 
d'ailleurs je ne le connais pas; puis le souvenir de son oncle, 
mon premier mari, se rattacherait inévitablement à sa par- 
scmae et à sa présence ici... je préfère donc ne pas le rece- 
voir* •• (On entend on coup de sonnette à la porte du restibule «Ktirieur.) Va 



60 LE NEVEU DE LA MARQUISE 

voir, Lisette, qui peut Tenir ; je n'attends personne et t^ 
suis pour personne. 

LISETTE. 

J'y Tais, madame. 

Elle tort. 



SCÈNE III 

LA MARQUISE, Mole. 

Cette Lisette a Traiment perdu l*esprit. (unsUenee.) Et ce- 
pendant, la Tie que je mène est bien triste!... 

On entend nn brait confus de roix dani Tantichambre^et Lisette qui s'écrie : 

« Mais puisque je tous dis que ma maîtresse n'y est 

pas 1 . • . * ~— Puis la porte s'oaTre brosqnement. 



SCÈNE IV 

La MAiIE , LISETTE , ROGER, JoUe toilette de marqnis Louis XT. — 
Très-légèrement pris de Tin, mais toiqoiirs distiogaé. 

ROGER. 

Que me disais-tu donc, soubrette de mon cœur, que ta 
maîtresse était sortie? (au marquise.) Ab, belle dame! Toilà 
qui n'est pas bien I faire dire que tous n'êtes pas là alors, 
qu'au contraire, tous êtes bel et bien chez tous, en chair 
et en os, et la plus belle parmi les plus belles... 

LA MARQUISE, bantaine. 

Mais, monsieur, je n'ai pas l'honneur de tous connaître, 
et... 



LE NEVEU DE LA MARQUISE 61 

aOGBB. 

Bah! nous ferons vite connaissance... 

LA BfARQUISB. 

Je n'en ai nulle envie, monsieur, et ne sois point habi* 
xiée à être traitée de la sorte : je vous prie de vous retirer. 

BOGER. 

Meretirerl... ah, que nenni, par exemplel... j'ai déjà eu 
assez de mal à pénétrer dans la place pour Fabandonne** 
anssi facilement et aussitôt. 

LA MARQUISE. 

Gomment! vous prétendez demeurer chez moi, malgré 
moi?... 

ROGER. 

Malgré tous!... non pas, idéale princesse, mais bien avec 
votre consentement que vous allez me donner tout de suite, 
en acceptant que je vous offre à souper ce soir et ici 
même... 

LA MARQUISE. 

A souperl... Timpertinent!... Eh bien, monsieur, puisque 
vous ne voulez pas partir, c'est moi qui vais vous céder la 
place et je ne rentrerai dans ce salon, je vous le jure, que 
lorsqu'il vous aura plu d'en sortir... Viens, Lisette, et lais- 
sons monsieur à ses réflexions. 

LISETTE, à part. 

Cela mettra peut-être, d'ailleurs, un peu d'eau dans son 
vlnl... 

SCÈNE V 

ROGER, seul, d^ppointé. 

Diable! voilà qui commence mal et mes cinq cents louis 
III* 4 



62 LE NEVEU DE LÀ MARQUISE 

m'ont Tair bien aventurés. Car j*ai, — voyez la belle af- 
faire!... — - parié ce matin, après boire, cinq cents louis à 
Gbamilly que je ferais la conquête de la première femme 
que je rencontrerais, et cela dans la première maison qui 
s'offrirait à moi, sur mon chemin. Cette première maison 
j'y suis entré; non sans peine, par exemple : cette enragée 
soubrette voulait à tout prix me jeter dans ses escaliers. 
Cette première femme, la voici ; mais ce n'est là que la 
moitié du pari et je tiens, morbleu 1 à le gagner tout entier. 
La dame, d'ailleurs, n'est peut-être pas aussi revêcbe qu'elle 
en a Tair, au premier abord, et nous allons bien voir! 
Mais, qui est-elle? une grande dame? une femme galante? 
une comédienne? ce doit être, en effet, quelque belle prin- 
cesse de théâtre. Car elle est jolie, . le diable m'emporte, et 
depuis que je l'ai vue, je rendrais volontiers encore cinq cents 
louis à Chamilly pour gagner mon pari contre lui. (u s'appro- 
ehe de la table.) Ah, dos livrosl quo lit-olle, cetto dame? On 
juge quelquefois une femme sur les ouvrages qu'elle pré- 
fère, (prenant on UTre.) Le Méchant, comédio de M. Gresset, 

(prenant an antre lirre) leS ŒUVreS de théâtre dO M. RacinO... 

serait-ce donc, vraiment, quelque belle dame de comédie?... 
Qu'importe, après tout, et voyons si, en dépit de sa magni- 
fique colère, il n'y aurait pas moyen de rentrer en grâce 

auprès d'elle?... (llontrant-la porte de U chambre de la marquise.) Elle 

est sortie par là, c'est donc par là qu'il faut la poursuivre. 

An moment où il l'approehe de la porte, elle l'oaTre, et Lisette entre eo seèae. 



SCÈNE VI 
La Môme, LISETTE. 

LISETTE. 

Eh bSen , qu'est-ce que vous faites là, monsieur? Vous 
aUez forcer la porte de l'appartement de madame, mainte* 



LE NEYEU DE LÀ MARQUISE 63 

nant?... Gomment, tous êtes encore ici?.. • De quelle ma- 
nière faut-il donc vous donner votre congé pour qua ?ous 
consentiez à partir?... 

ROGER. 

Ah, c'est toi, soubrette infernale!... que ta maîtresse 
m'ait donné congé, je te l'accorde, mais quant à le pren- 
dre, c'est une autre affaire... 

'LISETTE. 

Que voulez-vous dire?... Vous allez rester ici?... 

ROGER, effrontément. 

Mais oui, Marton ou Lisette... au fait, comment te nom- 
mes-tu?... 

LISETTE. 

Que VOUS importe?... 

ROGER. 

Voyons, ne sois pas si farouche et surtout ne crains pas 
de perdre ton temps avec moi. Sais-tu bien, ma mie, que si 
tu consentais à me venir en aide dans mon entreprise, je 
ne regarderais pas à la récompense?... Tiens, voilà un 
à-compte, (m'embrute.) ot OU voici un autre encore. 

U loi offire sa bonne. 
LISETTE, reponssant la bonrte. 

Gardez votre argent, monsieur, je vous le volerais. Votre 
premier à-compte? à la rigueur, passe encore, je ne dé- 
teste pas trop ceux-là ; mais quant à votre bourse, je n'eni 
ai que faire, car je ne veux pas trahir ma maltresse , 

ROGER. 

Voyons, Martine, humanise- toi!... 

LISETTE. 

Je m'appelle Lisette, comme une vraie soubrette de co- 
médie; mais cependant, à rencontre de la tradition, je ne 



64 LE NEVEU DE LA MARQUISE 

puis rien pour vous. Allons, croyez-moi, monsieur, partez, 

partez... (elle entr'onyre ht porte qui condnit à rontichambre.) partOZ I. .. 

ROGER. 

Non I pas avant que tu m'aies dit qui est ta maîtresse. 

LISETTE. 

Mais que vous importe? vous ne voulez pas Tépouser, je 
•nppose?... 

ROGER. 

Peut-être. 

LISETTE. 

Joli mari, par exemple, et d'une tenue bien engageante!... 

ROGER. 

Voyons, encore une fois, Lisette, sois-moi propice I Dis- 
moi qui est ta maîtresse. Est-ce une princesse?... 

LISETTE. 

Peut-être, vous répondrai-je aussi. 

ROGER. 

Est-ce une comédienne? * 

LISETTE. 

Oh l . . . vous n'y êtes guère !... 

ROGER. 

Tu me mets au martyre, Lisette! (ii id prend let deu maim et 
lei couvre de baisers.) Laisso-toî attendrir, ma petite Lisette, et 
ta fortune est faite. 

LISETTE. 

Ah! que vous êtes amusant, monsieur!... Ainsi, parce 
que je ne suis que Lisette, vous croyez que pour un peu 
d'amour et un peu plus d'argent, je vais vous servir, aus 
dépens de madame qui est bonne pour moi, auprès de 
laquelle je suis depuis longtemps, qui me témoigne de l'a- 



LE NEVEU DE LA MARQUISE 65 

mUié et qui m'établira bien quand je le voudrai. Et tout 
cela, pourquoi, s*il vous plaît?... Ni madame,^m moi, ni 
TOUS peut-être, nous n'en savons rien ni les uns ni les 
autres. Et puis qui vous dit que madame soit libre, qu'elle 
n'ait pas un mari?... 

ROGER, brasqaemeat. 

Elle a un mari?... 

LISETTE. 

Ah! voilà qui vous gêne un peul if est-ce pas? Allons, 
monsieur, une dernière fois, allez- vous en, en voilà assez; 
si vous ne vous décidez, je finirai par aller chercher la 
garde. 

ROGER. 

Ah! elle a un mari! (Résolument.) Eh bien, qu'importe, 
après tout? Gela augmente encore les difficultés de l'entre- 
prise; mais coûte que coûte, je réussirai... je m'en vais, 
Lisette. 

LISETTE. 

Allons, bon voyage, monsieur, et adieu I... 

ROGER. 

Oh non pas, mais au revoir; car je ne pars point, je bats 
en retraite, mais tout en gardant la défensive, et sois-en 
persuadée, je vais reprendre sous peu l'offensive. Voilà 
omment nous sommes, nous autres gens de guerre... 

^LISETTE, plaisaLtant. 

Ah, monsieur est soldat?... 

BOGEB. 

Oui, Lisette. 

LISETTE. 

Enseigne ou général ?. .. ^ 

m. k 



•• 



66 LE NEVEU DE Là HABQUISE 

ROGBR. 

Tu te moques? Soit, mais rira bien qui rira le dernier. 
kn revoir, la belle enfant. 

n remkraiM. 
• LISETTE, riant de tontef ««s forcei. 

Adieu, grand foui... 

U fort; elle feniw 1« porte TÎfeairat. 



SCÈNE VII 

LISETTE, LA MARQUISE, ouTrant doaoement U p<Mrte qui doont 

son appartement* 



LA MABQUISB. 

Eh bien, Lisette? 

LISETTE* 

Il est parti, madame. 

LA. MARQUISE. 

Ah!... enfin... 

LISETTE. 

Oui, mais ii a dit qu'il reviendrait. 

LA IIARQUISE. 

Comment, je puis ôtre exposée, une fois encore, à son in« 
fiente visite?.*. 

LISETTE. 

Ahl madame, voilà qui proche singulièrement en faveur 
du mariage I Si vous vouliez consentir à n'être plus veuve, 
vous auriez au moins, auprès de vous, un défenseur naturel 
qui saurait bien éloigner de votre porte et de vous-même 
tous les freluquets de la ville et de la cour. Mais vous êtes 



LE N ETEU DE LÀ MARQUISE 6T 

inflexible et tous préférez votre éternel veuvage, toujours et 
quand même, aux choix qu'on pourrait vous proposer I Ma- 
dame y viendra toutefois, sinon par désir, au moins par 
nécessité... 

LA MABQUISS, rèToaae. 

... Je ne dis pas non... nous verrons plus tard... mais 
que voulait-il, en somme, ce beau monsieur? 

LISETTE. 

C'est la seule chose» madame, que je n'aie jamais pu 
savoir. Il m'a parlé d'une entreprise... 

LA 1£ÀRQUISB. 

Dont je suis, sans doute, l'objet? 

LISETTE. 

D'offensive et de défensive ; et à ce propos il est soldat, 
et, avec cela, jeune, bien fait et entreprenant, n'en doutez 
pas. Ce qu'il veut, il est homme à vouloir aussi vous le dire 
à vous-môme et à vous forcer de l'entendre. 

LA MARQUISE. 

Oh ! pour cela, je l'en défie... 

LISETTE. 

Ne jurez pas, madame, on ne ss^ît pas ce qui peut arriver. 
C'est, d'ailleurs, un brillant cavalier et de fort bonnes ma- 
nières; il était bien un peu gai, ce matin, mais quand il est 
parti il avait la tête refroidie et le cœur enflammé. Je parie 
maintenant qull adore madame, et qu'avant peu... 

LA MARQUISB. 

Tu en parles avec un feul... Quoi qu'il en soit, je vais 
me barricader dans ma chambre, et ce soir, quand Frontin 
et Marceline seront rentrés, tu les feras veiller en bas et leur 
recommanderas de faire bonne garde et de n'ouvrir la porte 
à qui que ce puisse être. 



63 LE NEVEU DE LA MARQUISE 

LISBTTE. 

Je n'y manquerai pas, madame. 

A ce moment tm bouquet lancé de la rue^ vient tomiker par la fen6ti« an milien 
du salon. 

LA MARQUISE. 

Eh bien, Lisette, que veut dire ceci? 

LISETTE. 

C'est sans doute la suite de l'aventure. (Elle ramasM e bonqnet.) 
Oh! les admirables fleurs! Ah! un billet! 

Elle tire un billet da bouquet. 
LA MARQUISE^ vivement. 

Je ne veux pas le lire. 

LISETTE. 

Cependant, madame, il est indispensable que nous soyions, 
par lui, informées des projets de l'ennemi: car c'est de notre 
beau chevalier, n'en doutez pas, que nous vient cette mis- 
sive. 

LA MARQUISE, après un moment de réflexion. 

Eh bien, soit, lis. 

LISETTE, lisant 

ce Madame, vous m'avez chassé; j'accepte mon sort; mais 
» je crois devoir vous déclarer que je veux vous traiter 
» comme une ville forte e^ faire le siège en règle de votre 
» personne et de votre beauté. Ci-joint le premier projec- 
• tile. La guerre est donc commencée. Il vous appartient, 
> belle princesse, de me faire savoir si vous voulez me faire 
» attendre bien longtemps la reddition de la place. » 

LA MARQUISE. 

Et pas de signature?..! 

LISETTE, retournant la bil<«t 

Aucune!... 



LE NEYBU DE LA MARQUISE 69 

LA IfÂRQUISB. 

Âh! c'est trop fort! c'est trop d'insolence et d'audace) 
Âssieds-toi là, Lisette; joyeux lui répondre à ce monsieur. 
Écris. 

Luette s'assied de?«nt U table et se dispose à écrire. La marquise dicte 

a Monsieur, toutes les portes vous sont ouvertes... v 

LISETTE. 

Gomment, madame, la place capitule sans combattre?... 

LA MARQUISE. 

Oui, c'est le seul moyen d'en finir, qu'il vienne; il va 
trouver à qui parler. Continue... « toutes les portes vous 
sont ouvertes; je désire capituler immédiatement... » Bien!... 
attache maintenant le billet au bouquet de ce monsieur, et 
renvoie-le lui par le môme chemin. 

LISETTE, à la fenêtre. 

C'est bien lui! le voici en effet sous vos fenôtres. (EUe jette 
le bouquet.) Touez, galant chevalier, voici vos fleurs et la ré- 
ponse à votre poulet. (sUe se penche à la feoètre.) Il IC ramaSSO... 

il lit le billet, le voici qui s'élance; je vais le recevoir et lai 
ouvrir. 

Elle sort. 



SCENE VIII 

LA MARQUISE, seule. 

Ce que je fais là est bien grave, mais c'est le seul moyen 
de terminer une aussi sotte aventure. 



70 LE NEVEU DE LÀ MARQUISE 

SCÈNE IX 

La Même, LISETTE, ROGER. 

ROGER, très-oérémoniecuemont. 

Madame, je vous remercie... 

LA MARQUISSy rinternHnpant ▼irement. 

Ne me remerciez pas, monsieur; je vous ai fait venir, 
non pour ce que yotre fatuité peut vous faire croire,.mais 
bien pour vous déclarer que si vous ne quittez à l'instant 
ma demeure, en abasâonnant les projets d'agression dont 
Yous m'avez fait part, je préviendrai M. le lieutenant de po- 
lice et le prierai de me protéger contre vous... Et sur ce, 
Lisette, reconduis une dernière fois, monsieur. 

ROGER. 

Madame... 

LA MARQUISE. 

Une fois encore, je vous laisse la place, monsieur. 

Elle sort majestueaiemcBU 

SCÈNE X 

LISETTE, ROGER. 

V lOGKft. 

Eh bien, Lisette? 

LISETTE. 

Eh bien, monsieur?... 



LE NEVEU DE LA MARQUISE 7^ 

ROGEH. 

Comment, c'était pour me faire donner une algarade de 
cette sorte que tu m*as renvoyé mon bouquet et mon 
bille'* Y... 

LISETTE. 

Hélas! oui, monsieur; mais c'était Tordre de madame; je 
n'y suis pour rien et je n'y peux rien. 

ROGER, ayee nn soopir. 

Âb! Lisette!... Sais-tu qu'elle est charmante, ta maî- 
tresse?... Quel air imposant elle avait et quelle noble co- 
lère! Ah, ce n'est pas là une femme vulgaire. C'est une 
grande dame, Lisette? 

LISETTE. 

Cela se peut, monsieur... mais vous avez entendu l'ordre 
de madame? Ainsi, pour la seconde fois, il faut déguerpir. 

ROGER. 

Déguerpir? 

LISETTE. 

Ah! mon Dieu, oui. 

ROGER. 

£t sans la revoir, Lisette? 

LISETTE. 

Sans la revoir. Allons, monsieur, il n'y a que deux pas 
à faire, et vous connaissez déjà le chemin. 

ROGER. 

Eh bien, Lisette, écoute-moi; j'ai été un fou; j'avais fait 
un bête, un stupide, un ridicule part; j'y renonce, je 
consens à le perdre; je l'ai perdu... mais vois comme je 
suis rudement châtié, j'aime ta maîtresse. 

LISETTE. 

Ah, VOUS prenez bien votre temps, par exemple! 



72 LC NEVEU DE LA MARQUISE 

ROGER. 

JeTaime, te dîs-je, etje te somme de me dire 8i« vrai- 
ment, elle a un mari. 

LISETTE. 

Elle en a un, oui, monsieur. 

ROGER. 

Âhl douleur de ma vie!... 

LISETTE. 

Mais il est mort... 

ROGER, santant de joie. 

Ah! Lisette, elle est libre! je la veux; il me la faut; dis- 
le lui; va la trouver; apaise-la; qu'elle me pardonne et 
qu'elle me permette de lui faire oublier ma faute!... 

LISETTE. 

Tudieu, monsieur, quel feu! quel enthousiasme! Leschoses 
ne peuvent pas aller aussi vite, et madame la marquise... 

ROGER. 

C'est une marquise? 

LISETTE.. 

Ne vous Tavais-jepas dit? la marquise d'Entraigues... 

ROGER, iDtardk. 

Comment? Quel nom as-tu prononcé là? la marquise d'En* 
traigues! la femme du vieux marquis Raoul d'Entraigues!.. 

LISETTE. 

Oui, monsieur,^ celui qui est mort en son château d'En- 
traigues et dont madaine est veuve depuis bientôt quinze 
mois. 

ROGER. 

Mais alors ta maîtresse est ma tante!... 



LE NEVEU DE LA MARQUISE 73 

LISETTE y Tirement. 

Votre tante? Qaoi! vous seriez donc?... 

ROGER. 

Roger d'Entraigues I Mon père était le propre frère d 
mari de ta maîtresse. 

LISETTE. 

Ah grands dienxl... Eh bien, monsieur, on peut dire sans 
se tromper que vous portez votre deuil un peu plus gaîment 
que nous I... 

ROGER. 

Ah I Lisette I je suis furieux. J'ai manqué de respect à ma 
tante, à celle que je brûlais tant de connaître, que j'aimais 
sans l'avoir vue I Mais enfin, Lisette, ta maltresse ne peut 
avoir le cœur impitoyable, elle me pardonnera une folie de 
jeune homme, de sot étourdi... 

LISETTE. 

Oh, pour cela, je n'en réponds pasl 

ROGER, Ini prenant les mains. 

Voyons, laisse-moi t'implorer; veux- tu que je tombe à 
tes genoux?... 

LISETTE. 

Cela n'avancerait en rien vos affaires. 

ROGER. 

Je t'en supplie, Lisette, va la trouver; dis-lui que je 
l'aime, que je l'adore , que je l'aimais depuis longtemps 
déjà, sur la seule réputation de sa beauté, et que je ne dé- 
sire rien tant que d'obtenir mon pardon, de lui prouver mon 
repentir par ma soumission, et de lui offrir de réparer ma 
faute, en lui demandant sa main. 

LISETTE. 

Rien que cela, s'il vous plaît I 

III. y 



74 LK NBYBU DE LA MARQUISE 

ROGER. 

Ooiy Lisette; dis-lai tout cela... dis-lui encore qne««« 

SCÈNE XI 

LbS Mêmes, Là MARQUISE, grand* dignili. 
LA KARQUISB. 

Cest assez, monsieur... 

RO6ER9 tombant à ses gpenoiiz. 

Ahl ma tante, (se reprenant virement) Ah! madame !••• 

LA MAROUISB. 

Relevez-vous, monsieur le comte; j'ai tout entendu. 
Vous pouvez VOUS retirer, je sais qui vous êtes, vous savez 
qui je suis. Vous m'avez gravement offensée, mais l'igno- 
rance où vous étiez de mon nom n'est point une excuse de 
la conduite que vous avez tenue vis-à-vis de moi. Je ne 
puis oublier ce qui s'est passé aujourd'hui entre nous. Li- 
sette, reconduisez encore une fois M. le comte d'Entrai- 
gnes. 

Roger s'incline trèc-hnmblement, et se retire. 
LISETTE, à part, en le eondoiiant à la porte. 

Voyons, monsieur le comte, faites bonne contenance et 
revenez demain. J'aurai arrangé les choses, et que je perde 
mon nom si dans quinze jours vous n'avez pas gagné com- 
plètement, mais ce qui s'appelle complètement, votre pari! 



FUT DU NBVBU DE LA lIA&QTOn 



IjB 



HARENG SAUR 



FANTAISIE 



PAR 



H. CHARLES GROS 



PERSONNAGE 



Il EÉCITÀNT M. COQUBLIlf CADET. 



LE HARENG SAUR 



Il était nn grand mur blanc — nu, nu, nu, 
Contre le mar une échelle— haute, haute, haute, 
Et, par terre, un hareni; saur — sec. sec, sec. 

Il vient, tenant dans ses mains — sales, sales, sales. 

Un marteau lourd, un grand clou — pointu, pointu, pointa, 

Un peloton de ficelle — gros, gros, gros. 

Alors il monte à l'échelle — haute, haute, haute. 

Et plante le clou pointu — toc, toc, toc, 

Tout en haut du grand mur blanc — nu, nu, nu. 

Il laisse aller le marteau — qui tombe, qui tombe, qui tombe, 
Attache au clou la ficelle — longue, longue, longue. 
Et, au bout, le hareng saur— sec, sec, sec. 

Il redescend de Téchelle — haute, haute, haute. 
L'emporte avec le marteau — lourd, lourd, lourd. 
Et puis, il s'en va ailleurs — loin, loin, loin. 

Et, depuis, le hareng saur — sec, sec, sec, 

Âu bout de cette ficelle— longue, longue, longue. 

Très-lentement se balance — toujours, toujours, toujours. 



78 LE HARENG SAUR 

J'ai composé cette histoire — simple, simple, simple, 
Pour mettre en fureur les gens ^ graTes, graves, grayes. 
Et amuser les enfants — petits, petits, petits. 



LES 



LILAS BLANCS 

COMÉDIE 

«V UN ACTI 
PAR 

M. CAMILLE ALLART 



PERSONNAGES 

i 

CÉCILE DE BRTANS 

JULIA. 

GASTON DE BRYANS. 



LES LILAS BLANCS 



eé Madame Hélène "Petit, de eOdéon. 



eu Ixmdob teèi-loxoew tandn de satin broché. - Lurtrt de cristal, riches te»- 
tures, tapis épais, brontts, s«fa oriental. « k droite, an premier plan, une porte. 
- An second plan, le portrait de CécUe est accroché à U mnraille. - Kn face, 
ror U cheminée, nne glace dans son cadre d'argent bmni. - Plus loin, nne bail 
mas<inée par des portières de Telonrs. - C'est nne nnit dTûfer; nn grand isi 
flambe dans l'àtre. — Une fenêtre an fond. 



SCÈNE PREMIÈRE 

CÉCILE, entre en scène en robe de bal; vn bornons algérien lébré de raies 
ronges etmwf ses épaales; eUe est gantée et tient nn bouquet de liUs blancs et 
de Tiolettes. 

Allons, voilà mes petits bonheurs envolés! {kw un sonpir.) 
C'était bien la peine de faire tant de frais de toilette I (se dé- 
barrassant du bouquet, de son bnmons et de ses gants.) C'OSt tOUJOUrS amSl, 

d'ailleurs... Vous recevez une de ces invitations sur papier 

bristol au bas desquelles le traditionnel on dansera est 

écrit en caractères plus apparents... c'est chez une amie... 

III. ^- 



82 LES LILAS BLANCS 

Vous accepttt avec plaisir parce que vons vous promettez 
de vous amaser jasqa'au ^aatin... Pendant huit jours vous 
courez les couturières pour vous occuper de votre costume... 
vous voulez être la plus belle... Le fameux soir arrive, 

(Rangeant lei eh«T0iiz derant la gkoe.) VOUS partCZ OU VOiturC... VOUS 

montez un large escalier ruisselant de lumière où, de marche 
en marche, des têtes niaises de laquais émergent des cor- 
beilles de fleurs... Les invités arrivent un à un... L'orchestre 
prélude par un quadrille... Des cavaliers timides, le gilet en 
cœur, un gardénia à la boutonnière, vous regardent de leur 
place avec des yeux qui semblent vous dire : Madame, je 
ne vous connais pas, mais vous êtes adorable; voulez-vous 
me faire l'honneur de danser avec moi? (s'aisejant derant le fen, 

et approchant ms pieds de la flamme.) PuiS , tOUt à COUp , pOUr UUO 

cause imprévue, il vous faut quitter le bal et retourner chez 
vous!... Adieu ia fête et les plaisirs si amoureusement ca- 
ressés!... (Âvee animatimi.) G'est justement ce qui m'est arrivé 
ce soir. — Mon mari el moi devions passer la nuit chez 
Inlîa. Nous étions arrivés depuis une heure. •• Les invités 
étaient nombreux... Des hommes du monde* des politi- 
queurs, des artistes, ce qu'à tort ou à raison Ton a l'habi- 
tude d'appeler le tout-Paris... Soudain, Gaston que j'avais 
laissé dans la salle de jeu, s'approche de moi et me dit à 
l'oreille : c Ma chère, donne-moi ton bras; nous rentrons. 
^ Déjà? — Il le làut. — Je voudrais bien savoir... — Tu ne 
dois pas savoir. — Pourtant, cette retraite précipitée a bien 
me rsÂsen? — Un de mes bons amis vient de me faire prier 
d'aller, sur-lenchamp, le rejoindre an club. Je n'en sais pas 
davantage. — C'est, paraît-il, pour une affaire très-grave? 
— Apparemment. — Et tu me quittes pour courir après ton 
ami? c'est dire que Je ne snis pas fa préférée.*^ Je te répète 
qu'il le faut. — Vons êtes trop aimaMe. » Là-deissas, il me 
ramène ici, pois, eonnne j'avais bondé tout le leng du che- 
min, remonte en Toiture après m'aveir souhaité une heu- 
reuse nuit. El me tx>ilà! (ua «lene».) Ahl c'est charmant, 
toml à fah chttnnaml... liasse encot« sH m^ytali qnftié 



LBS LILAS BLANCS 83 

pour une raison sérieuse... mais c'est son club qui l'attire, 
et je ne me plaindrai pas I Nous verrons bien ! (oebont, indigoée.) 
Je ne crois ni à son club, ni a cet ami qui, disait-il, le fai- 
sait demander 1... Le club est le bonhomme de paille auquel 
les maris frivoles font endosser leurs fautes... Le club cache, 
le plus souvent, la maîtresse pour laquelle, avant de se 
ruiner, on déserte la chambre conjugale 1 (paneiue.) Une 
maîtresse 1... ohl si j'en étais sûre!... si j'avais des preu- 
ves!... (Calmée.) G'ost ccla... Il n'y a plus à en douter... au- 
trement, pourquoi m'eût-il laissée lui qui, jadis, avait tant 
de câlineries pour moi ; lui qui me disait : « Ne regarde plus 
les étoiles sans quoi, j'irai les arracher du ciel pour t'en 
faire un collier. 9 (songease.) Il n'y a pourtant que huit mois 
que nous sommes mariés... Déjà huit moisi (Rèrant, allongée snr 
le sofa.) Ah! c'était délicieux les premiers jours!... Nous ne 
nous séparions jamais. — Il m'aimait beaucoup; moi, je l'ai- 
mais... un peu et lorsque nousf étions las de causer, assis 
l'un à cdté de l'autre, dans le kiosque, au fond du parc mys- 
térieux, nous passions des heures entières à nous regarder... 
Ses yeux avaient, dans l'ombre, des lueurs phosphorescen- 
tes; sa tête fine était entourée d'une auréole de lumière et, 
en m'avançant un peu, je voyais très-distinctement au-des- 
sous de sa bouche un petit signe que je baisais... D'autres 
fois, la nuit, nous allions faire un tour de bois en calèche. 
— C'était dans la belle saison; l'air était tiède. Des rayons 
de lune, jouant parmi les hautes futaies, coupaient de bandes 
lumineuses le sable des allées désertes... Les chevaux mar- 
chaient au pas, la tête haute, secouant leurs gourmettes... 
Les flaques d'eau éparses dans le gazon semblaient des frag- 
ments de miroirs brisés. Les feuillages sombres susurraient. 
Effrayées parla clarté rouge des lanternes, des mésanges ré- 
veillées en sursaut, déployaient soudainemeni leurs ailes et 
filaient droit devant nous, rapides comme des flèches, 
(otant ses braoeieti.) Moi , pcletounée daus uu coiu, les yeux 
clos, je faisais semblant de dormir... Alors, Gaston se pen- 
sait sur moi, prenait ma main, et ses lèvres brûlantes sê 



84 LES LILAS BLANCS 

posaient tantôt sur le poignet entre le gant et la manchette, 
tantôt là, sur le cou, derrière la nuque, pour y mettre un 
de ces longs baisers silencieux qui vous secouent de la tête 

aux pieds. (Tristement, a^c on sonpir de regret.) Maintenant, CO U'OSt 

plus ça!... Monsieur va au club... (Très-agitée.) Non, il ne va 
pas au clubl... landis que je 6uis seule, ici, à l'attendre, il 
me trompe, j'en suis certaine... Oh ! mais je me verfcrai... 
je me vengerai, et dès demain encore... (sue saisit son bonqaet et, 

de rage, le jette loin d'elle.) Ah I CO Sera facile , lOS OCCasiOUS nO 
manquent pas... (Ramassant le bouquet, repeiftante.) PaUVre inUOCOUt 

boaqueti j'ai passé ma colère sur lui, comme s'il était cause 
du chagrin qui m'arrive... Suis-je injuste!... Le voilà tout 
abîmé... Les tiges des lilas sont brisées... Louise le portera 
dans ma chambre et, cette nuit, son parfum bercera mon 
rêve. (Surprise.) Quo vois-jo! une lettre? — (Trèt-btrignée.) Une 
lettre écrite au crayon?... Voyons ça. — (usant.) c Je vous 
» aime, je vous aime éperdument! Mes regards vous l'ont 
» dit, sans doute, et c'est pour cela, cruelle, que vous m'é- 
» vitez. Moi, je meurs du désir de vous répéter ces mots à 
» genoux. Une occasion se présente ; laissez-moi en proûter. 
» Cette nuit, dès que vous vous retirerez du bal, chez vous. 
» Ne vous inquiétez de rien, toutes mes dispositions sont 

• prises. » (stupéfaite.) Pas de signature. (e11« pose son bouquet sur un 

guéridon.) Je parlais de vengeance tout à l'heure, la voilà la 
vengeance 1 L'occasion est belle, ce me semble, et si je vou- 
lais bien... (Réfléchissant.) Voyons, avaut tout, il s'agit de con- 
naître le nom de celui qui a osé m'adresser le billet. Je ne 
me suis séparée de mon bouquet qu'au moment où je pre- 
nais possession du piano afin d'accompagner Julia qui, 
vivement sollicitée, allait chanter le Vallon. Or, Julia était 
à ma droite, et, à l'autre bout du piano, accoudé sur 
la console, il y avait le comte Maxime de Ferry, l'aide de 
camp du général Boissier. Nous étions isolés dans notre 
coin. Les autres invités jouaient de l'éventail ou écoutaient 
à distance. (s'assoTant.) Si j'ai bonne mémoire, personne ne 
s'est approché de nous, personne. C'est donc ou Julia, ou 



LES LILAS BLANCS 85 

M. de Ferry qui a glissé ce billet parmi mes fleurs. Julia n'a* 
vait pas d'intérêt à le faire. Je la connais assez pour savoir 
qu'il ne lui viendra jamais à l'idée de se moquer de moi... 
Quant au comte Maxime, heul c'est différent... Ce poulet 
m'explique bien des choses et je commence à voir clair dans 
votre yeu, mon gentilhomme! (s'aDimant.) Pourquoi donc ve- 
nait-il à toutes les soirées auxquelles j'étais invitée?... 
Pourquoi donc papillonnait-il sans cesse autour de moi?... 
Pourquoi donc, quand il me regardait, ses yeux avaient-ils 
des éclairs?... Pourquoi donc, pendant la valse, lorsque, 
confiante, je m'abandonnais à lui, sa main pressait-elle si 
fort la mienne?... Folle que je suis Je n'avais pas vu celai... 
Ce soir, l'occasion lui aura paru favorable. Mon bouquet se 
trouvait à portée de sa main, il s'en est emparé sans que 
je m'en aperçoive, — cette musique était si difficile à déchif- 
frer 1 — et a traîtreusement caché sa déclaration sons ces 
lilas... Voilà bien les hommes : ils ne sont véritablement 
heureux que lorsqu'ils réussissent à détourner une femme 
du droit chemin. — C'est qu'il est très-beau garçon, le comte 
Maxime — un brun au profil mâle et fier avec de grands 
yeux veloutés, et puis, son teint chaud et doré, sa moustache 
fournie, lui donnent un air martial qui lui sied à ravir... 
(Emae.) Est-cc drôlc, mou cœur bat plus vite... Est-ce que je 
l'aime?... Ce n'est pas possible... je n'aime que Gaston, je n'ai 
jamais aimé que Gaston... Mais j'y songe : le comte Maxime 
va venir, il me l'annonce dans sa lettre et il viendra. (Trèr 
troDbiée.) Si mon mari rentrait!... que faire, bon Dieu! que 
faire? ^11 faut qu'il ait perdu la tête, ce comte 1 Un rendez* 
vous, chez moi, à minuit et demie!... quelle aventurel... Si 

je sortais? (Oaaa son tronble, elle Uiase le billet mr la cheminée.) Ah ! j'eU- 

tends le roulement sourd d'une voiture... (Regardant par lafenè- 
tie dont elle écarte karideani.) La voici... Elle ralentit sa courso ; 
elle s'arrête devant ma porte... La sonnette s'ébranle... je 
suis perdue !.«. Quelle audace!... Oser pénétrer ici à pareille 
heure!... que vont dire mes gens?... Je n'oserai plus les re- 
garder en face. (Oa frappe à la porte de droite.) C'OSt luî, JO me SCUt 



86 LBS LILAS BLANCS 

défaillir ! (E11« tombe assÎM. •— On frapp« de noQTefta. — Vime Toiz affûbliB.) 

Entrez 1 

SCÈNE II 

CEGILËy JULIA. SHe entre par la droite. — Toilette de soirée, un boaqiwr 

à la maie. 

GÉGILBy raperoerant, abasourdie. 

Toi ici!... que l'arrive-t-il? 

JOLIAy s'asseyent à <^t6 d'elb) sur le sofa. 

C'est à moi qu'il conviendrait de t^adresser cette question; 
ta es pâle comme un lis et tes mains brûlent. Qu'as;-tu? 

CÉCILE. 

Presque rien.- une simple contrariété. 

JUUA. 

Est-ce sérieux? 

GÉGILB. 

Je le crains. 

JITLlAy tendrement. 

AU temps heureux de notre enfance, j'étais ta confidente, 
je partageais tes joies et tes peines, je te consolais quelque- 
fois; pourquoi n'en serait-il plus ainsi aujourd'hui ? 

GBGILl, 

Tu as raison, je vais tout de dire... Tu t'es, sans doute, 
aperçue que Gaston s'a fait quitter ton bal de très-bonne 
heure? 

JULIA. 

En effet ; tous mes invités Tout remarqué. 

CiCILB, s'animent par degrés. 

Comme tu dois le penser, cette brusque sortie avait un 
motif 



LES LILAS BLANCS ^ 

JULIA. 

Qael motif? 

CÉCILE, indignée. 

Monsieur, mon mari me trompe, ma chère. 

JULIA. 

Gomment 1 . . . Gaston ?. . . 

GÉGILB. 

Oh I j'en suis convaincue I... C'est pour aller rejoindre sa 
maîtresse qu'il m'a ramenée... Il languissait probablement 
de la voir... Elle lui avait donné rendez-vous, et comme 
feu le roi-soleil, à cause de moi, elle a failli attendre!... 
(atoc des lannes dans la roiz.) Âprës hult mois de mariage, con- 
çoit-on cela! 

JULIA, moqueuse. 

Regarde-moi donc en face, grande enfant que tu es. 

CÉCILE. 

Non, j'aime mieux pleurer : les larmes soulagent. 

JULIA. 

G'est que, précisément, j'ai la prétention de les tarir, ces 
fameuses larmes. 

GBGILE. 

N'essaye pas de me dissuader, ce serait peJAe perdue. 

JULIA. 

Yeux-tu que je te dise où il est, en ce moment, ton gueux 
de mari? 

OÉGILE. 

Tu le sais? 

JULIA, fiieinent. 

£$t-ce <itte je ne nîs pas tout! 



88 LES LILAS BLANCS 

CÉCILE. 

Défends-le si tu peux; que fait-il, pendant que e me du 

sespère? 

JULiA. 

D'abord, il court le risque de s'enrhumer; ensuite, il y a 
gros à parier qu'il tempête contre Tami qui l'a chargé de 
cette mission délicate. 

CÉCILE, étonnée. 

Un ami?... Une mission?... 

JULIA. 

M. de Boucoyran a été gravement insulté, hier soir, au 
club, autour d'une table de baccarat, et il a chargé ton mari 
et le mien d'aller demander une réparation par les armes à 
son adversaire. Gomprends-tu, maintenant? 

CÉCILE. 

Pourquoi Gaston ne m'a-t-il pas parlé de cette vilaine af- 
faire? 

JULIA. 

Probablement parce qu'il a craint de t'inquiéter. 

GÉCILB, repentante. 

Et je TaccasaisI 

JULIA. 

Et peut-être, aussi, comme je le défendais, m'as-tu prise 
pour sa complice? 

CÉCILE. 

Je l'avoue. 

JULIA. 

Triple folle! 

CÉCILE. 

Oui, triple foUvf... Je tiens le bonheur, je sens cet oiseau 



LES LILAS BLANCS ' 89 

rare frissonner dans ma main, et au lieu de chercher à lui 
rendre sa captivité plus doace, j'ai failli Pétouffer. 

JULIA. 

A propos, tes larmes, ta jalousie, tes suppositions m'ont 
fait oublier que je suis venue pour quelque chose de bien 
plus grave. 

CÉCILE. 

Qu'est-ce encore? 

JULIA. 

Ne t'inquiète donc pasi... Pourrais-tu me montrer le bou- 
quet que tu avais au bal ?... Simple curiosité de femme. 

CÉCILE. 

Regarde derrière toi, sur ce guéridon. 

JULIA. 

C'est le mienl... J'en étais sûre! 

GÂCILB. 

Ce bouquet t'appartient? 

JUUA. 

Puisque j'accours pour te le réclamer I... Tu ne t'étais pas 
aperçue de l'erreur? 

CÉCILE. 

Pas du. tout. 

JULIA. 

Je l'avais posé sur la console du piano, près du tien, tandis 
que je chantais. En partant, tu es sortie si précipitamment, 
que tu as pris les Hlas blancs pour les roses^thé. 

CÉCILE, à part, ayee dépit. 

Ce n'est donc pas à moi qu'était adressé le billet I 

JULIA, loi donnant son bonqaet. 

A chacun son bien. 



IK) LBS LILAS BLANCS 

CÉCILE, hii rendant le sien. 

Voici tes lilas. 

JULIA, après aroir eonttaté rabsenoe dn billet. 

Plus de poalet!... (▲ part.) Ahl la fine moncfae! Je com- 
mence à comprendre... (nant.) Cécile, ta as tort den'ôtrepas 
franche avec moi; il y avait autre chose avec ce bouquet. 

GÂGILE, décontenaneée. 

Autre chose? 

JULIA. 

Un billet, probablement. 

CÉCILE, prenant le bJSlat resté sur la ehembée. 

Serait-ce ceci? 

JULIA, aprbs avoir la. 

Précisément. As-tu parcouru ces pattes de mouehat 

CÉCILE, d'an air indifliSrent. 

Le hasard les a mises sous mes yeux, eU.. 

JULIA, ralllease. 

Le hasard?... Ta as cru qu'elles étaient poor toi? 

CÉCILE, très-embarrassée. 

Dame, en admettant que le bouquet m'appartenait, il fal- 
lait bien admettre, comme conséquence, qu'il en était de 
même du billet. 

JULIA. 

Pauvre innocente 1 par quelles transes tu as dû passer «i 
m'entendant monter ton escalier? 

GÉGOA. 

J'en tremble encore. 

JUUA, aoorlanU 

Tu me prenais pour ïautre! Ahl comte Maxime, vous qtn 



LES LILiJ3 BLANCS %i 

êtes habitué à faire des victimes, que ceci vous serve de 
leçon; ne recommencez pas, sinon, tout hussard que vous 
êtes, nous allons vous tirer les oreilles... 

GÉGILB. 

Que feras-tu? 

JULIA. 

Je vais lui écrire que s'il ne cesse pas les ridicules préve* 
nances dont il m'accable, je communique sa lettre à mon 
mari. 

GÉGILB. 

Tu ferais cela? 

Je le crois parbleu bien; il est indispensable que je prenne 
ma revanche, (s'approchant de u cheminte.) Quaut à sa déclara- 
tion, traitons-la comme elle le mérite. 

Bile U brûle. 
cAcUiB, debout, pièe d'aï». 

Garde-moi le secret. 

JXJLIA. 

Je te fais la même prière... surtout, ne songe plus au 
comte de Ferry. 

Je te le promets... j'ai hâte d'oublier ce moment de fai- 
blesse. (Bruit lointain dn lonnette.) N'aS-tU paS eUteudu SOnUCr? 

lULIA. 

Si fait. 

GiGILB. 

C'est Gaston qui rentre. Je distingue le craquement de ses 
DOttes. 

IULIÀ. 

Je me saute. 

KU» Mort VM» k porta ai diMlt» 



92 LES LILAS BLANCS 

CÉCILE, U retenant et U conduisant yen la porte de gaaohe. 

Non, par la serre; à moins que tu ne veuilles lui dire 
bonjour. 

JULIAy s'enreloppant dani m pellMe» 

Ohl je n'y tiens pas du tout... 

CÉCILE. 

Merci de ta visite matinale. 

JULIA, droite dans l'entrebalilement de la porte, ion bonqnet à la mua» 

Bonne nuitl 

SCÈNE III 

CECILE, seule* 

Maudit bouquet ! me voilà délivrée de ce parfum malsain 
qui troublait la sérénité de mon foyer... Dieu 1 que je suis 
heureuse 1... 

SCÈNE IV 
CÉCILE, GASTON. 

GASTON, il entre par la droite ; habit noir, cravate blanche * le eel da pardessus 

tg relevA. 

Du feu, enfinl... brrl... 

CÉCILE, amonrensement* 

Gomme tu m'as fait languir! 

GASTON, arpentant le boudoir. 

C'est cet imbécile de Georges qui m'a mis en retard avec 
ses histoires... brrl... brrl... 



LES LILâS blancs 93 

GÂCILE) se pendant à ion eo«. 

Je t'aime ! 

GASTON. 

Tiens, ta ne boudes pins ? 

CÉCILE, m^mejen* 

Non, j*ai réfléchi... J*ai l'intention de signer un traité de 
paix* 

GASTON) se dirigeant yers le feu. 

Mil tant mieux 1... D'abord, si tu es aimable, tu vas me 
laisser réchauffer un instant; je grelotte. 

CÉCILE, le retenant. 

Tu te réchaufferas plus tard. 

GASTON. 

Sois charitable, ma petite femme, je t'assure que je susi 
transi... brr! 

CÉCILE, l'entraînant da côté de la porte de droite. 

Viens, je t'aime! 

GASTON, ee déUtlant iaiblemeDl. 

Sacrebleal mes pieds sont glacés! 

CÉCILE, eonriante, à Toix-baMê 

Viens, te dis-je, j'ai sommeil ! 



Fin DES LILAS BUVCS 



PREMIER AMOUR 



PAR 



M. PAUL BILHAUD 



PREMIER AMOUR 



Of Coquelin-Cadet. 



J'étais jeune alors et j'aimais I 
J'aimais comme on n*aima jamais I 

Ou, pour mieux dire, 
J'aimais comme on aime à seize ans, 
Lorsque le cœur, moins que les sens, 

Fait qu'on soupire. — 

Elle avait le nez retroussé l... 
Enfin, ce qui m'avait pincé, 

Elle était blonde I 
Blonde, d'un beau blond vaporeux; 
La seule couleur de cheveux 

Que j'aime au monde! 

Je l'adorais!... Oui, mais tout bas. 
J'enrageais! Elle n'avait pas 

L'air de comprendre. 
J'avais de grands élancements; 
Je suivais tous ses mouvements 

D'un regard tendre i... 
III. 



t8 PREMIER AMOUR 

Rien n'y faisait! — Enfin, un jour, 
Presque affolé par mon amour, 

L'âme égarée, 
J'allais... lorsque j'appris soudain 
Que, chez elle, le lendemain, 

Une soirée 



Se donnait. — J'étais invité. — 
« Tant pis! C'est la fatalité, 

» Djs-je en moi-même. 
» Auguste, allons, n'hésite pas ; 
» Il faut parler. Tu lui diras : 

» Oui, je vous aime! 

» Je ne puis vivre loin de vous, 
» Tenez, je suis à vos genoux.*. 

» Plus bas encore I 
» Répondez-moi, dites un motl... » 
Je la tutoierai, s'il le faut : 

« Oui, je t'adore! » 

Quelquefois ça ne fait pas mal. 
J'étais résolu. —- ' Pour le bal, 

Alors je pense 
A me faire beau, sédudeur, 
Pour que de moi tout sur son coeor 

Soit éloquence. 

Le matin, je me fis raser 
Tout frais; puis je me fis friser. 

Dans la journée, 
C'était tombé par la chaleur. 
Je retournai chez le coiffeur. 

Dans la soirée^ 



PRBMIER AMOUR n 

J'eus encor le désagrémenr 
De me défriser, en passam 

Dans ma chemise ; 
Et ma barbe avait repoussé I... 
Chez le coiifear je repassai 

Pour qu'il me frise 

Et qu'il me rase de nouyeaa. 
Enfin, bien pomponné, la pean 

Un peu brûlante. 
Mais cent fois moins que mon ardecr^ 
Au logis qu'habitait mon cœur 

Je me présente. 

J'avais des souliers neufs, vernis; 
Us étaient bien un peu petits, 

Mais la nature 
M'ayant fait le pied un peu grand» 
Il fallait corriger vraiment f 

Cette imposture* 

« Si mon pied lui tape dans l'œil, 

» J'en pourrai montrer quelque orgueilt 

V Dis-je en moi-même; 
» Car déjà c'est un grand bonheur 
» Que d'avoir un pied dans le cœur 

» De ce qu'on aime I » 

Et voilà pourquoi j'avais mis« 
Ce soir, des souliers trop petits. 

J'avais encore 
Autre chose en entrant au bah 
— On doit avoir un arsenal 

Quand on adore. ««» 



100 PREMIER AMOUR 

C était an mouchoir séducteur, 
Imprégné... non, trempé d'odeur; 

« Et si ma blonde, 
9 Me disais-je, danse avec moi, 
» Je tire mon mouchoir, ma foi, 

» EtjeTinonde 



v D'un parfum des plus enivrants. 
» Ayant ainsi troublé ses sens, 

9 Coûte que coûte, 
» Gomme elle n'entendra pius rien, 
» Alors, tant pis! il faudra bien 

» Qu'elle m'écoute!» 

J'allai l'inviter à valser. 
Elle accepta, sans balancer, 

Et je crois même 
Qu'en acceptant elle sourit. •• 
Seulement elle me promit 

Pour la quinzième. 

C'était bien un peu long, cela I 
Je ne dansai pas jusque-là 1 

Vive, animée. 
Je la suivais des yeux de loin. 
Le coude appuyé sur un coin 

De cheminée. 

Et quand je voyais un danseur 
Nouveau serrant avec bonheur 

Sa taille souple, 
D'un regard je le foudroyais!... 
Mais, en moi, pourtant, j'enviais 

Cet heureui couple. — 



»AEMIER AMOUR 101 



J'en avais déjà foudroyé 
Environ près de Id moitié 

Tout aatour d'elle, 
Qaand je sentis une douleur 
Tout à coup m'étreindre le cœur: 

Douleur cruelle 

Qui me fit frissonner, hélas I 
Et cependant ce n'était pas 

La jalousie 
Qui me faisait trembler ainsi. 
-^ Messieurs, j'ai grand besoin ici 

De poésie. — 

Vous avez aimé tous un jour> 
Et vous savez ce qu'est l'amour; 

On est très-bête 
Lorsque Ton aime, c'est un fait» 
Et la moindre chose vous fait 

Perdre la tête. 



Le moindre rien paraît charmant: 
Ainsi, par hasard, qu'un amant 

Tombe par terre, 
Si sur sa gauche est la douleur, 
Il s'écrie : « Ah ! côté du cœur I 

1» Blessure chère! » 

• 

Moi, je ressemble à cet amant 
Pour mon histoire, seulement... 

C'est le contraire. 
Au bal, je m'en souviens encor, 
Je m'écriai : « Côté... du cor I » 
Voilà l'affaire, 
m. 6* 



iOâ PREMIER AMOUR 

Vous concevez mon embarras: 
Gomment me tirer de ce pas 

Sans ridicule? 
Je pouvais à peine marcber, 
Je voyais mon tour approcher : 

« Si je recule, 



9 Si je refuse de danser, 

» Mon Dieu, que va-t-elle penserî 

» Hélas t sans doute, 
» Se fâcher, et non sans raison; 
» Et mon amour! mes projets! non, 

» Coûté que coûte, 

» Je surmonterai... )» Mais, hélast 
Je ne pouvais seulement pas 

Bouger de place. — 
Que n'a-t-on pu trouver encor 
Quelque remède qui du cor 

Nous débarrasse! 

Voilà ce qu'un gouvernement 
Devrait chercher évidemment 

Par une somme, . 
Un prix quelconque, à découvrir : 
C'est un moyen sûr pour guérir 

Le cor de l'homme! 

• 
« » 

Je vous ai dit que je souffrais 

D'aimer ! En vain je soupirais 

Pour cette femme! 
L'amour ignoré, c'est la morti 
Et pourtant je souffrais du co? 

Plus que de l'âme! 



PREMIER AMOUR iOt 

Ce qne je fis en cet état, 
Gomme c'est assez délicat, 

Je m'en vais prendre 
Une simple comparaison. 
Vous avez assez de raison 

Pour me comprendre. 

Prenons, par exemple, un habit 
Qui vous soit un peu trop petit 

El qui vous serre. 
Vous cherchez donc quelque moydià 
Pour que votre habit aille bien. 

Mais comment faire? 

C'est simple. Otez votre gilet, 
Mettez votre habit tel qu'il est» 

Et je suppose 
Qu'il vous ira parfaitement. 
Le gilet gênait simplement, 

Voilà la chose. 

Cet exemple doit vous montrer 
Gomment je pus me délivrer 

De ma souffrance. 
Oui, le cœur plein d'émotion, 
Soudain je sortis du salon. 

Pâle, en silence, 

Et, dans un endroit écarté^ 
Quittant... ma bottiue, j'ôtai... 

Dois-)e le dire? 
Pensez au moyen du gilet... 
je fis ainsi, j'ôtai l'objet 

De mon martyre. 



f04 PREMIER AMOUR 

Ma... noni je n'irai pas plus loin. *« 
Je la mis avec un grand soin 

Dans une poche, 
Puis, je revins au bal, content, 
Eprouvant un soulagement 

Dont rien n'approche. 

La quinzième valse, ô bonheur! 
Préludait. L'amour dans le cœur» 

la joie aux lèvres, 
J'allai vers elle, elle sourit, 
Je l'enlaçai, mon corps frémit 

De mille fièvres, 

• 

Hais je ne pouvais pas parler. 
Je commençais à m'essouffler, 

* Et sur ma joue 
Je sentais monter la rougeur. 
Je m'arrêtai, car j'avais peur. 
Je vous l'avoue, 

De paraître rouge à ses yeux ; 
C'est si laid pour un amoureuxl 

a L'instant suprême 
» Approche, allons, c'est le destin, 
» Dis-je; il faut qu'elle sache enfin 

Tt Combien je l'aime I » 



Je me souvins de mon mouchoir 
Que j'avais, dans le doux espoir 

D'un tête-à-tête, 
Imprégné d'un parfum divin 
Qui devait m'assurer enfin 

De sa défaire 



\ 



PREMIER AMOUR 105 

En Tenivrant. • C'est le momeni, 
» Me dis-je, allons 1 » Et, gravem^t, 

Sans rien lai dire, 
Mais ne la quittant pas des yeux 
Pour mieux voir Teffet merveilleux, 

Alors je tire 

Mon mouchoir. — Mais elle partit 
D'un grand éclat de rire, et dit : 

c -^ Monsieur Auguste! !... » 
Amour, voilà bien de tes coups 1 
l'avais retiré» savez-vous 

Quoi? Ma... tout justel 



toi m punn Alool 



VALENTIN 



COMÉDIE BN UN ACTE 



PAR 



H. JULES GLARETIE 



PERSONNAGES 



LB GOMTB. 

LA. COMTESSE. 

TALENT I If y ralet do chambra» 



M87t. 



VALENTIN 



Un petit saloa Alégant, près an ptre MonoMu. ^ I87t 

f 



SCÈNE I 

LA COMTESSE, VALENTIN, «UtttttftDM 

Taleotin est an grand garçon, fort élégant, la profil régulier, d'aapeet claiaiqiM, lag 
faToris longs et irréproehablement taillés ; l'air d'nn diplomate, n'était sa livrée 
qu'il porte fièrement : enlotto eonrte, bas blancs bien tirés, et faisant saillir des 
mollets nerreoz. — La comtesse fsniliette on livre. 

LA COMTESSE, à part. 

Jamais cette lecture ne m*a causé une telle émotion 1 J'en 
suis vraiment troublée... Suis-je sotte! (iYaientm.) Valentin, 
rapportez ce livre dans ma bibliothèque. (Vaientin s'approcbe.) 
Non, au fait, je le garde, (a part.) Ce garçon n'aurait qu'à 
examiner le titre, à réfléchir et à deviner ce déplorable se- 
cret. Ces gens-là sont fins comme des limiers de police I 
— Allez,ValentinJe n'ai plus besoin de vous t (lUe reprend, aree i» 

SûQnir, la lecture de son livre. Tout àsoap un brait de cristal brisé la Csit légère* 

sent bondir.) Eh bieul quoi? Qu'avez-vons fait, Val^tin? 
III. 7 



110 YÀLENTIN 

YALBNTINy confos et on |wa ronge. 

Madame la comtesse me pardonnera... J'avais cru voir là 
an grain de poussière, je me suis approché... et... en souf- 
flant.... comme ça... ça s'est cassé! 

LA COMTESSE, aree dépit. 

Ohl ma jolie coupe de Venise! Les ouvriers de Murano l'a- 
vaient fabriquée pour moi, lorsque nous avons visité... mon- 
sieur le comte et moi, (a part.) le comte était charmant 
alors! (Haut). Un bijou, cette coupe! A mes armes! On >n'est 
pas plus maladroit que vous, Valentin! Vous êtes insuppor- 
table! vous cassez, vous brisez!... Une œuvre d'art! un ob- 
jet nniquel... Quel malheur! 

VALENTIN, ramassant les éelats da yerre. 

Oh! madame, il y a un Auvergnat, -- un voisin — le 
beau-frère de madame Ernoux, la charbonnière » qui rac- 
commode ces choses-là si bien, si bien... que ça double leur 
valeur 1 

LA COMTESSE. 

Vous êtes un sot!... Ah ! ma pauvre jolie coupe!... Je suis 
agacée à an briser une seconde... si j'avais le pendant! 



SCÈNE II 

Les HÊMES, LE COMTE. U «st eorraetamwt rm, a laâerft.«M lawto, 

•ans affectation. 

LE COMTE, la lorgnon à l'oU, rtgMdaot VakDtin. 

Eh bien! auôi encore? 

LA COMTESSE. 

Ne m'en pariez pas! Ce Valentin... Mon souvenir de Ha* 
rano, vous savez bien? 



VALENT IN 



lii 



LB COMTE, flegmatiqaement. 

Ahl oui ! la petite coupe? Eh bien, mais, chère amie, c'est 
moderne ça! ça peut se retrouver! Ce que je reproche bien 
autrement à Yalentin, c'est ce vieux Delft de l'autre jour... 
Enfin, il ne le fait pas exprès. N'est-ce pas, Yalentin? vous 
ne le faites pas exprès ? 

VALENTINy ^ a acheré de ramasser les fragments. 

Comment, monsieur le comte pourrait-il croire?... J'ai 
d'autant plus le respect des bibelots, que je suis amateur 
moi-même... J'ai commencé une petite réunion de faïences... 
Et je serais même bien heureux et bien flatté de descendre 
l'embryon de ma future collection, si monsieur le comte 
voulait me faire l'honneur de jeter un coup d'œil sur... 

LÀ COMTESSE. 

Bienl bieni (ab eoMi«.) Vous allez souffrir que votre valet 
de chambre vous propose de visiter sa galerie, maintenant? 

Le oomta se met à i 



Allez, Yalentin! 



LB COMTE. 



TALJSNTIN. 



Madame la comtesse veut-elle que Je porte ces débris à 
l'Auvergnat dont j'ai parlé à madame la comtesse? 

LA COMTESSE. 

Nonl non! jetez cela, ou gardez-le pour votre... collec- 
tion, puisque collection il y a. (se reprenant Tirement.) Mais UOU... 

non... jetez ce verre! jetez-^le, vous m'entendez! (a part.) Il 
n'aurait qu'à le conserver comme un souvenir! 

ttaort. 



fis TALENTIN 



SCÈNE III 



LE COMTE, LA COMTESSE. 



LE COMTE. 

Sa collection ! pourquoi pas son Musée? Il est fort drôle, 
ce Valentin! Je ne sais pas s'il est très-dévoué, mais il est 
drôle. Il m'amuse! 

LA COMTESSE. 

Le fait est que vous avez un faible pour lui. l'ai beau me 
plaindre de sa gaucberie, de sa maladresse, vous trouvez 
toujours une bonne raison pour me démontrer que c'est par 
dévouement qu'il met en miettes les objets auxquels je tiens 
le plusl 

LE COMTE. 

Et ce n*est pas du tout un paradoxe. Valentin déteste la 
poussière. Il lui fait la guerre, et^ comme ces soldats qui 
ravagent un champ de blé en chassant l'ennemi, il casse... 
Par excès de zèle! 

LA COMTESSE. 

Vous prenez les choses gaiement, vous! 

LE COMTE. 

Je suis de mon temps. Le drame n'est plus à la mode. Et 
puis que deviendrais-je si je tournais tout au tragique? Te- 
nez, par exemple, chère amie, —sans reproche ^ vous êtes 
avec moi d'une froideur... terrifiante. On ne traite pas 
comme vous le faites un mari qui est, en somme, un fort hon- 
nête homme, et très-sincèrement épris de sa femme. Vous 
riez? Je vous donne ma parole d'honneur que je vous aime! 



YALBNTIN ii3 

LA COMTESSE, aouplniit» 

Ce ne sont pas là des choses qui se jurent, ce sont des 
choses qui se prouvent. 

LE COMTE, aree btratioik* 

Vous me mettez si peu à l'épreuve, comtesse 1 

Il Tent s'approdicr. La eomtesM m recule. 
LA COMTESSE. 

Et madame de Brives ? lui avez-Yoos juré ou prouvé que 
YOUsTaimiez? 

LE COMTE. 

Ni prouvé, ni juré. Parole d'honneur. 

LA COMTESSE. 

Encore I Vous m'avez déjà donné tout à l'heure cette pa- 
role-là... Vous la dépensez un peu trop en petite monnaie 1 

LE COMTE. 

Point du tout, ma chère. C'est une pièce d'or qui court, 
mais qui ne perd pour cela pas une fraction de sa valeur. 

LA COMTESSE. 

Toujours est-il que tous jouez avec madame de Brives cette 
comédie de société... Ciomment donc appelez- vous la pièce? 
Ahl « Frontin et Marion! i» Et je trouve que vous répétez 
bien souvent I 

LE COMTE. 

La pièce n'en sera que mieux jouée !... Mais vous n'avei 
guère sujet de vous inquiéter ! C'est monsieur de Brives lui- 
môme qui est notre souffleur ! 

LA COMTESSE. 

La belle raison I Avec ça que le souffleur y voVc toujours 
clair 1 

LE COMTE. 

Eh bien, mais, il y a un moyen de tout arranger. Madame 
de Brives est assez désolée de jouer une soubrette. Elle ne 



114 VALENTIN 

se voit, comme elle dit, que dans les grandes coquettes. 
Prenez son rôle. Vous serez Marton^ je serai frontin^ ce 
sera cbarmant. 

LA COMTESSE. 

Ma foi» noni 

LE COMTE. 

Ce ne serait pas charmant ? 

LA COMTESSE. 

Je ne dis pas celai je dis : « Ma foi non Je ne jouerai pas la 
^comédie avec vous! » Je suis un peu de Tavis de madame de 
Brives, je trouve qu'il n'est pas fort agréable de jouer ma- 
demoiselle Marton. Pourquoi donc avez-vous choisi cette 
comédie-là? On a l'air de représenter sa femme de chambre 
et son domestique. 

LE COMTE. 

Justement. C'est une petite débauche qui a son prix. Vous 
me croirez si vous voulez , j'ai étudié, pour mieux entrer 
dans le personnage, la démarche de Valentinl 

LA COMTESSE. 

De Yalentin? 

LE COMTE. 

De Valenlin. Vous n'avez donc pas remarqué que c'est un 
type, ce Yalentin? Superbe d'abord 1 Et d'une élégance 1 Oa 
se demande parfois où ces gens vont prendre cette race-là I 

LÀ COMTESSE, tronbléo, Untanl*. 

C'est vrai. 

LE COMTE. 

C'est même une chose qui m'a toujours profondément 
frappé et humilié, dans les réceptions, cette différence entre 
les valets de pied et les invités, différence qui n'est pas ton* 
jours — tant s'en faut! — en faveur des personnes nées! 
Cela ferait croire à de petites anecdotes/étrospectives et à ce 
qu'on appelle l'atavisme! 



VALENTIN 115 

LA COMTESSE, 

Oh 1 mon cher comte, je voas en prie, défaites* vous, au 
moins pour moi, de ces grands mots scientifiques qui me 
font Teffet de gros mots, si bien qu'on se demande quand 
on les entend prononcer, s'il faut sourire ou rougir. Ata- 
visme 1 Je lis la Revue, mais quand je rencontre ces anicles- 
là, je les passe, vous le savez bien I 

LB COMTE. 

Et vous avez tort. La poésie est une belle chose, mais la 
physiologie en est une autre. Il faut tout connaître. Qu'est- 
ce que vous lisiez donc là justement? (u prend le Urre.) Ruy- 
Bios! 

LA COMTESSE, émue. 

Quel beau drame I Quels admirables vers! À la bonne 
heure, il n'est pas question de votre physiologie et de votre 
atavisme là-dedans 2 

LS COMTE. 

Comment ! il n'en est pas question ? Un laquais aime une 
reine d'Espagne, une souveraine adore un laveur de vais- 
selle, et vous ne trouvez pas qu'il y a là une puissance 
physiologique évidente? 

LA COMTESSE. 

Allons, bien ! vous me rappelez votre docteur Bidois lors- 
que vous discutiez histoire naturelle 1 Si l'on vous croyait, 
il n'y aurait que le matérialisme en ce monde 1 

LB COMTÉ. 

Bon I me voilà matérialiste à présent!.. Dénoncez-moi tout 
de suite à ce père oblat, qui vous confesse! Je dis, nia chère, 
que si la reine d'Espagne aime Ruy-Blas, c'est que l'amour, 
cette attraction instinctive, ce... cette.t. je vous passe la dé- 
finition scientifique... l'amour donc, se moque complète- 
ment des distances et des distinctions sociales et que..* 



V ' 



H6 VALKNTIN 

LA GOBITESSB. 

Mon cher eomte, je tous préviens charitablement que 
vous allez dire des sottises. Ruy-Blas est on drame admi- 
rable, m lis je vous assure que c'est un conte de fées. Une 
grande dame ne peut pas aimer un domestique... 

LR COMTB. 

Vous êtes, je n'oserais pas dire naïve, mais candide, chère 
miel 

LA. COMTBSSB. 

Je parle d'une honnête femme ! 

LE COMTE. 

Et moi aussi ! 

LÀ GOIITBSSE. 

Une honnête femme peut aimer son domestique? 

LE COMTE. 

Parfaitement. Et je ne songe, notez bien, ni à madame de 
Yarens ni à Jean-Jacques Rousseau. 

LA COMTESSE, appuyaot sor la mot. 

Son do-mes-tique? Quelle folie I 

LE COMTB. 

MaiS) ma chère, le propre de Tamour est d'être une folie. 
Je ne vous dirai pas que cet amour sera le pur amour de 
Pétrarque pour Laure ou du Dante pour Béatrix... Mon 
Dieu, ce sera Famour-caprice, Tamour-appétit, i'amour- 
fièvre chaude... l'amour... Vous allez me faire tomber encore 
dans la physiologie I 

^ LA COMTBSSB. 

Non! noni Ohl de grâce noni Vous avez des façons de 
couper les ailes à la chimère et de les disséquer ensuite 1... 



VALENTIN H7 

LE COMTE. 

Eh bien, chère amiey— pour rester dans la littérature: — 
avez-YOUS lu la Marquise de madame Sand? 

LA COMTESSE. 

Non. 

LB COMTE. 

Cela m'étonne, (u'est une petite nouvelle, cette Marquise^ 
et c'est un chef-d'œuvre. 11 s'agit là-dedans d'une grande 
dame fort honnête comme celle dont tous parlez, et qui 
s'éprend— mais éperdument — d'un comédien, un certain 
Lœiio,qu'elle aperçoit au théâtre... de loin. Elle s'en éprend 
si bien que la tête lui tourne et qu'elle écrit à ce monsieur 
de la venir consoler. Oui,vrairoent. Mais, — et voilà le piquant 
de la nouvelle, — lorsque le bellâtre arrive chez la marquise, 
il n'a plus ses vêtements de théâtre et la marquise vient d'être 
légèrement saignée par son docteur. Oh I une piqûre ! Seu- 
lement il en résulte que le paon déplumé— je parle du comé- 
dien — n'est plus qu'un geai et que la petite saignée a em- 
porté la grande passion... pzttl... Vous détestez la physio- 
logie, chère amie, mais en voilai 

LA COMTESSE, soDgenie. 

Quoi! une saignée?... 

LE COMTE. 

Une saignée. Une sangsue. Ou un simple changement de 
costume. Une redingote au lieu d'un pourpoint, un pantalon 
à carreaux au lieu d'un maillot de soie! Et, addio! voila un 
amour envolé ! 

LA COMTESSE. 

Vous croyez vraiment que le costume?... 

LE COMTE. 

Vous êtes trop artiste pour n'en pas convenir. Le costume, 
e'est l'uniforme de l'illusion ! Pourquoi y a-t-il tant de maî- 

III. 7. 



lia VALBNTIN 

tres-sots qui s'éprennent, à travers la rampe, de certaines ac« 
triées qu'ils ne remarqueraient même pas s'ils les rencon- 
traient dans la rue? C'est qu'ils s'imaginent qu'ils ont pour 
maîtresses la Tisbé de Hugo, la Garmosine de Musset, ou 
-^^icore la reine de Navarre!... 

LA COMTESSE, Urajoura soDgeose. 

C'est possible! —Seulement, remarquez-le bien, vous me 
parlez d'un comédien, et non d'un domestique. On peut en- 
core aimer un ténor, mais un valet de chambre ! 

LE COMTE. 

C'est de la casuistique, ça t La Marquise de madame Sand 
dérogerait-elle beaucoup plus en adorant un laquais an lien 
d'un cabotin? Et, à tout prendre, Valentin, je suppose — 
oui, je vous ennnie de ce garçon-là, je vous demande par- 
don, — mais Valentin doit avoir les ongles plus nets que ce 
monsieur qui chantait cette chansonnette, l'autre soir, dans 
cette féerie, vous savez?... 

LA COMTESSE. 

Valentin! — Encore Valentin ! — Toujours Valentin I — 
On jurerait que vous avez pour voure Valentin quelque 
chose comme de l'admiration ! 

LE COMTE. 

» 

Et vous vraiment, ma chère, vous vous acharnez contre ce 
pauvre diable, — permettez-moi de vous le dire, — sim- 
plement parce qu'il me plaît, à moi ! 

LA COMTESSE. 

Ah! en vérité?... Vous croyez que c'est tout uniment pour 
?ous être désagréable que je troave votre Valentin insup- 
or table? 

LE COMTE. 

Dame 1 ce balourd de Pierre cassait bien autant de verrez 



YALENTIN U9 

rie» ou de faïence? que Yâientin, et vous n'aviez jamais 
contre lai un mot on seul. 

LA COMTESSE, Tirement. 

Eh ! Pierre était ridicule, slupide, niais comme un Jean- 
not de vaudeville... 

LE COMTE. 

• 

Eh bien? — Vous n'allez pas vous plaindre parce que Va- 
lentin a la correction d'uu huissier d'Académie? C'est une 
qualité. 

LA COMTESSE. 

Et, avec votre belle passion pour lui, vous lui avez re- 
nouvelé sa livrée, de telle sorte que dans Thôtel on ne peut 
Mve un pas, même dans mon boudoir, sans le rencontrer, 
tout battant neuf, se carrant dans ses habits et reluisant 
comme une châsse 1 

LE COMTE. 

Il est magnifique, je Tavoue. Je le trouve magnifique. J'ai 
des envies de lui demander sa photographie l 

LA COMTESSE. 

Pour notre album peut-être? Mais vous êtes fou, mon 
cher comte! 

LE COMTE. 

Allons, comtesse, soyez charitable. Le père oblat doit vous 
prêcher la charité. Pardonnez à ce malheureux Valentin, et 
laissez-le moi. Je ne m'occupe pas de savoir si vos femmes 
de chambre sont rousses ou châtaines et si elles me plaisent 
ou me déplaisent. Valentin est à mon service, je garderai 
Valentin jusqu'à ce qu'il ait brisé toute ma vitrine! 

LA COMTESSE. 

Eh bien, en ce cas, qu'il reste au moins dans votre appar- 
tement particulier. Il m'ennuie, votre Valentin. lime donne 
sur les nerfs! 



4tO YALENTIN 

LB COMTE. 

Vous Texilez?.... (atm roproehe.) Gomme iToî... dans cet ap« 
parlement... là-bas... la Sibérie... tandis qu'ici... 

Il montr» da regard U pocit ds droite qui mèDe aux eppartemeots de la comtesse. 

LA GOUTESSE. 

Ici? 

LE GOIITE. 

Ici, c'est Venise, c'est Florence, c'est Grenade, c'est ce 
que vous voudrez, mais c'est le soleil I... 

u tend la main pour prendre U main de la comtesse. 
LA GOITTESSE, reUrant sa mab. 

Allez donc chez madame de Neirens. L'heure de la répé- 
tition doit être venue, et il ne faut pas faire attendre madame 
de Brives. Bonjour, Frontin ! 

LE GOlfTE, souriant. 

Le nom ne me choque pas. Et il me ferait tant plaisir, si 
vous vouliez être... 

LA GOIITESSB. 

Si je voulais être? 

Ll GOlfTB. 

MarUm I 

LA COMTESSE. 

G'est un moi qu'il faut garder pour madame de Brives. 
Adieu I 

LE GOMTE. 

Méchante 1 (Regeniuitsa montre.) Vous avcz raisou, au fait. 
On m'attend. Et c'est la répétition générale! En costume !... 

n sort après aroir salué la comtesse qni reste senle et regarde son livre ea 
boebaot la téta. 



TALENTIN 121 



SCÈNE IV 

LA COMTESSE, moI*. 

Il ne comprend rien, tenez I ... Mais rien de rien I Ce serait si 
simple poartant de jeter ceValentin à la porte ! Qae non pas I... 
Il raimel II le trouve magnifique! — Un homme intelligent 
poartant, monsieur mon mari 1 — Un amateor de physiologie ! 
Un savant! Et il vient là me prouver qu'une femme — quelle 
€i3pèce de femme, je vous le demande? — peut aimer son do- 
mestique IRuy-BlasI Jean-Jacques Rousseau! Lœlio! La Mar- 
quise! Tout cela tourbillonne dans ma tête! — Se faire sai- 
gner? — Quelle barbarie!... Et quelle sottise! Un coup de 
lancette guérissant d'une passion ! Est-ce possible? Ce serait 
donc cela, la passion? Pouah! Mais c*est qu'il faut bien me 
l'avouer, ce Yalentin, je... je... Non jamais je ne pourrai me 

confier à moi-même que je... (Slle regarde aatonr d'elle «760 one eon- 
liuioa é^erdae.) qUO JO Taime I (Portant toi mains à sas oroiOes.) Ah ! je 

ne veux pas même entendre cela ! c'est odieux ! c'est hideux! 

c'est laid! (Atm foreo.) c'est faux!... (AUant et Tenant dans le potit 

fabn.) Oui, certes, c'est faux! Je le déteste au contraire, ce 
grand vilain beau garçon qui ressemble à ces têtes de cire 
qu'on ne voit plus, Dieu merci, aux devantures des coif- 
feurs!. ..Une caricature, ce Yalentin! La caricature de l'élé- 
gance, avec sa cravate blanche nouée géométriquement, ses 
favoris rectilignes, sa tenue d'une politesse insupportable... 
D'ailleurs il a le dos voûté. .. Oui certainement, il est voûté. •• 
'très-voûté... Et ses bas blancs! Us tirent l'œil comme des 
taches qui marcheraient! — Pourquoi les gens dii monde 
ont-ils renoncé à la culotte courte ? C'était gracieux ! — Je 
les vois toujours, les affreux bas blancs de ce Yalentin ! Les 
attaches sont élégantes, soit, la jambe est bien prise, c'est 
vrai... Si je dessinais encore, je dessinerais cette jambe-là... 



122 YALENTIM 

Eh I bien, qu'il se fasse modèle, monsieur Yalentin ! Voilà 
une profession toute trouvée I Modèle I — Il trouvera peut- 
être une vieille Anglaise qui s'éprendra de sa beauté ! — 
Mais on n*est pas sot, on n'est pas désagréable, on n'est pas 
ennuyeux comme cet Antinous en culottes courtes I Et le 
comte qui n'en a pas déjà sur les nerfs I Mais à quoi 
pense-t-il, le comte? — A en faire l'éloge voilà! Que ce 
Yalentin soit du monde et le comte ne tarirait pas de louan- 
ges, certainement I Et il l'inviterait tous les jours et il le 
précipiterait dans son intimité avec une furie... Décidément 
le premier complice des femmes qui tombent, c'est le mari! 

(On •otoMl da linit.) Qul YlOUt là? 



SCENE V 
LA COMTESSE, YALENTIN. 

YALENTIN. 

C'est moi, madame la comtesse l 

LA COMTESSE, aree hameor. 

Encore vous 1 toujours vous I 

VALBNTIN. 

Je demande pardon à madame la comtesse, mais mon- 
sieur le comte a, m'a-t-il dit, laissé sur la console le rôle 
que monsieur le comte doit aller répéter et comme mon- 
sieur le comte achève de se costumer... 

IiA COMTESSE, l'intanompait. 

Sur la console? Voyez si c'est ce papier-là... (eus montre om 

broehnra à T«lttitin qui t'approche graToment de la console, saluant en passant de- 
vant la eomtesse. *• Begardant Valentin marefaer, et à part en faisant la motte.) 

Et même comme modèle i... Peuh !... Les pieds sont énor- 



VALBNTIN 123 

mes!... Enormes!... Des pieds de géant I Ces bas blancs 

seuls... (yalentin poossa an eri.) QuOi enCOre ? 

▼ALENTIN. 

Madame la comtesse me pardonnera... je n'ai aujourd'hui 
vraiment pas de chance... Ce drageoir... 

LÀ COMTESSE. 

Il est brisé? 

TALEimN. 

Non, madame la comtesse^ mais en prenant la brochure; 
j'ai poussé contre la glace... 

LA GOlfTBaBB. 

Elle est cassée, la glace? 

YALENTIN. 

Non, madame la comtesse, la peur, voilà tout.. J'aurais 
été désolé! Un des émaux du drageoir a seulement... Mais 
avec une pâte spéciale... TÂuvergnat... 

LA GOIITESSB. 

Bien, bien, casses, brisez, vous ôtes chez vous, ici, mon- 
sieur Yalentin ! monsieur le comte vous le permet I Mettez 
tout en miettes. Monsieur Yalentin I Seulement vous me ferez 
\e plaisir de ne plus rien casser dans ce petit salon. Yous dé- 
léguerez vos pouvoirs à Fanny. Elle s^acguitte de ce soin à 
merveille. 

VALBNTIN. 

Madame la comtesse est indulgente... (on entend u toîx da 

eomte appelant Valentin.) G'OSt monsiOUr lO COmtO qui... (Répon- 
dant.) Yoilà ! voilà I monsieur le comte ! 

La porte s'oarre et le oonte parait, eostnmé ea valet de eomédie da xtui* aie" 
«b. habil nise, edotla eoute, aoaiien A hamUB et bat fataaf*' 



194 VÀLENTIN 



SCÈNE VI 

£bs BIébieS) le comte, «ottu» à» ^Wwtti. 

LB COMTE. 

Portez cette lettre à son adresse, Valentin ! 

LA GOMTBSSBy regardant le fBomte et pooMaat no ai» 

Ah ! mon Dieu 1 

LB GOMTB. 

Quoi donc-? 

LA GOMTBSSB. 

Regardez-moit... Là!... Ohl comme c'est curieux 1 

LE GOMTB. 

Je vous présente monsieur Frontin. Seulement, après 
avoir eu l'ennui de m'habiller, je vais avoir celui de ne pas 
répéter aujourd'hui. Madame de Brives à décidément rendu 
son rôle à madame deNeirens. Elle se réserve pour les Gé* 
limènes. 

LA GOMTBSSB. 

Et vous êtes désolé?... Naturellement? 

LB GOMTB. 

Et j'écris à madame de Neirens que j'attendrai une nou- 
velle Marton pour aller répéter de nouveau. Allez, Valentin 1 

LA GOMTBSSB, à Valentb. 

Attendez! (BUeftùtsigneàVaieiitmdaiortir.) Vous ne porteres 
eette lettre que lorsque monsieur le comte vous le dira! 

Valentm •'iuelbiê tt fort. 



YALENTIN 1S5 



SCÈNE VII 

LE COMTE, LA COMTESSE. 

LÀ COMTESSE, éelaUnt de rir». 

Que vous êtes... original sous ce costume I 

LE COMTE. 

« 

Moi? Vous me trouvez grotesque peut-être? 

LA COMTESSE. 

Pas du tout. Retournez- vous donc! Cela vous va mieux que 
'l'habit noirl... Il est fort laid, Thabit moderne!... Et le cha* 
peau haut de forme... Au lieu que ce kimpion — c'est bien 
le mot, n'est-ce pas? — hardiment planté sur le coin de l'o- 
reille!... Vous êtes fort bien, ainsi; savez vous?... Vous 
avez l'air d'un Meissonierl —Gomme c'est bizarre! Mais vous 
avez la jambe fine, mon cher comte!... Et dans quelle co- 
médie, — je ne m'en souviens pas, — Samson> l'acteur, 
'était-il chargé de dire qu'il n'y a plus de mollets depuis la 
Révolution ? 

LE COMTE. 

Eh bien? 

LA COMTESSE. 

Eh bien, mais la Révolution n'a pas tout pris à votre fa- 
mille, mon cher comte, ma parole d'honneur, —c'est votre 
mot, — vous avez des mollets I 

LE COMTE. 

C'est ce que me^ disait tout à l'heure Valentin ! 

LA COMTESSE, ricat. 

Ah! ne me parlez pas de votre Valentin, mon ami! — 
Savez-vous pourquoi je ris? C'est que vous lui ressemblez ! 



126 



Est-ce ridicule ? 



VàLBNTIN 

LE COMTE. 

LA comtesse: 



Pas le moins da monde. Mais votre fameuse théorie du 
costume...? 



LE COMTE. 



L'illusion? 



LA COMTESSE. 

Le prestige du comédien I 

LE COMTE. 

Eli bien? 

LA COMTESSE. 

Eti bien... rien, mon cher comte!... Une idée I (EUe wnrit.) 
Mais vous me parliez tout à l'heure du rôle de Marton... 

LE COMTE. 

Je vous dirai encore : eh bien ? comtesse. 

LA COMTESSE, tendrement. 

Voulez-vous que J'essaie de vous donner la réplique, maî- 
tre Frontin? 

LE COMTE, aTM joie. 

Vous consentiriez!... Vous, comtesse?... Ma chère Blan- 
che 1... Âttendezi.- (AppHant.) Valentin! Valentinl (suene«J 
Où est-il passé?... Valentin! Valentinl... Vous comprenez, 
chère amie, que je veux ajouter un post-^criptum à ma lettre 
à madame de Neirensl... Valentin ! Valentin !... Je veux lui 
dire que j'ai trouvé Marton! la Marton idéale I... Valentin! 
Valentin! (nwnne.) Ah! par exemple, si le drôle me fait éou- 
vent attendre ainsi, je vous obéirai, ma chère^ etie le Jetterai 
À la porte. 



VALKNTIN 127 

LA COMTESSE. 

 qaoi bon? C'est on garçon inoffensif... an bout du 
compte ! 

LE COMTE, aHant à la feoètre. 

* 

Et le voilà dans la cour, tenez 1 flirtant ayec cette grosse 
fille blonde... la charbonnière, ma foil 

LA COMTESSE. 

Une cbarbonnière! L'horreur 1 

LE COMTE. 

Elle est veuve, elle a de Targent, il l'épousera 1 Valentin i 
Valentinl... Il n'entend pas!... Je vais sonner Laurent I 
Quant à Valentin il casse énormément» vous avez raison, il 
casse trop I 

LA COMTESSE. 

Mais il a un moyen pour tout réparer. Ne vous occupez 

plus de Valentin. — Et venez répéter, (Ooaeement et tendremeot.) 

Frédéric 1 



flH DB TAuorrin 



INDÉCISION 



MONOLOGDS 



M. CH. DE SIVRY 



PERSONNAGE 



L'iHDtCIB >•«••« M. COQ0fiL;R-CADBT. 



INDÉCISION 



Dois-je épouser ma consine blonde avec qm j'ai yalsé, 
mercredi, chez madame de Trois-Etoiles? Voilà, (u met se* 
eaats.) Parbleu!... d*abordI... vie de famille... adorable!... 
foyer... longues soirées d'hiver... piano... trës-étouffé dans 
un coin... table ronde... lampe... abat-jour rose... dentelle... 
ouvrages à Faiguille... Charmant tout ça,la poésie de l'inté- 
rieur... Intérieur!... intérieur! (ministère de l'intérieur!!!) 
oui, mais, voilà... vissé... garrotté... (n ôta ms gaats.) la corde 
au cou.», au cou... la corde. Tandis que libre... Amanda, 
Ghînetta, Musidora (ahl les noms en À).», plus jamais !...ja. 
mais!!! Mon Dieu, si, tout de même... parfois... ce n'est pas 
une raison parce que... oh! mais pas souvent... oui, mais 
alors des scènes... des larmes... des histoires! J'ai ça en 
horreur... grave I... très-grave 1 1 1... très-grave tout ça . . 
NON! 

Après tout, question d*hab)leté!... et puis les femmes ont 
tant d'amour- propre... ne se doutera jamais... lui jurerai... 
dirai : « Jamais aimé que vous... » (u remet lesgaDtf.). Et 
puis, pas mal, cousine... jolie, môme... petit nez... yeux... 
bouche... Drôle de devenir amoureux de sa femme... mal 
porté.*. Pourquoi pas?... Tamant de ma femme?... très-ori- 
ginal I... Son amant... son second père... sa seconde mère... 
sa mère!!!!... Sa mèrel... elle lut ressemble (d'après un 
pastel)... il y a longtemps... (du temps où Ton faisait encore 



132 INDÉCISION 

des pastels!) C'est navrant... (se reprenant.) C'est nrappant!... 
frappant... (note ses gants.) les mêmes traits... le nez... les 
yeux... la bouche... Et puis, très-acariâtre, la belle-mère... 
« Mon gendre ceci, mon gendre cela... passez nuits dehors... 
cette pauvre enfant... ma fille! ! !» NON f 

Après toui, on ne se voit pas vieillir... on vieillit ensemble... 
d'ailleurs... plus jeune que moi... m'enterrera... me pleu- 
rera... m'oubliera... se remariera... destinée... tous mortels! 
Le sort... la fortune... la fortune?... elle en a... elle en aura... 
parents âgés... très-âgés... (ii remet ses gants.) n'iront pas loin!... 
Forges dans l'Est... valeurs... métairies... domaine de Trois- 
Etoiles... Cinq millions environ... à partager entre... ils sont 
en tout six frères et sœurs... en 5 combien de fois 6... il n'y 
va pas... j'ajoute un zéro... en 50 combien de fois 6... il 
y va... (cherebant.) 5 fois 6, 30... 6 fois 6, 36... 7 fois 6... 
(je n'ai jamais pu me fourrer ma table de multiplication 
dans la tète) 7 fois 6... 6... 6... six enfants! quelle fécondité ! 
va bien le pastel !... 6 fois 7... (c'est héréditaire ça) 6 fois 7 
(bien constituée... promet)... 6 ibis 7 quar... quaran... 42! 
Quarante-deux enfants! (u retire tes gants.). • . • NON! 

Après tout, nourrices... garçons... collège... filles... cou- 
vent... Oiseaux... bien porté... tout élevés... (a remet ses gants.) 
Des enfants à soi!... Heu!... Oui, à moi!... bien à moi!... 
D'abord moi!... lu Balzac... pas d'amant, pas d'ami d'en- 
fance, pas de petit cousin... Si, au fait, cousin!... sous-lieu- 
tenant... 28* de ligne... mon ex-régiment (oh! pendant 
vingt-huit jours, la réserve)... Joli le sous-lieutenant... dan- 
gereux... très-joli... mais pas poli sous les armes... m'a 
traité de pignouf pendant une revue... le service... pardon- 
né... bons amisl... viendra nous voir souvent... souv....— 
très-souvent... ami d'enfance... — Balzac!... ami d'en- 
fance... me fera... je le tuerai! non pas lui, son métier... 
elle seule, elle seule coupable!... « Madame... misérable! » 
Un coup Je couteau... pan!... chez le commissaire. « Mour 



INDËGISION i33 

sieiir... me constitue prisonnier. e. femme trompait... 
assassinée!... » Tribunal... prison... toujours acquitté... 
avocat bêcheur I... pas flagrant délit... préméditation... en- 
quête... verdict... Féchafaud ! I ! 

Décidément, je n'épouserai pas ma cousine blonde avec 
qui j'ai valsé, mercredi, chez madame de Trois-Etoiiesl 



nu D^iifDtatf^ov 



/ 



DN 



COUP DE RASOIR 



SAYNÈTE 






M. EUGÈNE LABICHE 



PERSONNAGES 



ANTÉKOtt. 



UN COUP DE RASOIR 



'le thé&tre représente aoe chambre à eoncher de garçon. •* An food, on lit caclié 
«var des rideanx» ^ A gancbe, premier plan, une toilette. — A droite, un guéri- 
don. — An fond, à gaaehe, une porte eonduieant à l'extérieur. A droite, deuiiAm 
plan, une porte. 



SCÈNE PREMIÈRE 

ÂNTÉNOR, wd. 

An lerer dn rideau, la scène est TÏde. La pendule sonne dix heures. Les rideana 
s'onyrent brusquement. La tète d'Anténor parait coiffée d'un bonnet de cuton. 



ANTENOR, passant sa tète. 

Qu*est-co que c'est que cette heure-là? (Appelant.) Gavotl 
Gavot!... animal de domestique! Gavot! Gavôôôôôll 

VOIX DE GAVOT, dans la coulissa. 

Monsieur?... 

ANTÉNOR. 

Quelle heure est-il? 

VOIX DE GAVOT* 

Je ne sais pasl 

III. 8. 



) ^ 



i38 UN COUP DE RÀSOIB 

ANTÉNOB. 

Vas-y voir, imbécile! 

OAVOT. 

C'est que je suis couché. 

ANTÉNOB. 

Eh bien! lève-toi l 

GAVOT. 

Oui, monsieur. 

ANTÉNOR, au pubUe. 

C'est mon domestique, je l'ai fait coucher à côté de moi, 
c'est très-commode... (Après vn temps.) Que diable fait-il?... 

(Appelant.) Gavotl... Gavotl 

VOIX DE GAVOT. 

Je me suis rendormi, monsieur! 

ANTÉNOR. 

Butor!... je vais prendre ma cravachel 

VOIX DE GAVOT. 

Il est dix heures! 



ANTENOR, sautant Tiremeat en bas de son lit. U est en caleçon et en bonnet da 

coton. 

Dix heures!... nom d'une trompette!... et je me marie à 
onzel (courant de tous côtés.) Vite! mou pantalon... mon gilet... 
mes bottes!... (Appelant.) Gavot!... Gavot!... Qu'est-ce que tu 
fais? 

VOIX DE GAVOT. 

Jeme suis rendormi, monsieur! 

ANTÉNOR, l'imitant. 

Je me suis rendormi, monsieur... Mais je n*ai pas le temps 
de le rosser... (criant.) Lève-toi! viens m'habiilerl 



UN COUP DE RASOIR 139 

VOIX DB GÂYOT. 

Oui, montsienr. 

ANTÂNOR, allant à m toflfllta. 
Voyons... commençons toujours... (U m regarda dans laglaee.) 

Sacrebleul ma barbe qui n'est pas faite 1... et mes témoins 
qui doivent venir me prendre à dix heures et demie... Al- 
lons boni je n'ai pas d'eau chaude 1... mais bahl... (n tient m 

earette et s'araoce yers le publie tout en faisant monsser son savon.) QU6 C eSt 

donc bête de dormir comme ça un jour de noce! C'est la 
faute de Gavot... je me suis dit : il ronfle, ça me réveillera... 
et ranimai n'a pas ronflé I 

SCÈNE II 

ANTÉNOB, GAVOI. 

GaTOt entre. U est en caleçon et porte un foolard de unit sur aa tAte. 

ANTÉNOR, à GaTOl. 

Pourquoi n'as-tu pas ronflé?... 

GAVOT. 

Monsieur ne m'en avait pas donné Tordre... Tiens I mon- 
sieur qui porte un bonnet de coton... 

ANTÉNOR. 

Oui, c'est une surprise que je ménage à ma fiancée... 
N'en parle pas... je ne connais pas de coiffure plus com- 
mode... c'est chaud, ça tient sur la tête, ça se baisse, ça su 
relève... 

OAVOT. 

Alors pourquoi m'avez- vous diéfendn d'en porter? 



140 UN COUP DE RASOIR 

ANTÉNOR. 

Tiens! poar qae tu ne me ressembles pas, Je ne veax pas 
être coiffé comme mon domestique... 

GAVOT. 

Alors vous n'ôtes pas un républicain, vous n'êtes pas un 
pur. 

ANTÉNOR. 

Pourquoi? 

GAVOT. 

Puisque vous coiffez le bonnet de coton et que vous im* 
posez au peuple le foulard... 

ANTÉNOR. 

Ah! tu m'ennuies... va me chercher mes habits. 

GAVOT. 

J'y vais... mais vous n'êtes pas un pur. 

A fort. 



SCÈNE III 

ANTÉNOR, leol. 
Voilà déjà un quart d'heure de passé... nom d'un nom! 

(il se barbouille avee rage la figare de saTon.) JO UO SOrai jamais prêt... 

crétin de Gavot, qui n'a pas ronflé! que va dire ma pré- 
tendue? Mademoiselle Antbeaume de la Pâmoison! la faire 
attendre... une fille unique! la plus riche héritière de Tou- 
louse... à ce que dit son père... (Oa sonne à U porte extérieure.) 
Prelotte ! .. . mes témoins ! .. . (U «te le mtou foi est rar sa figure et s'ap- 
procbe de la porte du fond.) Qui eSt là? 

UNB VOIX. 

La modiste, s'il vous plaît? 



Ulf COUP DE RASOIR 441 

ANTBNOR. 
G'6St an-dessus... imbécile I (Reprenant laenretta et te barbonilknt 

de Donreau la figure.) Il faut que je recomiDence à présent... ça 
ne m'avance pas... (u m barbouille ayeeiage.) Ahl crebleal dans 
rœil... Oh! là, làl... ça me pique! (Appelant.) Gavotl Gavotl 

VOIX DE GAVOT. 

Monsieur? 

ANTÉNOR. 

Arrive, viens me souffler dans l'œil 

YOIX DB GAVOT. 

Voilai... Je vous brosse... 

ANTÉNOR. 

Ah! ça se passe... c'est fini, (aq paUie.) Mon mariage esi 
un coup de fortune... Le marquis de la Pâmoison donne en 
dot à sa fille un château!... rien que ça! 



SCÈNE IV 

ANTÊNOR, GAVOT. ^ 

I 
t 

GAVOT, •ntrant» • 

«e voilà, monsieur. 

ANTÉNOR. 

Qu'est-ce que tu veux? 

GAVOT. 

Vous souffler dans rœil. 

ANTÉNOR, à paru 

Non, je n'ai pas le temps de le rosser! (Haut.) Tourne-toi t 



142 UN COUP DE RASOIR 

GÂVOT, M touroAot. 

Avec plaisir. 

ANTÉN(A, lai donnant un ooap d« pied. 

r^à... maintenant va me chercher mes habits. 

GAVOT. 

Oai, monsieur, (a part.) Il est original, monsieur. 



IlMft. 



SCENE y 

ANTÉNOR, ml. 

Ce château est situé à mi-côte sur les bords de la Ga- 
ronne... il est connu dans le pays sous le nom de : châ- 
teau du grand Traquenard... il a quatre tourelles... mon 
beau-pète Testime quatre cent mille francs... cent mille 
francs par tourelle; ce n'est pas exagéré. J'ai là-bas un im- 
bécile d'ami qui est notaire, je lui ai écrit pour lui deman- 
der des renseignements sur le château... et sur la demoi- 
selle... il ne m'a pas répondu, ce n'est pas gentil. 



SCENE VI 

ANTÉNOR, GAVOT. 

GAVOT, RDtre. Il s'approche de son maître et lui présente sa caone 3t son chi^muu 

Monsieur, voilà! 

ANTENOR. 

Qu'est-ce que c'est que ça? 



UN COUP DE HASOIR 143 

GAVOT. 

Votre canne et votre chapeau... pour vous habille;^ . 

AMTÉNOR, à part, grinçaaU i 

Oh! ohl mais je n'ai pas le temps!... (uaat.) Tourne-toil 

GAVOT, 8« toamaDt. 

Avec plaisir. 

ANTÂNOR) lui douant aa eonp de pied* 

Tiens! 

GAVOT, à part. 

Il est original, monsieur... 

ANTÉNOR. 

Imbécile!... tu sais bien qu'on ne se marie pas avec une 
canne. 

GAVOT. 

Eh! eh! ça peut servir. 

AMTÉNOR. 

Va me chercher mon pantalon, mon habit. 

GAVOT. 
Tout de suite. (U remonté et revient.) Ah ! j'OUbllais... C'cSt UUe 

lettre... 

ANTÉNOR. 
Est-ce que j'ai le temps... pose-la là. (Oayot la met sur le guéridon.) 

Donne-moi mon rasoir... mon rasoir anglais... (a pan.) C'est 
un vrai... je Tai acheté en Belgique.. • 

GAVOT. 

Le voici. ' 

ANTÉNOR. 

Ah çà, est-ce que tu vas rester toute la journée en ca- 
leçon? 

n cozEuneace à se raser. 



141 UN COUP DE RASOIR 

GAVOT. 

Ohl non, monsieur... je vais l'ôter... pour me recou- 
cher... 

ANTÉNOR, Tivement. 

Te recouclier!... Aie!... animai, tu m*as fait couper! 

n TE à la toilette et m colle ear la figure on morceau de taffotaf 
d'Angleterre. 

GAYOT. 

Ça ne sera rien... faut laisser saigner. 

ANTÉNOB. 

Va mettre ta livrée... elle est neuve... tu monteras derrière 
la voiture... ça fera très-bien... 

m 

GAVOT. 

Mais, monsieur... 

ANTBNOR, regardant la peodide. 

Plus que dix minutes! Sors ou je t*égorge ! 

Gavot se eauT* 

SCÈNE YII 

ANTÉNOR. iHd. GAVOT. 

AKTENOR, se rasant très-Tirement. 

voyons... ne perdons pas de temps... Pristil je me suit 
encore coupé! diable de rasoir anglais l (iise coUe on lecond non. 

ceaude taffetas enr la fig«N.) Ça Va séchor... COntiUUOnS. 

11 secaie. 

GAVOT, entrant. 

Monsieur, voici vos habits. 



UN COUP DE RASOIR 145 

ANTÉNOR. 

Mets-les sur la chaise... 

GAVOT, à part. 

Avec tout ça, je ne trouve pas mon chapeau de livrée. 
(a ànténor.) Mousleur, VOUS u^avez pas vu mon chapeau? 

n loi seooae le bras. 
ANTÉNOR, seooapant. 
Animal!... ça fait trois ! (ll se eolle un troisième moroeaa de Uffetas 

sar la figure.) Eh hicu! me votlà gentil I je ne peux pas me 
marier comme ça... je suis tatoué 1 Satané rasoiri (n le jette.) 
Il faut que j'attende... que je sèche... 

n s'asseoit. 
GAVOT. 

Monsieur est donc bien pressé de se marier? 

ANTÂNOB. 

Est-il bêtel puisqu'on m'attend à la mairie, à onze 
heures. 

GAVOT. 

C'est que moi aussi je me suis marié. 

ANTÉNOR. 

Toil... Eh bien?... 

GAVOT. 

Eh bienl ça ne m'a pas réussi, (s'asseyent) C'est une his- 
toire lamentable... j'avais épousé une demoiselle du midi... 
belle comme une orange! 

ANTÉNOR. 

Ah! je comprends... elle t'a fait des farces! 

GAVOT. 

Je ne crois pas... je n'ai pas eu la curiosité de m'en infor- 
mer... mais elle mangeait de l'ail... Moi, je ne peux pas 



116 UN COUP DE RASOIR 

supporter cette odeur-là... le troisième jour, je lui ai dit : 
Thaïs, voulez-vous renoncer à Tail?... Tail ou moi^ choisis- 
sez!... Elle m'a répondu : j'aime nàieux Taii... Alors nous 
nous sommes séparés... 

ANTÉNOB. 

Eh bien I qu'est-ce que ça me fait?... Je suis là à t'écouter, 
va-t'en I... va Rhabiller 1... 

GAVOT. 

Alors monsieur tient toujours à la livrée? 

ANTÉNOa. 



Oui, file. 



GaTot tort» 



SCENE VIII 

ANTËNOR, seal. 

Ça ne sèche pas... je vais toujours mettre mon pantalon... 
ça m'avancera... (ii le met.) Où sont mes bretelles!... (u s'ap. 

pioehe dn guéridon et y troaTe la lettre déposée par Gavot.) TiCUS !...qU'eSt- 

ce que c'est que ça?... une lettre! (ii rooTre.) C'est de mon 
imbécile d'ami... qui est notaire... il m'envoie les rensei- 
gnements que je lui demandais... Il est bien temps. (Lisant.) 
« Mon cher ami, je t'envoie les détails que tu m'avais de- 
» mandés sur le château du grand Traquenard... je Tes- 
» time six cent vingt-neuf mille francs. » (Parié.) Ah 1 le 
beau-père ne m'a pas trompé! c'est un honnête homme !... 
(Lisant.) « Il a été mis en vente l'année dernière sur la mise 
» à prix de huit cent cinquante francs... personne n'a osé 
» le pousser. » (parié.) Gomment! huit cent cinquante francs l 
mais puisqu'il Testime six cent vingt-neuf mille... (Regardant 
Illettré.) Ah! mais non!... il n'y a pas mille... il y a six cent 



\m COUP DE KASOIR 147 

vin(;t-neaf francs... tout sec (seivrant.) Bigre! bigre I bigre! 
(LiMAt.) « Ce soi-disant cbâteau est une tourelle qui sert de 
» colombier. » (parié.) Une tourelle I... une seule?... lien 
manque trois!... mais alors mon beau-père est un filou... 
ou un poëte!... (Lisant.) c Quaut à mademoiselle Antheaume 
» de la Pâmoison... elle est grande, bien faite, le teint un 
» peu bistré, mais belle... (Pwié.) Oui, belle comme une 
orange, (usant.) «c Elle était extrêmement appréciée du 
» 8* dragons. » (Parié.) Eh bien« merci! j'allais faire un joli 
mariage... Ah! mais non! pas assez de tourelles et trop de 
dragons!... Quand je pense que c'est à un coup de rasoir 
que je dois... car enfin si je ne m'étais pas coupé, }e serais 
parti, si j'étais parti, je serais marié, et si j'étais marié... je 
serais... il était temps! (Appelant.) GavotlGavotl 



SCÈNE IX 
ANTÉNOR, GAVÛT. 

GAYOT, entre. Il est en grande livrAc* 

Je suis prêt, monsieur. 

ANTÉNOR. 

Gavot, ramasse ce rasoir, mon ami. 

GAYOT, le ramassant. 

ie Yoilà. 

4 

AMTÉNOB. 
Baise-le. (Carot l'embrasse.) Itaîse-ie encore. (Gavet l'emlnrasse de 

BonTeaa.) Très-bien. 

GAYOT, à part. 

Il est original, monsieur. 



448 UN COUP DE RASOIR 

ÂNTÉNOR. 

Maintenant, crois-moi, Gavot, si jamais ta te remaries... 
fais-toi la barbe avant... 

GAVOT. ' 

Pourquoi ça? 

ANTÉNOR. 

Pour qu'on ne te la fasse pas après... Je t'autorise à me 
4onner mon bonnet de coton... 

GAVOT, le lai donnant. 

Monsieur va se marier en bonnet de coton? 

ANTÉNOR. 

Non... je ne me marie plus... je me recouche, Gavot... 

GAVOT. 

Ah bah!... si monsieur voulait me permettre d'en faire 
autant? 

ANTÂNOR. 

Gomment doncl... Je te Tordonne! tu peux remettre ton 
foulard. 

GAVOT. 

Ouf, le foulard pour le peuplel... vous n'ôtes pas un 
pur! 

Ils s'auedwl en bee l'os de i'aotre, ie eoiffeot de naît et Atent leora pante- 
lonf* 

ANTÂNOR. 

Ahl j'oubliais, j'attends mes témoins; si on sonne, tu ne 
:e dérangeras pas, Gavot. 

GAVOT. 

Monsieur peut être tranquille. 

ANTÉNOR, M déshabillent. 

Crois-moi, fais-toi la barbe avant... Bonsoir, Gavot.*. 



UN COUP DE RASOIR 
GAVOT. 

Bonsoir, monsieur. 

ANTÂNOR. 

Bonne nuit, Garot. 

6AY0T. 

Bonne nuitj monsieur. 

Le ridMa tomba pandant qu'ils at déahabiUaiil, 



149 



FIM DU COUP DI RA0OU 



LES 



TENTATIONS D'ANTOINE 



MONOLOGUE 



PAR 



M. JACQUES NORMAND 



LES TENTATIONS D'ANTOINE 



©^ E, Delannqy. 



Antoine est mon nom de baptême : 
C'est an nom comme un autre fait, 
Nom qui ne dit rien par iui-môme, 
Ni long» ni court; ni beau, ni laid. 

C'est effacé, c'est terne... Antoine- 
Un bomme portant ce nom-là 
Doit tenir à la fois d'un moine, 
De John Falstaff et de Pança... 

Eh bien! non, noni -^ Car, au contraire, 
Antoine est un nom déprayé 
Qui cause à son propriétaire 
Tous les tourments d'un réprouvél 

Ce nom a des vertus magiques» 
Et tout homme qui l'a porté 
De tentations diaboliques 
Fut sans cesse persécuté 1 
111. 



i54 LES TENTATIONS D'ANTOINE 

supplice I ô longue souffrance! 
Nom fatal, à jamais maudit» 
Dont rinévitable influence 
Partout, toujours me poursuivit 1 

A peine au début de la vie, 
Quand je marchais sur les genoux. 
Pour une assiette de bouillie 
J'avais déjà des désirs fous; 

Je voulais quand môme chacune 
Des choses qui frappaient mes yeux : 
Pour n'avoir pu prendre la lune, 
J*eus des désespoirs furieux* 

A quinze ans, captif des écoles, 
Je ne rêve que liberté, 
Galons, plumets et bottes molles. 
Moustache en croc, sabre au côté! 

A vingt ans, mes désirs en flamme 
Me causent des tooroients affreux : 
Je n'aperçois pas une femme 
Sans en devenir amoureux. 

Depuis vingt ans jueques à tmilB, 
Sans répit, sans exeeptioB, 
Tout ce qui peut tenter me teatt : 
Je vis dans la tentalîoiàt 



Tentation de la liebesie. 
Surtout quand je n'ai pàos 
Ouand je suis fou* de la sagesse '• 
Quand je suis sage^ d'élra font 



LES TENTATIONS D'ANTOINE 155 

Tentation d'air, de verdure, 
Quand je suis à Paris l'étél 
Tentation d'avoir voîtore, 
Lorsque par terre il lait orottél 

Tentation de dinde gnsae 
Dans l'étalage éblouissant 
Joignant ses pattes avec grâea^ 
Comme pour prier le passant 1 

Tentation d'ôtre ministre 
Ou colonel de cuirassiers : 
Parfois, tentation sinistre 
D'étrangler tons mes créandersl..» 

Enfln, un jonr dans ma c^rvelto 
Naquit, héiasi pour mon malbeor, 
Une tentation nouvelle 
Que Je maudis du fond da cœur! 

« 

GarQOir, )a^ roalùs prendre femone : 
L'affaire se fit pvofflptement; 
J'étais alors tont fen, tool Oanunav 
Je brûlais oomae on vrai sament* 

Ma fiancée était iteabl»^ 
Mon beau-père semMall parfait^ 
Ma belle-mère^, sappoirtable : 
Je serais beureax tant à foiti 

Mais le lendemain da h* noea 
Par dn brusque r e f tiiMuaul , 
Ma femme me paroi atroce, 
Mon beau-père un toe^assMMQiaflV 



156 LES TENTATIONS D'ANTOINE 

Ma belle-mère une harpie... 
Bref, tout penaud de la leçon, 
Depuis lors, je n'ai qu'une envie : 
Pouvoir redevenir garçon i 

Ma femme est rôcbe, acariâtre. 
Et parfois je me suis senti 
Des tentations de la battre... 
Qui n'ont pas encore abouti l 

Mais il faudra que j'y succombe. 
Car c'est une fatalité 
Pour moi d'ôtre, jusqu'à la tombe. 
Tenté, tenté, toujours tenté! 

Antoine! Antoine! Ahl quelle charnel 
Quel fardeau! J'aurais pu si bien 
M'appeler Ghrysostôme, Arsène, 
Ou simplement Sébastien! 

Non! non! sans rien vouloir comprendre. 
Sans profits comme sans raisons. 
C'est ce nom-ià qu'ils s'en vont prendre 
Entre quinze mille autres nomsl 

Pour rompre ce lien funeste 
Et conjurer le maavais sort, 
Hélas! un seul moyen me reste: 
La mortl la mort! Vienne la mortl 

• 
Mais qui sait? Youdrai-je la suivre ? 
N'aorai-je pas tentation 
Près de mourir, de vouloir vivre 
Par esprit d'opposition? 



LES TENTATIONS D'ANTOINE 157 

moo patron! ô moine aastère, 
Toi qui, si doucement tenté, 
Âs sa rester... célibataire, 
^Votége-moi, par charité 1 

Guéris-moi da mal qui me blesse 
Quel que doive être le moyen... 
Fût-ce de traîner à la laisse 
Un compagnon comme le tien! 

Et vous tons, je vous en supplie, 
Par ce tourment que j'ai souffert. 
Tourment affreux, qui de ma vie, 
A fait un véritable enfer, 

Par Texpérience tardive 
Qu'en eut l'Antoine que voilà... 
Si jamais un fils vous arrive, 
Ne lui donnez pas ce nom-là I 



7a DES TENTÀTIOHt D'AUTOOII 



IiA 



DAME DE NIORT 



PAR 



QUATRELLES 



PEUSONNAGES 



LA DAME DE NIORT d«80à40aat. 

Li. DEMOISELLE DE MAGASIN^ âge iodétanniné. 

UN COMMIS ) ' ClTut. . 

> periooiiages maeto et inTÎsibles}. • . ] 
UN PASSANT) (46 ans. 



Paris. — 1878. 



I. Si l'on n'arait pat de demoiselle de nagaain MOi U main, u Joone eommis le 
remplacerait sani fa» le dialogae en eonfiiclt. 



LA DAME DE NIORT 



Le thé&tre représente, autant qae possible, nne boutique de pbotograplie. — Porta 
à ganohe, donnant sur on passage. — Titrine de chaque cdté dek la porte, si les . 
moyens le permettent. — Au fond, à droite, porte conduisant aux ateliers. — Au 
milieu, nne table encombrée d'albunw, de photo§nraphies et de stéréoscopes. -^ A 
droite, un petit comptoir deyant lequel est une chaise. — Près de la porte de 
droite pend un conduit aeoustique, armé d'un sifflet, destiné à mettre en eoDunu- 
BÎcation l'atelier et le magasin. — Je ferais au publie nne grare injore, sij'C 
trais dans plus de détails. 



SCÈNE PREMIÈRE 

LA DEMOISELLE DE MAGASIN, seule. 
Qaatre heures!... et je n'ai pas encore étrenné! C'est à ne 

pas le croire. (Elle s'approehe de la porte de gauche.) Et pourtant, 

que d'imbéciles passent devant cette porte! Il ne s'en trou- 
vera donc pas un qui nous donnera la préférence? La pre- 
mière pratique qui me tombera sous la main en verra de 
grises! Ce monsieur qui s'arrête a l'air bon enfant... (a un 

passant. Sur le seuil de la porte de gauche.) Si mOUSieur VBUt entrer?... 

Nous avons un assortiment complet d'artistes dramatiques, 
de criminels, d'hommes politiques... de dames du monde... 



162 LÀ DAME DE NIORT 

de... Il passe!... Qae leur faut-il donc à tous ees animaux- 
là? Décidément le commerce est dans le marasme. Oh! la 
belle damel Est-ce une provinciale on une étrangère? Elle 
dévore des yeux l'étalage... consulte un carnet de poche... 
Elle \>6éi\e... Mais entre doncl mais entre donc!... Ne faut- 
il pas t'envoyer des ambassadeurs pour te décider?... Elle 
approche... la voilà ! Ah i tu vas me payer le mauvais sang 
que je me fais depuis une heure. (soarUjite et empreMée.) Madame 
veut-elle bien prendre la peine de s'asseoir? 



SCÈNE II 
LA DEMOISELLE DE MAGASm, LA DAUB DE NIORT. 

LA DAME DE NIORT. 

Mademoiselle, j'ai lu sur votre boutique que vous tenez 
tout ce qui concerne le portrait. 

LA DEMOISELLE. 

En effet, madame, le portrait est la spécialité >de notre 
maison. Portraits ronds, portraits carrés, portraits ovales, 
portraits à chapeaux, en pied ou en raccourci, à Thuile, à 
l'aquarelle,... à cheval,... portraits tout faits ou sur mesure... 
€e sont des photographies que madame désire? 

LA DAME DE NIOBT. 

Je n'ai encore rien décidé. 

LA DEMOISELLE. 

Nous avons tout ce qu'il y a de plus nouveau. Sont-oe des 
acteurs que j'offrirai à madame? 

LA DAME DE NIORT. 

Non, mademoiselle.** 



LÀ OAMK DE NIORT l«3 

LÀ DXHOISKLI. 

Des militaires, alors?... Les militaires sont très^demandés 
depuis quelque temps. 

LÀ DAME DB NIORT. 

y.ojï, non, uon, mademoiselle. C'est mon portrait que Je 
vr adrais avoir. 

LÀ DEMOISSLLB. 

Si madame a le plus petit bout de célébrité, si les ]our« 
naux ont parlé d'elle soit en .bien, soit en mal, si quelque 
procès scandaleux, quelque aventure scabreuse l'ont mise 
en évidenee^ madame est certaine de son affaire: elle est 
dans nos casiers. 

LÀ DAMS DB NIORT. 

Mademoiselle, j'habite Niort... 

LÀ DEMOISELLE. 

Ohl alors, c'est tout différent. 

LÀ DÀMB DB NIORT. 

Je voudrais rapporter à mon mari quelque cbose de 
Paris. J'ai pensé que mon portrait— 

LÀ DBMOISBLLB. 

r 

Ne pourrait que lui être agréable. C'est une excellente idée 
que madame a eue là. Et vous restez ici quelque temps 
encore? 

LÀ DÀMB DE NIORT. 

Je pars demain, malheureusement! 

LÀ DEMOISELLE. 

Alors, c'est une photographie que madame désire. 

LÀ DÀMB DE NIORT. 

La photographie, c'est toujours la môme chose. Toutes 
les photographies se ressemblent. On en est bien revenu à 
Niortl 



/ 



164 LA DAME DE NIORT 

LA DEMOISELLE. 

Madame préfère Thuile. 

LA DAHB DE NIORT. 

C'est plus sérieux. 

LA DEMOISELLE. 

i^'t plus gai, à la fois, li est fâcheux que madame ne se 
soit pas décidée plus tôt. Dans une nuit on ne fait rien de 
bon. Vous trouverez des peintres qui vous promettront tout 
ce que vous voudrez, mais jamais un artiste consciencieux 
ne s'engagera à livrer un bon portrait à l'huile, solidement 
peint, sans retouches, dans une seule nuit. Madame peut 
s'adresser à tous nos confrères. 

LA DAME DE NIORT. 

Mon Dieu! mon Dieul... Ce que vous me dites là me con- 
trarie bien. 

LA DEMOISELLE. 

Si madame voulait toujours me dire ce qu'elle désire, je 
pourrais peut-être arriver à la contenter. 

LA DAME DE NIORT. 

Naturellement; je voudrais quelque chose de joli 

LA DEMOISELLE. 

Voilà déjà qui simplifie les choses. Je vois que madame 
ne tient pas à la ressemblance. 

LA DAME DE NIORT. 

Cela dépend. Voyons... qu'est-ce que cela coûte, un por- 
trait bien ressemblant? 

LA DEMOISELLE. 

Cela n'a pas de limite. 

LA DAME DE NIORT. 

Vous m'effrayez 1 



LA DAME DB NIORT 165 

LA DEMOISBLLB* 

Cependant, ponr la province, nous pouvons donner quel- 
que chose d'assez ressemblant pour cent ou cent cinquante 
francs. 

LA DAIIB DE NIORT m lève, TiTemeat. 

Cent cinquante francsi... Bonté divine!... mais c'est beau- 
coup plus que je ne veux y mettre. Décidément, mademoi- 
selle, c'est trop cher. 

Elle M dirige Ten la porte. 
LA DEMOISELLE, m prédpitaat entre elle et la sortie. 

Pourquoi madame ne se contenterait-elle pas d*un air de 
famiUef Je lui passerais la chose à moitié prix. 

LA DAME DE NIOBT. 

C'est ponr mon mari,... 

^ LA DEMOISELLE. 

Raison de plus. Il sait bien comment vous êtes faites, 
lui. 

LA DAME DE NIORT. 

Assurément. 

LA DEMOISELLE. 

Un portrait ne peut rien lui apprendre de nouveau. 

LA DAME DE NIORT» 

Vous avez raison. 

LA DEMOISELLE. 

Cela n'a pas besoin d'être aussi ressemblant pour lui que 
pour un autre. 

LA DAME DE NIORT. 

Je suis de votre avis. 

LA DEMOISELLE. 

Et puis, qu'est-ce qu'on cherche dans ces choses-là? 



466 LÀ lAME DE NIORT 

Fintention. Da morneul qae vous avez eu l'intention de lui 
ocre agréable, c'est le principal. 

Lk AAIR MB NIOBT. 

Ohl... Cependant... cependant... 

LA DJBMOISELLE. 

C'est votre souvenir qui le touchera. 

LA DAME DE NIOBT. 

Eh Inen, aoitl Ta poor un air de famille. 

ma «e rassied. 

Madame tient-^Ue aux mains? 

LA IhUIB DE MIORT. 

Je passe à Niort pour avoir les maim pas mai Cefie^i, 
surtout. C'est un de mea petits triomphes et mon mari n'y 
est pas insensible. J'aimerais assez à ce qu'on me fit les 
mains. 

LA DEMOISELLE. 

Les deux? 

LA DAME DE NIORT. 

Cela dépend du prix. 

LA DEMOISELLE. 

Il faut compter trois francs par doigt. 

LA DAME DE NIORT. 

C'est plus cher que des gants, savez-vou&L^ 

LA DEMOISELLE. 

Oui, mais cela duré plus longtemps. 

LA DAME DE NIORT. 

Si je dépensais pour mes mains plus d'une quinzaine de 
francs, ce ne serait pas raisonnable. 



LA DAME DE NIORT 467 

LA DEMOISELLE. 

Voilà ce que nous pouvons faire. Nous ferons la main la 
plus en vue avec quatre doigts ; nous n'en montrerons qu'un 
à Tautre. 

LA UAMS DE NIORT. 

Quatre et un font cinq; — trois fois cinq: quinze... Ces? 
cela. 

LA DEMOISELLE. 

Madame veut-elle une toilette riche? 

LA DAME DE NIORT. 

Très^riche^ ohL- très-riche I On est très-élégant à Niort» 

LA DEMOISELLE. 

Avec des plumes dans les cheveux? 

LA DAME DE NIORT. 

Des plumes?... Qu'est-ce que vous faites payer les plumes? 

LA DEMOISELLE. 

Nous comptons généralement trois francs par plume e» 
deux francs par fleur. Les bgoux se paient à part. Si madame 
veut consulter le tarif... 

LA DAME DE NIORT, se lère. 

Volontiers. Si vous vouliez prendre un crayon et une fac- 
ture, mademoiselle, nous ferions tout de suite notre petite 
note. 

LA. DEMOISELLE, s'assied. 

Me voilà à vos ordres, madame. 

LA DAME DE NIORT. 

Nous disons... 

LA DEMOISELLE. 

Un air de famille garanti trois ans, cent franet. 



468 LA DAHB DE lMIORT 

LA DAMS DE NIORT, qai a pané à gaaehe «t rerient brasquemest. 

H me semble que vous aviez dît soixante-quinze? 

LA DEyOISELLS. 

Nous ne pouvons pas garantir la ressemblance trois ans, 
sur facture, pour soixante-quinze francs. Autant fermer boa> 
tique. 

LA DAMB DB NIOBT. 

Allons I va pour cent francs I On ne fait pas faire son por- 
trait tous les jours.^ 

LA DEMOISELLE. 

Madame sera contente. Nous arrangerons cela en con- 
science. Si par basard le portrait était ressemblant, nous ne 
lui demanderons pas plus cber. 

LA DAMB DB NIORT 

Ce n'est qu'une première affaire. Nous disons donc, cent 
francs. — Une main en vue avec quatre doigts, douze 
francs. 

LA DEMOISELLE. 

Douze francs ; c'est écrit. 

LA DAMB DB NIORT. 

Une main dans Tombre avec un doigt, trois francs. 

LA DEMOISELLE. 

Trois francs. 

LA DAME DE NIORT. 

Je voudrais bien que ce fût le pouce. 

LA DEMOISELLE. 

Nous devrions vous prendre plus cber, mais nous tenons 
à vous contenter. Nous avions parlé de deux plumes dans 
les cheveux. Deux plumes» est-ce assez? ^ 



LA DAME DE NIORT 169 

LA DAME DE NIORT. 

Bah! retirez ud doigt et ajoutez une plame. 

LA DEMOISELLE. 

Nous disons alors, trois plumes à trois francs, neuf francs. 
Madame n'a pas de préférence pour les couleurs? 

LA DAME DE NIOBT. 

Vous mettrez un peu de tout. 

XA DEMOISELLE. 

De quelle couleur est la tenture du salon de madame? 

LA DAME DE NIORT. 

Le salon est en moquette bouclée à raiàages, avec une 
passementerie jaune imitant la soie. C'est très-joli! 

LA DEMOISELLE. 

On fera dominer le jaune. Du reste c'est très-riche. On 
nous demande beaucoup de portraits jaunes pour l'Amérique. 
— Nous mettrons une demi-douzaine de fleurs pour rehaus- 
ser la coiffure. Six fleurs à deux francs : douze francs. 

LA DAME DE NIORT. 

Qu'est-ce que c'est que ces fleurs à un franc cinquante 
que je vois là sur votre tarif? 

LA DEMOISELLE. 

Ce sont des fleurs des champs. 

LA DAME DE NIORT. 

Oh I surtout, ne me mettez pas de ça ! 

LA DEMOISELLE. 

Madame peut être tranquille, j'ai vu tout de suite à qui 
l'avais affaire. 

LA DAME DE NIORT. 

A la bonne heure 1 

III. 10 



170 LÀ DAME DE NIORT 

LA BBMOISBLUB. 

Noos avons pour le moment cent trente-trois francs. — 
Un cou décolleté avec accessoires... douze francs. 

LA DAMB BB mOBT. 

C'est ça que je trouve cher! 

LA DEMOISELLE. 

Forte comme Test madame, c'est pour rien. Nous disons, 
cent trente-trois et doute : cent quarante-cinq. Madame 
ne veut pas mettre cinq francs de bijoux pour faire un 
compte rond? 

LA DAME DE NIORT. 

Vous me poussez, à la dépense. Je ne voulais pas mettre 
tant que cela. 

LA DEMOISELLE, se lève. 

Vous ne trouverez nulle part un beau portrait à Thuile, 
garanti trois ans» pour ce prix-là. 

LA DAME DE NIORT. 

Ohl à Niort!... vous ne vous doutez pas de tout ce qu'on 
^ trouve pour cent cinquante francs... — (Prët à» u lortie.) Dé- 
cidément c'est trop cber. Je vois bien qu'il faut y renoncer. 

Elle fort. 
LA DEMOISELLE, sur le wuU. 

Y renoncer! obi madame, vous n'aimez pas votre mari. 

LA DAME DE NIORT, rentre prédpitammeot. 

Lui... Charles/.:, ne pas l'aimer!... Après dix ans de 
ménage!! 

LA DEMOISELLE, à part. 

Le fait est que ce serait à y renoncer. (Haut.) Mon Dieu, si 
madame le veut, on lui fera un profil pour moitié prix. En 
retirant une main et quelques plumes. 



}••• 



LA DAME DE NIORT 471 

LA DAME DE MlOBT. 

Ohl non, non; pas les plumes. 

LA DEMOISELLE* 

l'aurais bien une affaire très-avantageuse i proposer à 
madame. 

Elle Ini présents nue ehûie près de la table. 
LA DAME DE NIORT, se rassied. 

Laquelle? 

LA DEMOISELLE. 

J'ai là un portrait de madame de Pompadour, par... 

LA DAME DE MORT. 

Par? 

LA DEMOISELLE. 

Par Rubens. C'est tout simplement une merveille. Nous 
l'avons acheté à la vente du comte Branitzi-Rovitcz, pour 
un riche Catalan. La révolution d'Espagne est survenue^ le 
Catalan s'en est allé, et madame de Pompadour nous est 
restée sur les bras. 

LA DAME BB NIORT. 

Je ne vois pas où vous voulez en venir. 

LA DEMOISELLE, qai a été chercher na portrait sons le eompttrir, le pose sur 

la table devant la dame de Miort. 

Avec quelques retouches cela ressemblerait beaucoup à 
madame, et je le lui donnerais pour cent vingt francs. 

LA DAME DE NIORT. 
Voyons... voyons... (sUe examine le portrait.) VOUS UO tTOUVCZ 

pas que c'est mieux que moi? 

LA DEMOISELLE, scandalisée. 

Madame de Pompadour... mieux que madamel... Une dé- 
vergondée 1 fil 



172 LA DAMB DE NIORT 

LA DAMB DE NIORT. 

Et c'est deRubens? 

LA DEMOISELLE. 

C'est au moins de Rubens. D'ailleurs, c'est signé. Tout ce 
4ue nous vendons est signé. Madame comprend quelle occa- 
sion unique je lui offre. On ne pourrait plus se procurer, à 
quelque prix que ce fût, son portrait par Rubens. 

LA DAME DE NIORT. 

La tôte est jolie. 

LA DEMOISELLE. 

Adorable. 

LA DAME DE NIORT. 

Mais la toilette est un peu vieillotte. 

KUe i6 IèT«. 
LA DEMOISELLE. 

Bah I Les modes changent tous les jours, et c'est très-riche 
d'ajustement. 

LA DAME DE NIORT. 

C'est bien ce qui me tenterait. 

LA DEMOISELLE. 

Madame en sera très-satisfaite. Et puis, comme c'est un 
peu plus gras qu'elle, cela lui fera beaucoup d'usage. Ma- 
dame veut-elle poser tout de suite? 

LA DAME DE NIORT. 

Volontiers. 

LA DEMOISELLE. 

Je vais prévenir l'atelier. Ce sera un très-beau portrait. 

On ira vous l'essayer ce soir. (U marchande sonffle dans an port6-Toiz 
en eaoutchoœ qui eorreapond a?eo l'atelier. — Un eonp de Bi£Qet Itd répond.) 

Envoyez prendre le portrait numéro 236 de madame de 
Maintenon. 



LA DAME DE NIORT 173 

LA DAMB DE NIORT. 

Vous aviez dit madame de Pompadour*? 

LA DEMOISELLE. 

Gela revient au môme, (dum le porte.Toiz.) Il est à retoucher 
sur place. La dame monte. Appropriez de votre mieux la 
tête à la circonstance. C'est pour la province. 

LE COMMIS AU DEUXIÈME ÂTA6B. 

? 

LA DEMOISELLE. 

le n'entends pas. 

LE COMMIS AU DEUXIÈME ÂTAGE. 
? 

LA DEMOISELLE. 

Cela va sans dire. Laissez le portrait que vous faites. 

LE COMMIS AU DEUXIÈME ÉTAGE. 

? 

LA DEMOISELLE. 

M. Paul le continuera à votre place. Qu'il ajoute des 
moustaches au grand Frédéric, cela fera l'affaire. 

LE COMMIS AU DEUXIÈME ÉTAGE. 

? 

LA DEMOISELLE. 

Parlez plus haut. Yous me soufflez dans l'oreille et Je 
n'entends pas. 

LE COMMIS AU DEUXIÈME ÉTAGE. 

? 

LA DEMOISELLE. 

Je VOUS ai déjà dit que cela ne faisait rien. Qu'on laissa 
las décorations* Le monsieur s'en fera donner de semblables, 
m. ' 10. 



174 LA DAMS DS NIORT 

Il prétend qne ce sera aDsaitdt fait, (uo eoaunû wnre k potie d« 

l'ateUer et prend le portrait.) Madame peUt monter. 

Pendent que U demoieelle a donné ees ordrea à l'atelier, la dame de Niort, 
derant la ehemmée, l'est préparée à poser. •— Bile le retoome bmaqaemeBt 
lee pemmetles reagiee, lea Mudls d'an noir exagCri, ele. 

LA DAME DE NIORT. 

Suis-je bien comme cela? 

LA DEMOISELLE. 

Un vrai Rabens!... (a part.) Après les retonches. (u demoiseii* 
onTre U porte de TateUer.) Par ici, madame, par ici. Madame pren- 
dra garde... Il y a cent vingt-cinq marches à monter. 

LA DAHE DE NIORT, épooraMée. 

Cent vingt-cinq marches!... bonté divine!... 

LA MSIIOIBELLB. 

Plus on est près du soleii, plus le jour est beau et mieux 
la peinture réussit. 

LA DAME DE NIORT. 

Allons! Vous faites de moi toui ce que vous voulez. Vous 
enverrez mon portrait, hôtel de la Perfide Albion^ ce soir, 
af ant huit heures. 

LA DEMOISELLE. 

Il sera chez vous à sept heures cinquante-neuf, au plus 
tard. 

LA DAME DE NIORT, aveo nn soupir. 

Allons! je monte... Yous dites: cent vingt-ciaa OArdiest 

UL DEMOISELLE. 

Environ... 

LA DAME DE NIORT. 

Vous M'oublierez pas de faire ratoucber k atgEator» do 
Rubens. Elle n'est pas lisible. 



LA DAMB DE NIORT il* 

LA DEMOISELLE. 

Nous la referons aa besoin. 

LA DAME DE NIORT. 

Plas grosse, dans ce cas. 

LA DEMOISELLE. 

Et plus en vue. Soyez tranquille. 

LA DAME DE NIORT. 

Vons pensez que ce portrait plaira à mon mari? 

LA DEMOISELLE. 

Pour qu'il ne lui plût pas, il faudrait que monsieur votre 
mari fût plus difficile que Louis XY. 

LA DAME DE NIORT. 

h ne l'ai pas habitué à cela. 

LA DEMOISELLE. 

J'espère que madame ne nous oubliera pas quand elle re- 
viendra à Paris. 

LA DAME DE NIORT. 

Vons pouvez y compter. Je vous enverrai mon mari, (avm 
•nthonûasme.) G'ost uu beau bmn ! 

LA DEMOISELLE. 

Notre maison fait les bruns comme personne. C'est une 
spécialité. 

LA DAME DE NIORT. 

Et puis je Yons donnerai mes enfants à photographier. 

LA DEMOISELLE. 

Cela peut devenir une rente. 

LA DAME DE NIORT. 

Comme vous y allez I... Enfin, nous verrons. An revoir, 
mademoiselle. Je vais poser. 



176 LA DÂMB DE MORT 

LA DEMOISELLE, à part. 

Poser!... mais ta ne fais quo cela depuis une demi 
heure. 

LA DAME DE NIORT, à part. 

Elle est très-bien, cette demoiselle. 

Elle sort. 
LA DEMOISELLE. 

Des pratiques comme celai on n'en aura jamais assez. 



VIF DB Là DAKE DB NIORT 



DAMES DE COMPTOIR 



PAR 



M. LOUIS FORAIN 



DAMES DE COMPTOIR 



oa Cùquélin^adeL 



Je ne veux pas parler des daines de comptoir, couvertes 
de bijoux et habituées aux madrigaux des clients; non! mais 
de celles à qui personne ne fait attention, de ces tristes 
dames de comptoir des restaurants à vingt-neuf sous et des 
crémeries 1 

Elles se tiennent au milieu de pots de fleurs étiolées, de 
carafons écornés, de troncs en métal anglais, chagrines, 
guindées. Elles sont préposées à la distribution des men- 
diants et des pruneaux. Le consommateur ne les perd pas 
de rœil quand, de leurs doigts maigres et bleus de veines 
jusqu'aux ongles , elles agencent parcimonieusement sur 
une soucoupe quelques débris de raisins secs, avec des noi- 
settes, des amandes et autres pauvres friandises éventées, 
auxquelles elles cherchent à donner un air de dessert. 

Elles sont sans cesse écœurées par les odeurs fades des 
potages et des chocolats. Là-dedans les fleurs semblent 
exhaler un parfum analogue à celui de la pomme sautée. 

L'été, la sueur imbibe et amollit leur col et leurs man- 
chettes de papier; Thiver, quelles mornes heures pour elles, 
quand leur chaufferette est éteinte et quand un seul bec de 
gaz éclaire le fond de la boutique I Elles voient passer toute 



180 DAMES DE COMPTOIR 

la joarnée par-dessus les rideaux, la danse des hauts de 
chapeaux et des pointes de parapluies. Au fracas de Fomni- 
bus qui roule ébranlant pavés et vitres, les beurres oscillent 
dans leur minuscule aquarium. 

Et les dames de comptoir de brasseries I Autour d'elles, on 
boit, ^ on beugle» on fume : les hommes embrassent les 
femmes; la fumée des pipes les suffoque et leur pique les 
yeux... leur figure ne bouge pas. Ont-elles une famille? et 
quelle famille? Gomme elles ont Tair simple ^t résigné! 
Pauvres dames! pauvres demoiselles! cruel Paris! 

Espérons que plus tard, au ciel, leurs souffrances seront 
terminées, et que des anges, bien plus beaux que les garçons 
du café Anglais, seront sans cesse occupés à leur servir des 
desserts exquis et des petits verres de liqueurs sous des 
bosquets éternellement printaniers! 

Prions pour elles! 



FIN DE DAMES DE COMPTOIB 



* - 



LE 



MAITRE D'ARMES 



MONOLOGUE 



PAR 



M. CHARLES CROb 



III. li 



PERSONNAGE 



UN MAITRE D'ARIfBS. ,••••••••.• M. COQUILIIT-CÀDIT. 



> ■■ I <■>»——— 



^ 9 



LE MAITRE D'ARMES 



Je suis maître d'armes. Dans ce moment- ci je n'ai pas 
d'élèves. Je ne sais pas ce qu'ils ont, ils ne se battent plus, 
il faut se battre. Si on ne se bat pas un peu entre soi que de- 
vient la société? Plus de civilisation, plus de progrès, plus 
rien! Se battre gentiment, sans raison sérieuse, — mais il 
faut se battre; et il faut se tuer. Pas toujours, — mais sou- 
vent. 

Autrefois quand j'étudiais, sous mon maître, le lieutenant 
Tafta-Gomez, (c'était un Espagnol, vous savez, un sombrero), 
on se battait pour un rien, — moi jamais, j'étudiais le» 
armes, ni M. Tafta-Gomez non plus, il était maître; c'étaient 
les gens de la société. Une moucbe volait; un voulait l'at- 
traper, l'autre l'en empêchait (pas exprès), un dnell Et sou- 
vent mort d'homme, — et pas mal souvent mort des deux 
hommes. Voilà ce que j'appelle savoir vivre. 

Une fois, par exemple, il y eut une affaire gra ve> oh I celle-là 
ne pouvait pas s'arranger. Il s'agissait de la sœur du colonel. 
n faut vous dire, que j'étais déjà élève répétiteur d'escrime 
dans le 297^ d'infanterie à Commercy, le pays des made- 
leines. C'est dans ce 397* que j'ai été prévôt pendant quatre 
ans et six mois. Il s'agissait donc de la sœur du colonel ; le 
lieutenant-colonel avait dit que cette dame était ceci, était 
cela ; mais des choses très-mal. On a rapporté ce propos au 
colonel qui a flanqué une paire de gifles, à..« sa sœur; 
et ils ne se sont pas battus ensemble... avec le lieutenant* 



184 LE MAITRE D^ARMES 

colonel. Et si ça avait été pour rien du tout, ils se seraient 
battus. — Une fois encore il n'y avait plas de soupe dans la 
soupière au mess; celui à qui on a passé la soupière a pro- 
voqué six collègues... enfin ce serait trop long à vous ra- 
conter. 

Mais prenez des leçons avec moi, on va se battre encore ; 
je le sens, c'est dans l'air, cette époque-là va revenir. D'a- 
bord j'ai eu d'excellents élèves, du meilleur monde. C'est 
moi qui ai donné des leçons au marquis des Platesbandes, 
(il a babité longtemps Folkestone comme étranger), je lui 
ai donné des leçons pendant trois mois. Il me payait, je 
me souviens, (c'était une monnaie de son pays) vingt-deux 
francs soixante-dix-sept centimes par cachet; — il y avait 
des jours où c'étaient soixante-dix-huit centimes à cause du 
change. Je lui ai appris les principes, il allait très-bien, très- 
bien. — Au bout du troisième mois, je lui dis : « Mainte- 
nant que vous êtes fort, monsieur le marquis, nous allons 
faire assaut I Parce que moi je veux qu'on sache bien les 
principes avant de faire assaut. Le marquis les savait à fond 
— très-bien, très-bien. Pensez s'il était content de faire 
assaut. Parce que toujours des principes, ça ennuie le 
client; seulement il le faut. Évidemment il faut énormé- 
ment ennuyer le client. Il tombe en garde — oh il était 
bien, parfaitement posé. Je tombe en garde, il m'attaque, — 
je pare, et je te lui flanque un de ces coups de boutoir sur 
l'os de la clavicule. Ça fait mal. Il se relève, il se frotte, — 
il avait l'air fâché. Il se remet en garde, je m'y remets. Il 
veut me faire une, deux. •— Je pare contre, -^ il trompe le 
contre, — je pare simple, et je lui fais, en seconde, un bleu» 
juste au milieu du sternum, — ce qui est un coup extrê- 
mement douloureux. Je le lui ai fait parce qu'il ne s'effaçait 
pas assez. Il se relève, se frotte, oh il s'est frotté longtemps! 
il me regardait avec une drôle de figure. J'étais ennuyé; je 
lui ai dit : c'est parce que vous n'étiez pas assez effacé, mon- 
sieur le marquis. — Sans se mettre en garde et sans me ré- 
pondre et il veut me donner des coups de son fleuret comme 



LE MAITRE D'ARMES 185 

d'une canne ; — il oubliait tout à fait les principes. Alors je me 
suis mis à le larder, et lui, essayait de me taper sur la tête. 
Il rompait et je le lardais toujours dans les endroits les plus 
douloureux pour mieux lui apprendre à s'effacer. En rom- 
pant il est arrivé à proximité d'une sonnette. Il a sonné. Un 
domestique est entré, s'est mis entre nous, m'a sauté dessus, 
m'a mis à la porte, — et c'est tout près des écuries et 
remises, dans la cour, qu'on m'a compté trente et une fois 
vingt-deux francs soixante-seize centimes à cause du change. 
Depuis je n'ai pas revu M. le marquis. 

Aht j'ai eu d'excellents élèves, — d'ejLcellents élèves. Je 
me rappelle — oh! celui-là, tout à fait de la plus haute so- 
ciété, — c'était un baron hollandais, d'Amsterdam, le baron 
Van-Dennefles, (il m'a donné plus de vingt fois des fro- 
mages de Hollande tout entiers — vous savez en boule, 
ces fromages en boule). — En voilà un qui a appris les 
principes vite, c'est à croire qu'il les savait de naissance. 
Aussi au bout de sept semaines, à l'assaut! « Mettez-vous 
en garde, monsieur le baron, je lui ai dit. » Il s'est mis 
en garde et fièrement. Ailez-y, attaquez-moi. Fendez-vous 
comme une crème. Je pare. Très-bien. Relevez-vous. Fen- 
dez-vous encore comme une crème! Là, je ne pare pas, et 
il me toucbe en plein cœur (le cœur en maroquin rouge 
du plastron). Il était content ! Et il se met à m'attaquer. Moi 
je ne voulais pas le toucher. Je me souvenais du marquis. — 
Oh l il a fait de beaux coups I II me faisait de ces coupés 
d'attaque d'une hardiesse ! que je lui aurais mille fois crevé 
la peau du ventre si j'avais voulu rien qu'en étendant le 
bras. Après cette séance il était tellement content, quMl m'a 
augmenté de beaucoup de ducats, parce qu'il me payait en 
monnaie hollandaise. Ces étrangers ont de drôles d'habi- 
tudes! Ça a duré huit jours, les assauts; mais ça lui coûtait 
cher. Deux plastrons par séance qu'il me démolissait; il les 
mettait en miettes. Alors un soir — à son cercle — je no 
sais pas quelle idée lui prend, c'était pour une histoire de 
femme... non, une histoire de cartes... non, non... une bis- 



186 LE MAITRE D'ARMES 

toire de fdmme... à moins que... enfin ça ne fait rien» il 
verse un verre de punch bouillant sur la tête d'un de ses 
amis intimes. lis s'envoient des témoins, oh prend heure 
pour le lendemain, on me prie de venir, (pas comme témoin, 
vous savez an baron!) — c'était pour porter les épées et les 
pistolets. J'avais trois boîtes de pistolets e\ une paire de 
sabres, quatre fleurets et quatre paires d'épées de combat* 
Les témoins causent pour s'entendre et ils arrangent l'af- 
faire... pour qu'on échange une balle au pistolet; si ça ne 
réussit pas, on continuera avec le sabre ; et si les combat- 
tants se fatiguent trop, on prendra les épées de combat, 
— vous savez ces épées qui sont dans la main, un joujou 1 
c'est un plaisir que de tenir ses épées-là. Les pistolets, ça ne 
marche pas : personne par terre. On a passé sur les sabres, 
on a pris tout de suite les épées; et voilà que mon imbécile 
de baron se met à faire pif paf sur la lame de l'autre, il fait 
des coupés, vous savez ceux qu'il me faisait à l'assaut; 
l'autre a une peur horrible, allonge le bras, et sans le vou- 
loir, lui enfonce trois pouces de fer dans le bas du dos, parce 
que le baron s'effaçait trop. 

Il a été deux mois au lit. J'allais le voir tous les jours. 
Quand il a été debout, il est parti à Amsterdam, je ne l'ai 
plus revu. Il me doit encore vingt-six ducats. Si vous voulez 
de ma créance, je vous la cède à trois francs cinquante. 

Âhl j'ai eu d'excellents élèves; mais ce n'est pas encore 
dans le grand monde qu^on a les meilleurs élèves; — • ainsi 
j'en ai eu un parfait, très-fort, beaucoup plus fort que moi- 
même, je vous l'assure. C'était le fils d'un mégissier qui 
était venu au régiment par un coup de tête : il s'était en- 
gagé. Il avait vendu cent cinquante peaux de chevreaux qui 
appartenaient à son père pour acheter une chaîne et sa 
montre à une femme de rien, et puis il avait volé cette chaîne 
et cette montre à la femme. Il courait même des bruits sur 
lui à propos d'un assassinat; mais c'était mon meilleur 
é[ève. Alors il s'est engagé, il est venu an régiment. A la salle 
d'armes, il me touchait tant qu'il voulait, tout le temps. Eh 



Lfi MAITRE D*ÂRMËS 487 

bien, ce garçon-là s'est battu avec un petit bossu qui ne 
savait rien de rien, qui n'avait jamais touché un fleuret. Mon 
élève veut lui faire une une deux serré en dehors, c'était une 
feinte, et en battant le fer revenir, les ongles en l'air, pour 
le piquer en pleine poitrine. L'autre, le bossu, qui ne savait 
pas tenir une lame, ne s'est aperçu de rien et lui a fait une 
opposition... est-ce une reprise en seconde, la main haute? 
Je ne sais pas, — ce n'est pas des coups, ça. Enfin il Va 
troué et a tué net mon meilleur élève. Ce n'est pas l'homme 
que je regrette (c'était une canaille), mais c'est la beauté de 
son jeu. 

Vraiment prenez des leçons avec moi, mes prix sont très- 
modérés. Il n'y a pas de maître d'armes à Paris comme 
moi pour les principes. ^ Prenez des leçons avec moi 
parce qu'on va se battre dans le monde, on va recommen- 
cer à se battre pour rien, c'est dans l'air, maintenant tout 
le monde se battra, — vous tous ici. C'est le progrès; que 
voulez-vous I il faut que le progrès marche. Du reste je me 
sauve, j'ai à faire marcher une affaire qui traîne, il faut que 
je sois là pour qu'on se batte. Vous avez mon adresse. Vous 
allez tous vous battre, on peut être tué, mais avant tout, les 
principes, les principes I 

Il t'en va, pois reyient. 

Âhi pardon. Les fleurets, les gants, les sandales et les 
plastrons se paient en dehors. 



rin DU HÀITRB d'askbi 



^ 



MONSIEUR CAMBREFORT 



SAYNETE 



PAR 



M. LOUIS DÉPRKT 



m. 



II 



PERSONNAGES 



L^ON. (30 ans.) 

MADINISE. (60 ans.) 

CAM BRBFOBT. (Même âga eariroiu) 



L'aetion te passe dans un élégant appartement de garçon, entre neuf et dix 

heures du matin. 



MONSIEUR GAMBREFORT 



SCÈNE I 

LÉON, mqI, éoi 



€ ... J'ai en Uxri devons appeler vieil fine. Je déclare que 
le mot m'est échappé dans un mouvement de colère (paiié.) 
contre lei baudets. (ÉeriTut.) Je relire le mot. (Pari«) C'est tout 
ce que je puis faire, malheureusement. (Éeriruit.) Les liens 
qui vont nous rapprocher, me rendent bien douce cette dé- 
marche... spontanée, (pwié.) O vérité ! qu'il fait froid dans ton 
puits. (Émivwt.) Je suis, monsieur, etc..» (p»]^) L'adresse 
maintenant, (âmrwt.) Monsieur Hadlnier. (Paiié.) Qualités : 
Ma foi, je ne lui en sais qu'une, c'est d'être l'oncle de Ma- 
thilde, et Mathilde n'a qu'un défaut, c'est d'être la nièce de 
Madinier» et de m'avoir ordonné d'écrire cette lettre d'ex- 
cuses, (n MièT* «t mti^ao,m vm porte à gradie.) Pierre, portoz cette 
lettre à son adresse, au grand galop. Vous dites?... vous 
êtes seul... personne pourouvrir... Eh bien J'ouvrirai, moi... 

Allez vite... vite... (B n i w— k p«rte t paHe m marehant.) L'hiVOr 

dernier, après des péripéties qui rempliraient un in-quarto, 
une charmante jeune fille que j'adorais de loin, daigna con- 
sentir à abréger la distance. Ce fut céleste... jusqu'ai?^ jour 
de mon admission comme prétendu. Je retrouvai mes dix- 
huit ans... avec les avantages de l'expérience et de htcom* 



192 MONSIEUR GAMBREFORT 

paraison en plas. Mais, depuis six semaines, j'expie un 
bonheur immérité : on me présente à la famille. La mère 
de Mathilde a des collatéraux dans tontes les communes 
avoisinant Paris. Aussi, je possède ma banlieue I — Hier, 
dimanche, jour de Chantilly, c'était le tour du parrain Bois- 
seau. Chez le parrain Boisseau, ne voilà-t^.U pas que je suis, 
pendant coûte la fête, assailli des provocations d'un certain 
Madinier, qui, du potage aux cigares, se fit un jeu de me 
contredire. Ma foi, n'y tenant plus, j'intercalai dans ma 
riposte l'épithète de « vieil âne. » Madinier, qui semblait 
n'attendre que cela, et môme le désirer un peu, se lève, 
(L'imitant.) so boutonue... jusqu'au plafond... « il suffît, mon- 
sieur... » puis, bientôt il s'en va. Je ne songe plus, moi, 
qu'à finir gaîment la journée auprès de Mathilde. Au mo- 
ment des adieux, elle médit, en l'air, comme cela: t A pro- 
pos, n'oubliez pas la petite lettre d'excuses. — Laquelle? — » 
Vous recevrez demain la visite de M. Cambrefort, le témoin 
ordinaire de M. Madinier. — Ahl on va donc se battre? — 
Vous êtes fou... — De vous, je crois bien! — Mettez-vous 
donc à ma place, s'il lui arrivait malheur. — Parbleu I j'ai- 
merais mieux alors être à votre place qu'à la sienne. ^ 
Charmant 1 mais n'oubliez pas la petite lettre. — Comment, 
c'est donc sérieux? — Je le veux... » Mathilde finit toutefois 
par reconnaître que ce dernier argument n'est pas pur de tout 
sophisme. « — Voyons, c'est un honune excellent, de plus 
c'est mon oncle... il a ses manies... vous ne le corrigerez 
pas. — Du moins, avais-je raison? — On a toujours raison 
contre mon oncle... pourvu qu'on n'oublie pas la petite 
lettre. » — J'ai promis, et ce matin l'anrore aux doigts de 
rose m'a tendu cette plume. Par Minerve, il y a longtemps 
que je ne m'étais levé aussi tôt pour écrire 1 qu'en diraient 
les Ernestine, les Acacia, les Frédéric... et tous ceux qu'af- 
flige ma décadence, s'ils apprenaient que j'en suis déjà à 
demander pardon, (on Mona.) Qui cela peut-il être?... Eh 
bien, on n'ouvre pas... Ahl j'oubliais, je suis seul à la 

maison... (ll dûparalt on quart de féconda at rentra presque aniaitêtaaiTl da 



MONSIEUR GAMBREFORT 193 

Cambrefort.) Un moDsieuF petit, gros et rageur qui n'a affaire 
qu*à moi. Je l'ai prié de dire son nom, il n'a pas voulu 
sortir de ça — c je suis l'ami en question ; » c'est le plénipo- 
tentiaire de Madinier. Si Mathilde n'avait pas ma parole, 
ce diplomate serait bien recul 

Butié* d« GuBbrefort. 



SCÈNE II 

LËON, GAMBREFORT. 

LÉON. 

Veuillez vous asseoir, monsieur. 

GAMBREFORT, trèt-gonrmé, après aroir failli eédar. 

Je ne dois pas m'asseoir, monsieur. 

LÂON. 

Vive la liberté !... monsieur Cambrefon. 

GAMBREFORT, lérèra. 

D*où savez-YOUS mon nom? 

LÉON, cooeiliant. 

De la môme boucbe qui m'a appris quels nobles liens de 
cœur vous unissent à mon... 

GAMBREFORT, llnterrompant du ton le pla lee. 

A votre adversaire I 

LÉON, encore aimaUe. 

A mon adversaire, soit, (a part.) Il est raide. 

GAMBREFORT. 

On ne me voit pas, il est vrai, suivre Madinier dans ces 
réunions d'élite où il est si bien fait pour briller. Je ne suis 
pas Tami des jours de soleil, monsieur l 



194 MaNSIIUR GÀHBRSFORT 

C'est pradent, (piand on est sangoin, étoffé... 

CUiBBEFOBT. 

Mais qae Madinier me cherche, il me troave. (km «m h- 
tsntionmaaTaiaa.) Nous ne sommes pas do co sièclo... monsieur. 

LEON. 

Le dix-haitième avait dn bon... monsièorl (a ptrt.) Som- 
mes-nous assez Théâtre-Français! 

CÂMBRBFOBT. 

Hier, Madinier insulté lâchement par... (sur on gectede Léon, 
u s'arrête.) Voyous, lo uom do Tos amis, les armes, l'endroit? 
Ce ne sera pas ma faute si les règles sont violées... 

LkOHf frwdaiMMi. 

Vous ne faites que cela, violer les règles, depuis votre 
entrée. 

Je ne suis pas curieux... mais, je voudrais bien voir 
cela. 

LÂOR. 

C'est très-facile. Il me semble que malgré tous vos avan- 
tages, papa Cambrefort... 

CAMBBBPOBTy Inil*. 

Pa... pa... pa... pal 

LÉON. 

Pa... pardon, je reprends, il me semble que malgré tous 
vos avantages, vous êtes incomplet. J'ai lu dans les bons 
auteurs que vous deviez être deux à venir ici sanglés pour 

la bataille... deux à me regarder de travers, deux à refuser 
de vous asseoir. 



MONSIEUR CAMBREFORT 195 

GÂMBREFOBTy légèremMt. 

Le second témoin de Madmier ne pourra se joindre à 
moi que dans deux heures. Parlons de vos témoins à vous. 

LÉON. 

Coïncidence flatteuse ! Mon alter ego^ mon Cambrefort, si 
j*ose dire, est absent de Paris; il y rentrera bientôt, mais 
je ne sais pas quand, du moins à une heure ou à deux 
jours près. 

CAMBREFORT, mApriiaiit. 

Mon pauTre monsieur, quel honn6te dénouement pré- 
tendez-vous donner à l'affaire? 

LÉON. 

Le plus honnête de tous, et contenu implicitement dans 
une petite note que j'ai fait parvenir à M. Madinier. 

CAMBREFORT, arec impatience. 

Ah! mais... ahl mais! c*est toute une éducation à refaire, 
et je n'ai pas le temps. Apprenez donc que jusqu'à la minute 
précise où Ton croisera le fer, où Ton amorcera lés pisto- 
lets... Madinier et vous, vous n'existez plus l'un pour l'autre 
que dans la personne de vos témoins. 

LÉON. 

Fort bien... mais attendu que le fer ne sera pas croisé, 
et que les pistolets^ resteront au vestiaire... je romps la 
chaîne des traditions, et j'accoste cet excellent Madinier. 

CAMBREFORT. 

Mais alors... je crains d'avoir compris... c'est une lettre 
d'excuses I Vous ne dites pas non... (Ricanement «gn.) Bravo I 
c'est le chemin de la santé. On vit longtemps, jeune homme, 
avec ce régime I Seulement, gare les froids de pied! Ventre 
de bkhel... comme disait un de nos rois, vous n'êtes pas 
romanesque. 



«96 MONSIEUR GAHBREFORT 

LÉON| «TM une fansM doaeenr* 

Monsieur Gambrefort .. vous sortez de votre mandat, Je 
crois. * 

GAMBBSFORT. 

Qu'est-ce qu*il dt2, le petit douillet? Rassurez-vous : pas 
de duel, pas de témoin, n'est-ce pas? Tu comprendsl Hein? 
pas de témoin» ergo... plus de mandat..» c'est donc l'homme 
privé qui vous parle. 

. LEON, redoublant de feioto doneanr 

Alors désormais c'est donc aussi à l'homme privé que je 
m'adresse? 

CAMBRBFORTy légèrement. 

Sans l'ombre du plus léger doute... 

LÉON, t'Aranoant ; et d'une T(nx très-hante. 

Eh bien, papa Gambrefort... vous êtes un insolent. 

GAMBREFORT, bon de loi. 

Qu'est-ce qu'il dit?... insolent!... 

LÉON.. 

In... 80... lent, papa Gambrefort. 

GAMBREFORT, luiroqaant. 

Mon col... j'étouffe. Tu vis encore! 

LÉON. 

 présent que nous nous sommes compris. .. Voyons... 
calmez-vous... et puis après... le grand air, mon brave... 
autrement, tout cela finirait mal... j'en ai peur. 

GAMBREFORT. 

Ah! vous avez peur... et vous avez raison d'avoir peur. 

LÉON. 

Regardez-vous donc... il y a de quoi... le grand air, je 
le répète 1 



MONSIEUR GAMBREFORT 191 

GAMBRBFORT, sortant en boolet de eanoa. 

Tu vas avoir de mes nouvelles... toi. 

LÉON» 

Bon voyage... gros vilain. 

SCÈNE III 

LÉON, tenl. 

Bon voyage! Ah çàl est-ce que j'ai le cauchemar, moi, ou 
bien est-ce Gharenton qui déverse son trop plein dans mon 
entresol? La plaisanterie a suffisamment duré, et je le ferai 
savoir à qui de droit. Pour ce qui est de l'imbécile qui me 
vaut cette algarade... son compte est réglé. Quand je serai 
le mari de Mathilde, et que j'aurai, comme on dit, l'oreille 
de la chambre, mon premier décret sera l'exclusion à vie 
de Madinier. Et l'on dit le droit chemin, la grande route 
du mariage. Grande route... soit... mais diantrement mal 
entretenue, (oq sonne.) Cet animal de Pierre n'est pas encore 
rentré. Qui cela peut-il être? Sans doute, Tautre témoin de 
l'oncle, de Mathilde. Décidément il tient trop de place dans 
ma vie, ce Madinier. (u ra ouTrir.) A la bonne heure, cette 
fois c'est lui-même. 

B rintrodoit. 



SCÈNE IV 

LEON, MADINIER, introdait gracieusement par Léon. 
LÉON, Ini serrant la main. 

Allons... je suis enchanté que ce soit vous. 



118 MONSIEUR GAMBREFORT 

ICAPINIER, très-froid, très-magistral. 

J'ai reçu votre lettre, elle est d'an bon style, et m'a im- 
pressionné favorablement. 

LÉON. 

Allons... tant mieux... Vous déjeunez avec moi? 

MADINIER, choqné. 

Vous ne le penseï pas. 

LÉON) trè8-gra<deaz. 

C'est de trop bonne beure pour vous? Alors qae diriez- 
vous, pour attendre, d'un biscuit et de quelques doigts de 
vieillissime porto? 

MADINIER, à part. 

Ohl comme il me tente! (nant, et se fusant noienoe.) Non«f. non. 

LÉON. 

Vous faites des cérémonies... mon oncle. 

MADINIER. 

Votre oncle... pas encore, ce me semble. 

LÉON. 

Pas ce matin sans doute... mais dans une quinzaine. 
Quelle figure sombre! 11 n'est rien arrivé de fâcheux à Ma- 
tbilde? 

MADINIER. 

Ce n'est pas pour elle... c'est pour vous qu'il faut trem-i 
bler. Vous être mis à dos un pareil adversaire! 

LÉON. 

Quel adversaire?Vouset moi, ne sommes-nous pas amis? 

MADINIER. 

Eb I qui parle de vous et de moi? moi, je suis conciliant, 
avec trois lignes d'excuse, on m'apaise, vous le savez. Mais 
Cambrefort n'est pas de ce caractère. 



MONSIEUR GÂMBREFORT m 

LÉON. 

r 

Ehl qne m'importe son caractère? nous ne devons pas 
nous rencontrer souvent. 

MADINIER, BoleDDel. 

Souvent... non... mais au moins une fois. 

LÉON, galmeat. 

Eh bien... va pour une fois! 

MADINIER. 

Insensé! Vous comptez peut-être sur le choix des armes; 
mais Gambrefort se tient mordicus pour Toffensé. 

LÉON; avec une irritation contenue. 

Monsieur Madinier, un seul mot, je vous prie. Avant de 
vous connaître, je passais aux yeux du monde, et aux 
miens propres, pour avoir quelque suite dans les idées. Or, 
depuis hier, et un peu grâce à vous» je ne sais plus du tout, 
mais du tout, où j'en suis. Récapitulons, s'il vous plaît. Hier, 
vous ouvrez le feu contre moi, je riposte un peu vivement, 
je vous fais amende honorable , votre main touche la 
mienne... ça va bien... pas mal et vous... n i ni fini. Que 
me chantez-vous encore avec vos épées, vos pistolets, vos 
adversaires? 

MADINIER. 

Mes adversaires? vous vous trompez.. . il n'y en a qu'un, 
et malheureusement c'est Gambrefort que je représente. 

LÉON. 

Et c'est VOUS, mon afnt, qui acceptez de pareilles missions? 

MADINIER. 

Est-ce qu'il a hésité, luil... Gette nuit même, m'est-il pas 
venu me réveiller en sursaut, pour me rappeler qu'une des 
conditions de la réussite est une nuit de bon sommeil, qui 
nous fait arriver sur le terrain, plein de fraîcheur et de 
calme? 



200 MONSIEUR GAMBREFORT 

LÉON. 

Et je vous séparerais I... Non, non... je lui pardonne. 

MADINIER. 

Riez toujours I... pour ce que cela durera... ' 

LÉON. 

C'est donc sérieux... Eb bien, tant pis pour Gambrefortt 
isme sens en veine... 

MADINIER. 

Gambrefort a eu cinq duels. Il est encore là... seul, il 
pourrait vous en faire le récit. 

LÉON. 

Gomment ! Seul! il a donc mangé aussi les témoins! 

MADINIER. 

Je vous préviens que vous êtes sur une pente déplorable. 

LÉON. 

Alors, glissons-y gaiement, (a. part.) Tiens... une idée... 
Non, ce n'est pas une idée. 

MADINIER. 

Qui sait si en procédant avec une extrême douceur, il ne 
serait pas encore temps?. .. 

LÉON, ayee explosion. 

Une autre lettre d'excuses... merci! Passe encore lors- 
qu'il s'agissait de vous. (▲ part.) Je tiens mon idée... (atm 
inteotioD.) bien que cela ne m'ait point paru être l'opinion de 
l'honnête Gambrefort... (luistant.) de l'honnête et loyal Gam- 
brefort. 

MADINIER, pAlissaat. 

On dirait que vous voulez me troubler. Faites attention. 
Mathilde aime Gambrefort autant que moi-même. Ne vous 
acharnez donc pa^ contre lui. 



MONSIEUR GAMBREFORT 201 

L ÉON, ironiquement. 

Contre Thonnête Cambrefort! ce serait dommage... Enfin, 
il vous plaît ainsi et il en abuse. (D'un ton enjoué.) Â propos» 
vous a-t-il dit pourquoi il me provoque? 

MADINIER. 

^ous auriez, paraît-il, poussé la folie jusqu'à le traiier 
d'insolent. 

LÉON. 

J'ai eu tort... j'aurais dû plutôt le traiter d'hypocrite! 

MÂDINIBR, anxieux. 

Je vous arrête. Cambrefort n*est pas seulement pour moi 
un ami, c'est mon unique ami; Têtre que je respecte le plus 
au monde... Tandis que... 

LEON. 

. . Tandis que moi, je ne suis rien pour vous, c'est entendu. 
Je reprends: aussi longtemps que votre unique amiCambrefort 
se borna à me manquer personnellement dans l'exercice de 
son mandat, je demeurai patient et calme. Mais lorsqu'à la 
nouvelle de mes démarches auprès de vous, il se permit de 
ricaner... alors, je n'y tins plus. Son rire insultant signifiait 
si clairement : des excuses à Madinier! Quelle alliance de 
mots cocasse I Gomment cela s'épèle-t-il? Vrai! la chose ne 
s'est pas encore vuel le bonhomme même n'y voudra point 
croire. » (k part.) Madinier se boutonne. •• (Haut.) Moi je vous 
honore et je l'ai appelé insolent. 

MADINIER. 

Un homme qui paraissait tant m'admirerl A qui se fier» 
grands dieux! 

LÉON, à part. 

Allons! formel 

■ 

IfADINIBR. 

Mais il va me payer cela. Je serai votre témoin contre lui. 



202 MONSIEUR GAMBREFORT 

LÉON, à part. 

Ah! mais non... (Hant.) et votre nièce Hathilde qui l'aime 
autant que vous-même. 

MADINIER. 

Je démasquerai le traître. 

LÉON. 

Il dira que vous vous battez par procuration. 

MADINIER. 

On ne le croira pas. 

LÉON, à part. 

Je me suis mis dedans... c'est à recommencer... (oa wone, 
Léon prêta roreiUe.) Âhl j'entonds qu'ou est allé ouvrir; Pierre 
est rentré. 

On entend le bruit d'une légère discussion près de la porte, discussion dominée 
par layoixdeCambrefortqui dittrès-haut: « C'est inutile de m'annoncar 
Totre maître m'attend; place, jeune honune. ■ 

SCÈNE V 

LÉON, MADINIER, CAHBREFORT , entnct e. «mp d. Teirt «t 

allant droit à If adinier. 

GASIBREFORT. 

Madinier, tu te rouilles... tu cribles de tricberies le noble 
jeu des armes... tu ne devrais plus être ici. 

MADINIER, lui tournant le dos. 

L'individu qui me parle semble ignorer que la journée 
n'est pas encore finie. 

GAMBREFORT. 

MadiDier, je te trouve métaphysique... tâche donc, un^ 
fois dans ta vio, d'être clair. 



■ONSTEJOR CAMBREFORT 20» 

MADINIER. 

Et TOUS, tâcbez donc, maître Cambrefort, de parler une 
fois, dans votre vie, comme les gens bien élevés! Sans dcate» 
ce n'est pas votre faute, si l'éducation première... 

GABfBREFORT. 

Madinier... restez-en là I Je t'aime, tu le sais... mais dès 
qae l'on toucbe à mes souvenirs d'enfance, je suis un baril 
de poudre. 

MADINIER, eontent de iw mou 

En effet, vous sautez facilement. 

CAMBREFORT, il m^sm rattitode pr«par«tob6 àrtBTW twa loafllet* 

Madinier... tu vas trop loin. 

MADINIER. 

Ebbien quoil vous voyez qu'on peut ôtre.unbomme 
d'une bravoure ordinaire, et vous défier. 

CAMBREFORT. 

Ta me dis : vous,,, soit... mais moi je veux te tutoyer 
une dernière fois pour te dire : Madinier, tu n'es qu'une 
vieille b... 

LÉON, riotarrompant. 

Monsieur 1 vous insultez mon oncle cbez luil 

MADINIER. 

Oui, noble cœur, tu l'as bien dit « cbez moi » car J'y 
viendrai demeurer. 

LÉON, à part. 

Ahl bien non, alors... il faut qu'ils se battent. 

GABfBREFORT, à Léon. 

Toua; monsieur, du moins, vous êtes dans votre bon 
••ns, ne pourriez-vous décider entre nous? 



204 MONSIEUR CAMBREFORT 

LEON. 

Pardon... il me semble que nous avons d'abord un compte 
personnel à régler ensemble. 

HADINIER, à part. 

Pare celle-là si tu peux. 

CAMBREFORT. 

Réglons-le sur-le-chamj). J'ai eu des torls envers vous, 

mais c'est la faute (S'adressant furieux à Madinier.) dC CCtte VlcillO 

,b... 

MADINIER. 

Léon, fais ton devoir^ et choisis le sabre. 

CAMBREFORT, à Léon. 

Monsieur, nous sommes faits pour nous entendre. 

MADINIER, proyocaat. 

Monsieur voudrait accaparer mon neveu. 

CAMBREFORT, ironique. 

Pour un homme comblé des bienfaits de l'éducation pre« 
mière, monsieur a des façons de s'exprimer I... monsieur 
aurait tort d'ailleurs de croire qu'il est seul à avoir un ne- 
veu. J'ai un neveu aussi, moi... Norbert Demaury qui sera ici 
dans une heure. 

LÉON, charmé. 

Qu'est-ce que vous dites? vous êtes l'oncle de Norbert? 

CAMBREFORT. 

Sans doute. Yous le connaissez? 

LÉON. 

C'est mon meilleur ami de collège, le témoin dont jevoui 
parlais tantôt. , 

CAMBREFORT. 

Sa dernière lettre me l'annonce pour un de ces jours-ci. 



MONSIEUR GAMBREKORT 205 

LÉON. 

Je le sais... il doit venir loger chez moi. 

CAMBREFORT, ûtttear. 

Mon nevou place bien ses amitiés. 

a 

LEON, les regardant tous deux 

Et je TOUS laisserais vous battre ! 

HADINIEH, tonmant le dos à CambreforU 

€achez-moi ce traître I je ne veux pins le voir. 

LÉON. 

Je ne vous ai rien fait... moi, donnez-moi la main. 

HADINIER. 

A vous, très-volontiers. 

LEON, à Cambrefort qai tourne aussi le dos à Hadinier. 

Et vous, monsieur Cambrefort, refuserez-vous de me 
donner la main? 

CAMBREFORT. 

. A vous, je la donne de grand cœur. 

LÉON, tenant la main de chacun d'eux. 

Le moment est solennel, messieurs. Plus j'y réfléchis, 
plus il me paraît inévitable, qu'entre gens tels que vous, le 
différend soit tranché par les armes, et que ce soir, un seul 
de vous reste vivant. J'oserais môme ajouter qu'il vaudrait 
mieux peut-être que tous deux... en même temps... je n'af* 
firme rien... je crois... ce n'est pas un conseil, ce n'est 
qu'une opinion, décidez vous-mêmes. Vous savez d'ailleurs, 
mes deux héros, qu'il ne s'agit point ici d'un Juillet pour 
Versailles, avec retour. Du pays où vous allez, personne, — 
je vous dois cet aveu, — n'est encore revenu, (a parr.) Ils 
cherchent leurs mouchoirs, c'est le moment, (a place u main de 

Cambrefort dans celle de Hadinier, et les regarde ayee complaisance se presser.) 

Âhl ma position est délicate! Vous perdre au moment 
m. 12 






206 MONSIEUR GAMBREFORT 

même où je sens que j'allais commencer à m'habituera 

YOUS. (ptrofitant de leur extrême émotion, il disparaît sar la pointe des pied» par 

u porte da fond.) Jo vais Chercher Mathilde et sa mère pour les 
faire jouir de ce tableau. Après cela, si ma fiancée n'est pas 
contente... 

nsort. 



SCÈNE VI. 

MADINIER, crojant parler ponr Léoa* 

Noble cœurl il a des appels irrésistibles! 

GAMBREFORT, même Jea. 

Si Madinier ne m'avait pas adressé de ces insultes... qui 
retentissent... 

MADINIER. 

Si Cambrefort n'avait pas levé le masque 1 ce qu'on ignore 
ne fait pas de mal, mais après ces lâches calomnies .«. 

GAMBREFORT, se retournant. 

Quelles calomnies? (DécouTrant u rose.) Ah! c'est trop fort. 

MADINIER, môma jeiu 

Qu'est-ce qui est trop fort? 

Us se retrouTent nei à neila main dans la main. 
GAMBREFORT. . 

Le conscrit s'est moqué de nous. Ce n'est pas la peine 
pour cela de nous tuer. 

MADINIER. 

Passe pour vous I mais moi je ne suis pas une girouette. 

GAMBREFORT. 

Comment I tu ne vois pas ?. ^ 



MONSIEUR GAMBREFORT 207 

MADmiER, séTërement. 

Il est certain que je ne vois rien du môme œil que vous. 

GAMBREFORT. 

Madinier, diverses choses ressortent pour moi de tout 
ceci: la première et la seconde, c'est que Ton s'est... moqué 
de nous, et que l'on a bi^n fait... la troisième et la dernière, 
c'est que nous devrions aller déjeuner.' Nous nous sommes 
comportés, nous d'ordinaire si chevaliers, comme de sim- 
ples rustres envers ce jeune homme... nous avons proba- 
blement retardé son premier repas. 

MADINIER. 

Je n'ai pas déjeuné plus que lui, ce me semble. 

CAMBREFORT. 

N'importe 1... j*ai des remords.^Nous avons été indiscrets» 
Madinier. 

MADDUER. 

Et tu crois qu'il a osé me donner une leçon 1 

GAMBREFORT. 

Ohl non... mais il a l'air de l'avoir osé. 

MADINIER. 

Tu vas lui demander raison de ses plats artifices en vue 
de nous désunir. 

GAMBREFORT. 

Non... mon brave... non... j'en ai assez. 

MADINIER. 

C'est bien, j'irai seul, jusqu'au bout. 

GAMBREFORT. 

Voyons... sois donc raisonnable, c'est parce que l'estomao 
te tire, que tu dis cda. 



208 MONSIEUR GAMBREFORT 

HÂDINIER. 

Il est vrai que je meurs de faim et de soif. 

GAMBREFORT. 

Je remmène... Mais qu'est-ce ceci? 

La porte du fond s'oaTre à deux battants, et permet de Toir une table à trois 
couverts, chargée de bouteilles de yia et de tonte la figoration d'an déjeuner 
sacculent. 

MADINIER, tantaiisé. 

Âh! mon amil c'est cruel! 

GAMBREFORT, animé par l'espoir. 

Regarde, ami... trois couverts I 

Entrée de Léo», 



SCÈNE VII 

LÉON, HÂDINIER, GAMBREFORT. 

LÉON, galment. 

C'est encore moi 1 

MADINIBR, sévère. 

. Et d'où venez-vous, s'il vous plaît? 

GAMBREFORT, inc[aiet. 

Madinier, tu sais de quoi nous sommes convenus... du 
liant, du moelleux, s'il vous plaîtl 

LÉON, leur versant à boire* 

En attendant les côtelettes, tâtez-moi ce sauterne. Vous 
demandez d'où je viens, je vais vous le dire. Mathilde et sa 
mère, impatientes de connaître les suites de notre petit... 
malentendu, ont fait arrêter leur voiture devant ma porte 
et m'ont demandé. La nouvelle de notre arrangement les a 



MONSIEUR GàMBREFORT 209 

surprises de la façon la plus agréable, (a Madinier.) Diavolo, 
vous ne passez pas pour un monsieur commode aux yeux 
de votre famille, (k part.) J'ai eu beau faire, pas moyen de 
réviter à la noce. 

MÂDINIER9 faisaot le plaisant. 

Mon neveu, ne fût-ce que pour ce cachet jaune, sons 
aurez souvent ma visite. 

LÉON. 

Je vous préviens loyalement qu'il ne m'en reste que deux 
bouteilles, (a part.) et si c'est comme ça, je te promets que 
nous les viderons aujourd'hui. 

Rideao. 



riM DB MONSlEUa GAMBREFORT 



111 fo) 



L'ALLIANCE 

MONOLOGUE 

M. JULES DE MARTHOLD 



PERSONNAGE 



|LLI.«..«..,«« Mme bROISAT. 



L'ALLIANCE 



c^f Madame Emilie Croisât, de la Comédie-Française, 



Tout petit salon-boudoir très-élégant, très-parisien, avec les mille raffinements do 
goût le plus délicat. — An fond, an miliea, eheminée avec grand feu de bois ; 
pendule et candélabres allumés. Devant la cheminée, un peu sur la droite, table 
ovale de moyenne grandeur en marqueterie; dessus, lampe allumée avec globe; 
journaux, brochures, livres, entre antres, près de la lampe et ouvert, un volume 
broché (édition élégante.) — A gauche, deuxième plan, une porte ; premier plan, 
au-dessus d'un petit bureau-secrétaire ouvert et en désordre, portrait moderne à 
l'huile, d'une vieille femme à cheveux blanes. — A droite, deuxième plan, fenêtre 
dont les grands rideaux sont fermés ; premier plan, au-dessus d'une table sur la- 
quelle sont un petit miroir, de la poudre de riz, etc., portrait aux trois crayons 
d'un homme jeune, très-distingué, légèrement chauve et portant favoris tirant sur 
le blond. — Sur un fauteuil, à gauche de la cheminée, un manchon, un chapeau 
et une grande pelisse fourrée. Un parapluie auprès. — Un coffre à bois à droit» 
de la cheminée. 



SCÈNE UNIQUE 

ELLE. 

Assise premier plan à droite^ à la table-toilette, trës-occnpée à parfaire sa coiffure. 

— Un temps. Un coup sonne à la pendule. 

Hait heures et demie. (EUe se lève sur pUce.) A neuf heures... 



214 L*ALLIANGE 

(Soupir mêlé de vfttlsfaction ironique et de reg;rec vagne») Âh I à D6Uf hOnr68..» 

je serai loin.. (pensive, se souriant.) Pâs comme distance, mais... 

(Résolue, UD peu sèche.) Oldis moralement. (Allant à la fenôtre et soule- 
vant les rideaux pour regarder dehors ; joyensemeat.) Il neigO tOUJOUrS ! 

Tout est hlanC ! (Avec un petit frisson Tolaptiieux des épaales.) HeU I 
(Elle laisse retomber le rideau et vient à la cheminée où elle s'appuie d'une main en 

«e ehttiiffdut un pied, debout.) Gomme il va faire froid ! — Et. .. comme 

il va faire bon , . . après ! (EUe s'assied à gauche de la chemiaée, dans mn petit 

fauteuil-crapaud où elle s'enfonce.) AprèS.*. ? (Un temps assez long.) AprèS... 

Quoi?... (Soupir d'inquiétude interrogative.) Ah I (Un sileifi». — EUe M 
lève, brusque, puis, après un temps, debout, va machinalement vers laiable ovale 

où elle s'arrête, œil et pensée vagues.) Ah! je YOUdraiS bien SaVOif 1 

(Ua temps. — RéQéchissant tôte baissée.) Uq amant? (Savourant le mot.) 

Un amant ! (Volx sèche, scanrdant les trois syllabes et comme avec une sorte 

de terreur.) Un-7lâ(-mant... (Elle va au secrétsdre de gauche où elle prend 

un petit billet.) Il m'attend... (Avec un sourire intérieur très-tendre.) Il 

m'attend... (Se tournant vers la pendnle tout en frappant du doigt le billet 

qu'elle tient.) « l'œil fixé SUT la pendnle et... son cœur bat. » 

(Soupir d'oppression, la main comprimant le cœur.) Oh ! paS piUS fort qUO 

le mien, toujours! (Très-caime.) Neuf heures moins vingt-cinq. 
J'ai encore vingt-cinq minutes; dans vingt-cinq minutes, je 

pars. — D'ici... (S'arrétaat épeurée, puis, timide.)... ChCZ lui... — ' 

Oh ! je ne prends pas de voiture; d'abord, d'un temps pareil, 
je n'en trouverais pas.. . Et puis, non, j^aime mieux le grand 
air, le froid, la bise, le vent, tout le tourbillon, toute la tem- 
pête. (Vivement.) E( puis, j'irai plus vite ! 

Allant à la table du milieu et 7 prenant le volume broché, redescend un pea 
tout en lisant. 

J*ai déchiffré ton cœur, ô femme! et j'ai pu lire 
Tous les désirs secrets où vaguement aspire • 

L'orgueil de ta beauté. Je sais les voluptés 
Qu'il faut à ta grande âme aux élans indomptés; 
Viens ! Nous irons ensemble au merveilleux empire 
Où la réalité, morose et laide, expire ; 
"Viens 1... 

Cessant de lire et redescendant tout à fait, le volume toujours ouves. M smIb. 



VALLIANGE 2i5 

Âh ! C*6St nn pOÔte, lui ! (Regardant nu portrait en tAte da Toliime.) 

avec son profil de camée, à la fois jeune et sévère, doux et 
pensif, sous ses longs cheveux bruns. Et sa voix, tendre- 
ment caressante et dontraccenlvous berce etvous persuada... 

(Très-ferme, avec nnanee de sourde colère dé[»t, remontée et posant le Tolnme ot 

elle l'a pris.) Et voîlà Thommo qui m'a distingaée, qui m'a 
comprise, l'homme que j'ai captivé et qui a mis son 
cœur à mes pieds quand mon mari, (Tressaîiiaot sur ce mot, 

piûs, après nn oonrt moment d'hésitation, passant outre.) lui ! S l'air dO 

trouver « tout naturel » que je sois sa femme ! — Un 
commissaire-priseur, qui a des favoris et un lorgnon I et qui 
serait aussi incapable de faire un vers... que moi ! (Ayec un 
petit rire neryenx, crispé.) Il me dit qu1I m'aime, jo sais bien, de 
temps en temps, par politesse, en m'embrassant, sur le front, 
paternellement, comme si j'étais une petite fîlie... (Avec feu.) 
S'il croit que c'est ainsi qu'on aime une femme, — ce serait 
trop facile, vraiment I — avec cette tranquillité, ce calme, 
cette... indifférence! (Avec piué.) 11 m'estime... Mais.., tout 
le monde m'estime. — Seulement, s'il veut bien reconnaître 
mes qualités, il sait parfaitement voir mes défauts, il me 
jugel Ahl je n'ai pas séduit sa raison, à lui, il faut bien en 
convenir... et me lavouer! Il est de sang-froid et son amour 
ne l'empêche pas de faire ses affaires... Et cela, après trois 
ans de mariage, à peine! — Monsieur est en voyage! Parti I 

Pour huit jours 1 (imitant le ton d'un homme mais en raillant.) Cl POUr 

huit OU dix jours, ma bonne amie... » Si ce n^est pas à...I 

— 11 est à Caen, pour expertiser une galerie de tableaux, 
un château, je ^,sais quoi, moil... Âh ! le temps ne l'a pas 
arrêté... Rien..' ne l'arrête I (imitant son mari.) « A mon retour, 
je te donnerai ce cachemire, tu sais, de l'autre jour, qui te 
plaît tant... » — Ce n'est pas de cachemires que je manque 1 

— Dieu merci, un de plus ou de moins I — Quand on aime 
véritablement, on ne se sépare pas si facilement, (prenant, a^ee 

aoe mono-, sut le bureau, ime lettre sor papier bleu grand format et tout en la par- 

fourant.) Il m'écHtl... quatre pages pour me dire qu'il a eu 
très-froid en route, mais qu'il est arrivé à bon port et qu'il 



216 L*ALLIÀNGE 

est très-satisfait « de l'affaire. » — Toujours les affaires 1 — 
«Écris-moi bien chaque jour, régulièrement, je t'en priel » — 
Régulièrement! Passionné, va!... Chiffre! — c Ma santé?... » 
comme s'il ne savait pas à quoi s'en tenir là-dessus..., quand 
il m'a quittée... la veille 1... D'ailleurs, ma santé lui est bien 
indifférente : ici, jamais il ne m'en parle... Et puisl est-ce 
que la santé fait question... quand on se porte bien! —For- 
mule de politesse, voilà tout... — Je lui ai répondu... et je 
lui répondrai... régulièrement..., autrement, c'est moi qui au- 
rais l'air d'être dans mon tort! (Après aa temps de profoode réflexioa.) 

Ah ! les parents sont bien coupables ! — Hais on gèle, ici, 

littéralement. (BoarrantU chemiaée de cinq à nx bûches, toot en regardant 

rheore à la pendule.) Neuf heures moius le quart... Ah! dépê- 
chons-nous. (EUe se relève, puis se baissant.) BOU ! j'ai miS trop de 
bois, maintenant. (Otant trois bûches avec les pincettes et arrangeant le fea 

k la diable.) Un pcu plus, il était éteint... je l'avais étouffé... 
Je ne sais pas faire le feu, moi 1 J'ai congédié Marie, ce soir... 
elle m'aurait gênée^ ici... et, sans femme de chambré, c'est 
bien incommode.., Enfin! ^ Voyons, je vais m'habiller. (oe- 

Tiuit la glace de la cheminée.) HOU l je SUiS SerréCy daUS mOU COrSOt, 
à étouffer. — Ma pelisse? (EUe U piend et,la tenant des deux mains de- 
vant eUd, redescend pensire.) Je suis sûre quc cc doit être Charmant, 
chez lui, que ce doit être !... Avec les idées qu'il a, il a dû 
se meubler un intérieur... étonnant ! Je voudrais déjà y être ; 
j'adore ça, aller chez les gens pour la première fois : on voit 
an tas de choses qu'on ne connaît pas, on fait des décou- 
vertes, c'est très-amusant. On étudie le mobilier, on dit que 
ça peint le caractère. — Oh ! mon Dieu ! s'il allait y avoir 
des portraits de... d'actrices? — Et si ça allait tout bon- 
nement être comme chez tout le monde... Oh ! non, ça ne 
se peut pas; quand on est poète à ce point-là ! •— Eu! eu!... 
'^-enendant, il a une pièce de vers... (Remontant à la table, toujours 

•Teo M pelisse qu'elle tient de la main droite, tout en feuilletant malaisément le to- 
Inme de la mais gauche puis, tout k coup, impatientée, jetant sa pelisse sur 
ses épaules.) GO maUtOaU... mO gêne! (BUe s'assied, cherche, des 
deux mains cette fois; ajant trouvé.) Celle-Cl, qol OSt tOUtO COUrtO..* 

•t qui n'a i^as de titre. 



L'ALLIANCE 217 

Lisant : 

La maison du poète est simple, presque austère; 
Rien n'y distrait l'esprit, n'y trouble le mystère 
Du .arand rêve sacré qui, seul, le satisfait... 

(QtiituDt le Urre.) Ouî, iDdis, on n'est pas obligé de prendre cela 
au pied de la lettre, (se leyant.) pas plus que son « grand 
rôve... » Comme s'il ne sortait jamais Je vous demande un 
peu ? Il va très-bien dans le monde, au contraire ; la preuve^ 

(Se désigoant elle-même.) c'eSt QUO... — Il U'CSt paS déjà SI graciCUX, 

lui, avec son rôve (Appayant.)« qui, seul, le satisfait. » — Pour- 
quoi va-t-il en soirée, alors, au bal, et aux courses... et par- 
tout? Peuh! il n'en pense pas un mot de tout ce qu'il écrit; 
c'est pour avoir quelque chose à dire... Des vers!... — On ne 
me fera jamais accroire qu'on ait de ces idées-là pour de 
\ion, sincèrement, sans aller les chercher... à quatorze heures, 
m diable I Ah I ces poètes, faut-il leur en passer, mon Dieu ! 
^ Neuf heures moins dix... Bon ! je vais être en retard... Eh ! 
bien, il attendra, voilà tout... D abord, il n'y a pas de mal à ce 
que je le fasse un peu languir, au contraire...; une femme, 
ce n'est pas comme un homme... Il n'en sera que plus heu- 
reux de me voir, il ne m'en recevra que mieux, (a u glace de 
la eheminôe.) Jo uo suis pas contento de ma coiffure... j'aurais 

voulu... (Elle prend son chapeaa qu'elle met, tout ea redesceodaot à la table 

de droite où elle l'ajaate.) muis, quaiïd OU ost Obligée de mettre un 
chapeau, on ne peut pas 1... Enfin, ça ira comme cela.— C'est 
comme ma robe; j'aurais dû en mettre une autre, plus..., 
moins... — Mon chapeau est charmant, par exemple, et me 

val... ÎPOUrVU qu'il le remarque? (A^eo an peut air d'indalgente 
pro:petioa.)Oh 1 OUi, il dolt avoir du goût... (AffirmaUre et se rengor- 
geant, mignarde, mais imperceptiUement.) Il a*. . dU gOUt. (Toat à eonp effrayée 
d'une déeouTerte.) Ah ! mOU DiOU ! maiS j'y pense... (Désappointée.) 
Ah !... comment Vais-je faire? (léte baissée, l» main gaoch^touteoa- 
Terte sons le menton et la boncbe, réflécbissaat, debout, immobile. •— Un temps.) 

Ce n'est pas possible ! Avec ce froid-là, j'aurais les mains 
rouges en arrivant chez lui... et cependant, je ne peux pas 
m. 43 



VIS L'ALLIANCE 

prendre de manchon. Non, (Faisant de U mab droite le moaTement do 
■enir sod ^raplaie.) mon parapluiO, à tenir, (Pais, de la main gaaehe, le 
teste de relever «a robe.) et ma TObO à relOVer. (Bageant.) Ââh I (Se 

•émettant ) Hum ! Yoyons donc^Yoyonsdonctilnesera p?'^ dit..! 

y\[e Ta prendre an fond un manchon dont elle ae pasM aatoor do cou le roban de 
sospenaion.) Là I... maintenant* •• (BUe prend son parapluie et redescend.) 
maintenant... (Oayrant le paraplaie, elle lo tient do la main droite et met 
la main ganche dans son manchon.) Oui, malS paS pOSSiblO, JO SefâîS 
dans un état 1 (Otant aa main gaoche de son manchon et relevant sa robe.^ 

Gomme cela... (r^ière.) comme cela, j'aurai les mains 
gelées... et rouges 1 — Ah! une idée... (Tenant 4 la ibis 

son paraplaie et sa jnpe de la main gauche, la droite dans son manchon.) 

En changeant de main, de temps en temps... (sue essaye, dépitée.) 
Eh bien 1 oui, mais c'est d'un incommode 1 (Fermant son parapioio 

sar leqael eUe s'appuie) Et puiS, nOU, mO VOyeZ-VOUS dohorS, 

faire tout ce mic-mac-là... C'est grotesque 1... sans compter 
qu'ici, ça va encore mais dans la rue, avec lô temps qu'il 

fait...! (Désolée.) Ah 1 (Elle pose son parapluie et s'asded, Impatientée, à la 
table de droite, frappant nervensement la table de la main ganche et le parquet du 

pied.) Ah ! je suis sûre qu'il y a des flaques de neige fondue... 

je vais avoir des bottines dans un état! {VœU Tagne d'ane per- 
sonne qui cherche un moyen d'en sortir.) Une VOitUre?... il U'y en aUra 

pas, les chevaux ne peuvent pas marcher, (se lerant sor piaco 

arec soupir.) AllonS 1 (Elle reprend son parapluie, le considérant.) Un pa- 
rapluie I comme c'est poétique I II va me trouver du dernier 
ridicule l... Pourtant?... — Mais il est capable de se moquer 
de moi...; avec son petit air gouailleur... (du bndda eam et do 
très>mauTabe humeur.) Oh ! sl j'avals SU 1 — Nouf heuros moius Cinq ! 

(Avec un ton et un geste indiquant qu'oUo est résolue à ne se point hAter.) 
Ah bien, c'est bon ! (Un temps. — > Bogardant ahemathremeot ses deux 
mains et aon manchon, puis sa main droite ot le pompluie, puis sa mab gow^ et 

sa jnpe.) Comment sortir de là?... Autrefois, on avait des ti- 
rettes pour relever les jupes, c'était très-commode-., (àtoo 
sonvicuon.) Ou fait les robes trop longues... et tous ees jupons... 

(indiquant lo dehors par un geste du oMé do la faoètre.) AlleZ dOUC, aVOC 

cela...I Pas moyen ! — C'est à croire qu'on le fait exprès, les 
maris, pour vous empêcher défaire un pasi (Trèi-réieUe.)Ahl 



I 

i 



L*àLL1ANCE 219 

ma foi, tant pis! je serai mouillée, je serai crottée, je serai 
tant ce qa'oo voudra, mais je n'aurai pas les mains rouges! 

(a son puapliiia^ la repouuant su la taU« «ree hamear.) Quant à tOi... 

(s'arrAtant et le coDsidéraot.) Ça a l'air bête, uû parapluie I 11 
était si facile de faire ça avec un peu plus de goût, il me 
semble. J*ai là une ombrelle indienne, chinoise, japonaise... 
£h I bien, mais, elle est charmante ; c'est léger, c'est grav- 
eleux, c'est caquet... (viTemeat, Oéeidée.) Eu route 1... — Si j'al- 
lais me perdre..., en route? Je ne suis pas très-forte sur les 
rues de Paris, moi; et le soir, ce quartier-là, surtout..., la 
rive gauche, une ville étrangère... — Jamais je n'oserai de- 
mander mon chemin... Pour qu'on sache où je vais I (a«m 
petit rire forcé.) Uu sergout do viUc. .. uno... femme. . . coupable*.. 

^Ud temps. — S'orientant en traçant devant elle et dans le vida avec la main droite, 
trois lignes droites en érentail, la première à sa gauche, la seconde au milieu, la 

troisième à sa droite.) Par là, le théâtre Gluny, OÙ je- suis allée, 
une fois... il y a longtemps, j'étais demoiselle; le Luxem- 
bourg, un jardin où il y a des tableaux, au milieu; et Saint- 
Sulpice, où Albertine s'est mariée, par là, à droite..^ C'est 
de ce côté-là qu'il demeure, près de Saint-Sulpice, un pen 
avant, un peu après, enfin autour, tourà côté. — Je vais 
prendre le pont des Arts... et puis je verrai 1 C'est loin. J'en 
ai pour plus d'une demi-heure, je ne marche pas, moil... 

^ C'est très-loin, par là. (Elle prend snr la table on gant, eelui de la 
main ' droite, et le met* Tout en se ^ntant, ayao vne aorte de petit frisson.) 

Ça me fait un drôle d'effet de m'en aller !... de m'en aller 

pour aller... là! (EUe s'arrête, prenant sa respiration an pins profond de 

son être.) Ça m'étouffo 1... Je ne sais pas ce que j'ai... et je 

tremble... (EUe tombe assise deyant le bureau de gauche et, sileneiense, eoe. 
tinue de mettre son gant.) CeS gdUtS UOUfs..., OU a UU mal !... 
(Petit soupir d'épuisement pour se donner le change sur son Téritahle sentiment.} 

Ah 1 (Soupir moral sinctoe, d'oppression profonde.) Ah t (Neuf heures sonnent. 
Elle se dresse, tout dAboat, eonmie mue par un ressort. Voix sèche, brève et comme 
machinale.) Ah!... C'eSt... l'heurO...? Ouî... (Regardant fixement le 
pendule. ^ Un temps.) NOUf hOUrOS. (Avee terreur.) Ah çà ! maiS?... 

à quelle heure vais-je donc rentrer, moi ? — mon Dieu l 



I 



220 L'ALLIANCE 

je n'y avais pas pensé du tout I (Un temps. — Poû, m réreilUnt, 
fiévreuse, brutale et surexcitée par une sorte de colère artificielle.) Eb ! C'CSl 

bon I je rentrerai, voilà tout ! (cherchant son antre gant.) OÙ ai-jô 
posé mon gant ? Je ne sais plus ce que je fais... -^ Dieu que 

j'ai chaud 1 — (irouTaot son deuxième gant où elle ayait trouvé l'antre.) 
Voyons, je perds la tête, il est devant moi. (sue le prend, ^t, re- 
descendue, Ta pour eommenoer à le mettre mais s'arrête court, «onune pétrifiée 
puis, avec un bonleTersement plein d'amertume et d'une eertaine quantité de re- 
proche contre elle-même.) M OU alIianCO I (Se la tirant à demi du doigt, 
honteuse.) Je UO pOUX paS... la garder.. (BIo U retire tout à fait. Un 
temps très.conrt.) Je Ue peUX pOUrtaUt paS... la quitter. (EUe la 
tient de U main droite, du bout des doigts et le regarde, Tagaement d'abord, pnie 
tendrement et, finalement, U porte lentement à ses lèvree et la baise loognemeot, 
silencieusement, paie, en essuyant ses larmes, très-émne et très-lentement.) 

Pauvre chère petite bague... je te demande pardon I — Tu 
contiens là une date, intacte sur ton métal et que, moi, je I... 
Oh ! je me rappelle!... (sue baisse la tète, hnmUe.) Ce que m'a 
dit ma mère, surtout, ce jour-là I — « Sois honnête, (Dans na 
sanglot.) rhonneur, c'est le bonheur.)» —Ha pauvre mèrel... 
Pourquoi t'ai.je perdue I (atcc remords.) Oh 1 mon Dieu I si elle 
me voyait.., comme elle souffrirait I — Mais... elle me voit; 

j'en suis sûre, je le sens i (s'adressent au portrait de femme.) N'OSt- 

ce pas, bonne mère, et c'est toi qui viens de me réveiller au 
bien et de me sauver 1 (euc tombe à genonx dorant le portrait.) Par- 
donne-moi, chérie I Tu vois, je suis encore ta fille I (se rele- 
vant et se retournant vers le portrait d'homme.) Et tOi, ami... Oh ! COmmO 
je vais rougir en le revoyant 1 (sue été virement ion chapeau et son 
manteau qu'elle jette n'importe où.) Ah Çà I... qUOUo ^OUO avaiS-jO 

donc ! mais c'est affreux, cela, c'est terrible... ce n'était pas 
moi, ce n'était plus. moi... qui agissais. Je perdais le sens de 
tout, entraînée, dominée^ grisée, par je ne sais quoi, tout 
d'un coup... — Mais, mon mari m'adore 1 et je l'aime ! (s'a. 

dressant au portrût a'homme.) Oui, OUi, OUi i Et tU aS raiSOU de me 

traiter en enfant!... Pas en enfant gâtée, par exemple, car 
je suis une méchante enfant, bien folle, vraiment, et bien 
coupable ! — Oh 1 finis-en vite de cette vilaine expertise et 



L'ALLIANCE 221 

reviens, reviens! II n'y a plus de danger, va, mais c'est pour 
te voir, c'est pour t'avoir, pour parler avec toi, pour cau- 
ser... tous les deux, en bons amis... — Pauvre homme, 

loyal, qui travaille (Ayant pris «a bureau la grande lettre bleue.) tOUt 

là-bas, pour moi> en pensant à moi et qui m'écris, longue* 
ment, bonnement, ce qui nous intéresse et que je mécon- 
naissais, ingrate et stupide ! — Tu me demandais des nou- 
velles de ma santé... j'étais bien malade ! (Montraot pour ainsi dire 

le portrait de sa mère à celui de son mari.) G'OSt Cllo qul m'a gUérle... 

et tu vas me retrouver tout entière. (Baisant u lettre.) Oh! oui, 
je vais t'écrire... Régulièrement, sois tranquille. |EUe ra «n 

bureau pour s'y asseoir, trouvant le petit billet, s'arrête l'ayant pris.) Âh I Ce 

monsieur ! — Ce monsieur?... je n'ai pas de reproches à lui 
faire ; il a fait son métier, voilà tout, son métier d'homme : 
ce n'est pas lui, le coupable ; il est libre, il ne me sacrifiait 
personne. — On rencontre une femme, elle consent à vous 
plaire, on accepte. — C'est la femme d'un autre ? Double 
victoire! — Et j'allais m'obliger à rougir — à jamais I — d'un 
triomphe que je lui assurais moi-même... puisque les hom- 
mes mettent leur honneur à flétrir le nôtre... Quelle leçon!-— 
Et pourquoi ? Et pour qui ? je vous le demande ! En défini- 
tive, je ne le connais pas, nous ne nous connaissons pas; 
nous nous sommes rencontrés, souvent, oui, c'est vrai, dans 
le monde, mais on ne peut pas appeler cela se connaître... 
Il n'est jamais venu ici... et il n'y viendra jamais ! — Il va 
m'attendre... en se moquant de moi, ce soir... mais..., de- 
main, il ne s'en moquera plus... s'il y pense encore. —Hum I 
il y pensera encore^ il sera vexé... Ça, par exemple I... •— Il 
n'a pas de lettre de moi, — naturellement —je suis tranquille. 
(EUe prend u petite lettre.) Et, commo il n'a pas mis mou nom 
dans la sienne^ je n'ai qu'à brûler l'enveloppe, — (sue u jette 

au feu.) voilà— et (Montrant la lettre.) Qa mo fait UU dUtOgmohe. 

(Lisant.) ec Chère, —A ce soir. L'œil fixé sur la pendule,*j'at- 
» tends. Mon cœur bat. — A ce soir... > (ironique.) Heu! deux 
lignes t Un poète, de la vile prose... I C'est calculé, parfai- 
tement; c'est un effet. — Ah ! je te garde comme un préser- 



222 L'ÀLLIANGlEE 

vatif, comme raigûillon du remords» r- Ah t mon Dieu, s'il 
allait se mettre à s'imaginer que c'est une grande passion 
qu'il a pour moi? ^ Ah I qu'il en fasse an sonnet, il les 
bit si bien... ça la^^nsolera. Je ne repr«tte qu'une chose, 
c'est de ne pouyoir lai en donner le titre: « A celle qui n'est 
pas venue... » et qui ne viendra jamais l — Neuf heures un 
quart. (ffUe tm regarda saottreM.) Toujours la ueigo 1 — Je vais 
me léshabiller, demander pardon à Dieu en priant pour ceux 

qui ont froid, me COacher (RDTtynt an baum aa partnlt d'hooma.) 
et dormir à vous, mOUSienr, (S'adfaHaataaportmt defMima.) SOUS 

ton œil, ma mire^ Et qae celle d'entre- vous qoin'a 

jamais chancdé m» jette la première pîerraw 



fnrDV'L'ÀLLUVC» 



LE 



2HÀPEAU CHINOIS 



PAR 



M. VILLIERS DE L'ISLE-ADAM 



LE CHAPEAU CHINOIS 



Q^ mon ami Caquelin-Cadety de la Comédie-Française, 



C'était jour d'audition à rAcadémie nationale de musique. 

La mise à Tétude d'un onvrage dû à certain compositeur 
allemand (dont le nom, désormais oublié, nous échappe — 
heureusement!) venait d'être décidée en haut lieu; — et 
ce maître étranger, s'il fallait ajouter créance à divers me- 
moranda publiés par la R&oue des Deux-MondeSt n'était 
rien moins que le fautewr d'une musique nouvelle 1 

Les exécutants de l'Opéra ne se trouvaient donc rassem- 
blés aujourd'hui que dans le but de tirer, comme on dit, la 
chose au clair en déchiffrant la partition du présomptueux 
novateur. La minute était grave. Le directeur apparut sur 
le théâtre, et vint remettre au chef d'orchestre la volumi- 
neuse partition en litige. Celui-ci l'ouvrit, y jeta les yeux, 
tressaillit, et déclara que l'ouvrage lui paraissait inexéci» 
table à l'Académie de musique de Paris. 

— Expliquez-vous, dit le directeur. 

— A Messieurs, reprit le chef d'orchestre, la France ne sau- 
rait prendre sur elle de tronquer, par une exécution défee- 

tueuse, la pensée d'un compositeur à quelque nation 

qu'il appartienne.,. Or, dans les parties d'orchestre spéci- 
liées par l'auteur figure... un instrument militaire aujour- 
d'hui tombé en désuétude et qui n'a plus de représentant 

iiu 13. 



226 LE CHAPEAU CHINOIS 

panni nous, cet instrument qui fit les délices de nos pères 
avait nom jadis r la chapeau Mnois! je conclus que la 
disparition radicale dii chapeau chinois en France nous 
oblige à décliner, quoique à regret, Thonneur de cette in- 
terprétation. » 

Ce discours avait plongé Tauditoire dans cet état que les 
physiologistes appellent Tétat comateux!... — Le chapeau 
chinois I! — Les plus anciens se souvenaient à peine de 
l'avoir entendu dans leur enfance. Mais il leur eût été dif- 
ficile aujourd'hui de préciser môme sa forme. — Tout à 
coup une voix articula ces paroles inespérées : c Permettez, 
je crois que j'en connais un. » Toutes les tôtes se retour- 
nèrent; le chef d'orchestre se dressa d'un bond : « Quia 
parlé? » — « Moi, les cymbales, » répondit la voix. — L'ins- 
tant d'après les cymbale» — car c'étaient ettesl— étaient 
sur la scène entomnées, adulées, et pressées de vives inter- 
rogations. — € Oui, continuaient-elles, je oonnais un vieux 
professeur de chapeau chinois passé maître en sou art, et je 
sais qu'il existeencorel > Ce ne fut qu'un crii Les cymbales 
apparurent commeuir sauveur I Le dief^d'orchestre embrassa 
son jeune séide (car: les cymbales étaient jeuves enoore!) 
Les trombones attendris rencouregeaient de leiav seurires ! 
une contre4raBse lui détaehacm coup^d'onl envieux; la caisse 
se frottait les- mains» ~« It ira Mn \ »«gronnnelait^Ue. Bref, 
en cet instant rapide, les cymbales connurent la gloire! 
Séance tenante, une députation qu'elles précédèrent sertit 
de l'Opéra, se dirigeant vers les BatignoDes, dans les pro- 
fondeurs desquelles devait s'être retiré, loin du bruit» l'aus- 
tère virtuose. On arriva. — S'enquérir du vietiiard^ gravir 
ses neuf étages, se suspendre à la patte pelée de sa sonnette, 
et attendre en souflBant sur le palier fut pour les' ambassa- 
deurs l'àl^aire d'un ctind'œfL 

Soudain tous se découvrirent^: un bomme d*aspect véné- 
rable, au visage entouré de cheveux argentés^iui tombaienl 
en longues bou^s sur ses épaules» se tenait debout sur le 
seuil et paraissait convier les visiteurs à pénétrer' dans son 



LK GHAPEAQ CHINOIS 227 

sanistaaire. ^ C'était loil L'on entra. Salut, demeure chaste 
et pure! La croisée, encadrée d» plantes grimpantes, était 
ouverte sur le ciel en ce^ mom^t empourpré des merveilles 
de Toecidentl — Les si^gfes étaient rares, 1& couchette du 
professeur remplaça, pour les délégués doTOpéra, les otto- 
manes et les poufs. Dans les angles s'éftauohaient de vieux 
chapeaux chinois; çà et là gisaient plusieurs albums dont 
les titres commandaient l'attention 1 — C'était d'abord : Un 
premier amour! mélodie pour chapeau diinois seul, puis 
Àvr religieux, prière pour orgue et chapeau chinois, suivie 
de Variations brillantes sur le choral de Luther ^ concerto 
pour trois chapeaux chinois,., puis septuor de chapeaux 
chinois (grand unisson) intitulé : Le Calme. Enfin l'œuvre 
capitale du mattt'e : Danse nocturne de jeunes filles mau- 
resques dans la campagne de Grenade, au plus fort de 
Vinquisition^ grand boléro pour chapeau chinois. 

Les cymbales, très^-émues, prirent la parole au nom de 
TÂca demie nationale de musique. — c Âhl dit avec amer- 
tume le vieux maître, on se souvient de moi maintenant... 
Je devrais... Mon pafs avant tout. Messieurs,, jlrai. ■ Le 
trombone insinua que la partie à jouer paraissait difficile. 
« Il n'importe, dit le professeur en les tranquillisant d'un 
sourire. » Et leur tendant ses mains pâles, rompues aux 
difficultés d'un instrumoat ingrat : « A dfiEmain, messieurs, 
huit heures, à l'Opéra! » 

Le lendemain, dans les couloirs, dans les galeries, dans 
le trou du souffleur inquiet, ce fut un émoi terrible : la non- 
yéme s'était répandue. Tous les musiciens, assis devant leurs 
pupitres, attendaient, l'arme au poing. La partition de la 
Busiqne nouvelle n'était plus maintenant que d'un intérêt 
secondaire. Tout à coup la porte basse donna passage à 
l'homme d'autrefois : huit heures sonnaient l A l'aspect de 
ce représentant de l'ancienne musique, tous se levèrent, lui 
rendant hommage comme une sorte de postérité. Le pa- 
triarche portaii sur son bras, couché dans un humble four- 
reau de sergô, l'instrument des temps passés! Traversant les 



228 



LE GHAPBÀU CHINOIS 



intervalles des pupitres et trouvant sans hésiter son chemiD, 
il alla s'asseoir sur sa chaise de jadis à la gauche de h 
caisse. Ayant assuré un bonnet de lustrine noire sur S4 
tête séculaire, il démaillotta le chapeau chinois. Mais aux 
premières mesures et dès le premier coup d'œil jeté sur sa 
partie, la sérénité du vieux virtuose parut s'assombrir ; une 
sueur d'angoisse perla bientôt sur son front. Il se pencha 
comme pour mieux lire, et les sourcils contractés, les yeux 
rivés au manuscrit qu'il feuilleta fiévreusement, à peine l'es- 
pirait-ii!... 

Ce que lisait le vieillard était donc bien extraordinaire 
pour qu'il se troublât de la sorte!... 

En effet!... Le maître allemand s'était complu, avae ane 
âpreté germaine, une malignité rancunière, à hérisser la 
partie du chapeau chinois de difficultés presque insurmon* 
tables! Elles s'y succédaient, pressées! ingénieuses! sou- 
daines! C'était un défi!... Qu'on juge!... Cette partie ne se 
composait exclusivement que de silences!! Or» même pour 
ceux qui ne sont pas du métier, qu'y a-t-il de plus difficile 
à exécuter que le silence^ pour un chapeau chinois?... Et 
c'était un crescendo de silences que devait jouer le vieil 
artiste ! 

Il se raidit à cette vue; un mouvement fiévreux lui 
échappa, mais rien, dans son instrument, ne trahit les 
sentiments qui l'agitaient. Pas une clochette ne remua! 
Pas un grelot! Pas un fifrelin ne bougea. On sentait quïl 
le possédait à fond. C'était bien un maître! Il joua! Sans 
broncher! Avec une maîtrise, une sûreté qui frappèrent 
d'admiration tout l'orchestre! Son exécution, pleine de 
nuances, était d'un rendu si pur, si parfait, que, chose 
étrange! il semblait par moments, qu'on V entendait! Les 
bravoi^ allaient éclater de toutes parts, quand une indi- 
gnation sacrée s'alluma dans sa vieille âme de virtuose!... 
Les yeux pleins d'éclairs, et, agitant avec un fracas ef- 
froyable son instrument vengeur qui sembla comme un 
démon suspendu sur l'orcheslre, — Messieurs, vociféra l'il- 



LE CHAPEAU CHINOIS 229 

lustre professeur, j*y renonce!... je ne peux pas jouer! c'est 
trop difficile! je n'y comprends rien! — Je proteste au nom 
de Gonconel... Il n'y a pas de mélodie là-dedans! Vàui est 
perdu!... 

Et foudroyé par sa propre colère, il tomba mort dans la 
grosse caisse qu'il creva, et emporta dans le sein du monstre, 
le secret des charmes de Tancienne musique, en murmu- 
rant ces derniers mots : « Je vous enverrai le Soir d*un 
beau Jour, mon ouverture pour 150 chapeaux chinois. 



FIN DU CHAPEAU CBIVOII 



LE 



COMMENCEMENT DE LA FIN 



COMÉDIE 



PAR 



M. CHAUVIN 



PERSONNAGES 



GOIfTRÀN DE YIEUXNEUF. 
BAPTISTE. 



L'aetion se passe 4 Paris, de nos jocn» 



LE 



COMMENCEMENT DE LA FIN 



O^ Monsieur Saint-Germain^ du théâtre du Gymnase» 



Le thé&tre représente une chambre à coucher de g«rQon (i). — Au fond, un lit (2}« 
Portes à droite et à gauche. — Au milieu de la scène, un guéridon sur lequel se 
troure une eare \ liqueurs ouverte. — Cheminée, pendule, fauteuils, chaises, toi» 
lette-eommode, etc. — Sur tous les meubles sont dispersés les verres de la cave à 
liqueurs. — Un gant sur le guéridon, une boucle de cheveux bruns à terre, une 
tasse et une théière sur U cheminée. — Tout est en désordre dans oette chambre. 



SCÈNE PREMIÈRE 

Au lever du rideau, Contran est couché tout habillé sur le Ut. — Dix heures 

sonnent. 

GONTRAN, s'éyeiUant. 

Âh! mon Dieu! quelle heure est-il donc? (u s'assied sur le ut 

et regarde la pendule.) Je HO YOiS paS la penduIO..! (U se frotte les yeux.) 

(i) Au besoin : un saloa on un cabinet de traTail. 
(S) Au besoin : un canapé 



234 LE COMMENCEMENT DE LA FIN 

Ah! j'y vois... (sanuntdaUt.) Nom d*un petit bonhomme!... 
onze heures! il est onze heures!... Me voilà gentil!... (Aiiaai 

à k chamiDée et eonfnltaBt àê BMman U pendule.) Non, J'avais mal YU... 

il n'est que diK heurasi... (srftpenefaotfnnieMiuèiHé.) Gomment je 
me suis couché tout habillé!... Ah! Contran, mon ami» 
quelle existence as-tu menée hier?... C'est égal, je n'ai que 
le temps... il faut qu'à onze heures, j'aille chercher ma fu- 
ture pour la conduire à la mairie... car aujourd'hui, à midi, 
j*épouse une petite blonde adorable... des yeux bleus comme 
l'azur... peut-être un peu boulotte... mais, que voulez-vous, 

j'aime encore mieux cela que si... (pendant ee temps, u retire 80D ha. 
hkt, ion gOet, M erarate, et se dispose à faire sa toilette.) Enfin! elle SCrâit 

complète, la dière enfant, si elle n'avait pa» sa mère, ma 
future belle-mère... — la belle-mère, ce philloxera des mé- 
nages. — (n tire dn linge d'nn tiroir de la eommode-toilette.) Et CClle-là, 

comme animal nuisible!... d'une exigence!. .. Ah! sL elle 
savait ce que j'ai fait hier au soir!... la veille de mon ma- 
riagel... car je me marie... c'est biea décidé... j.e soia plus 
pressé que celui-là qui disait : 

A cinquante ans, on est bien aise enfin 

De vivre on peu tranquille... Il faut faire une fin. 

Bier, donc, c'était le commencement de la fin de ma vie de 
garçon... et, sur le conseil de Patinais, un vieux copain... 
j'avais invité tous mes camarades et nos... connaissances.,. 
avenir l'enterrer... — pas Patinais,... ma vie de garçon. — 
Ça s'est passé chez Brébant... Vous dire ce qu'on a débité 
d'extravagances!... car, je dois Ta vouer, comme le bon- 
homme de Regnard : 

Pour convive, je suis d*ane assez bonne étoffé, 
Suivant de Démocrite et garçon philosophe. 

Il faudra changer, maintenant!... C'est dit... Contran de 
Yieuxneuf fait une fin!... ce qu'il va laisser de veuves dsms 
le monde... galant!... Je ne suis pas un vilain garçon, et 



LE COMMENCEMENT DE LA FHV 235 

ddlDOl..* (n oayre la eommode-tnilAttd m Toit dans U glaee et B'aperçoit qu'A a 

u jrae ronge.) Qae diable ai-jelà?... (n m débarboniBe.) Ça tient!... 
ça ne s'en va pas... mais c'est nn conp que j'ai recul... Eh 
bien! me voilà présestable... Gomment aî-je fait mon 
compte?... Je ne me sni» batta avec personne... Ah! mes 
sonvenirs sont on peu brouillés... je ne sais pas comment je 
suis rentré ici... et ce coup? Me voilà gentil pour aller me 
présenter devant monsieur le maire t.. . Quel prétexte don- 
ner?... Mais d'où vient que...? (n l'appnie sur le ^éndon.) Ah! j'y 

suis... oui, c'est bien ceia... Quand je suis rentré, — j'étais 
un peu... étourdi. — J'ai voulu me coucher, et après avoir, 
non sans de grandes difficultés, allumé ma bougie, j'ai re- 
gardé mon lit... (Mootnot M» m.) Le gaillard exécutait autour de 
ma chambre une valse désordonnée... alors, assis sur ce 
guéridon, j'ai attendu... j'ai attendu qu'il passe devant moî^ 
et... je me suis précipité dessus... je me serai heurté contre 
la muraille... Lefîiit est que j'étais dans un joli étatl... Que 
voulez-vous, l'enteirement était si gail... 

CHntonoaot. 

Versez, garçons, venez, 
Versez, versez tant qu'on vous dise assez t 

Et puis c^est la première fois... ou plutôt la dernière... que 
cela m'arrive... aussi fort! Que diraient mes ancêtres si... 
Ah bah! j'en sais un qui en serait charmé... mon trisaïeul 
Contran de Vieuxneuf, le capitaine des Gardes, dont j'ai le 
portrait dans mon salon... (loant.) il a le nez écarlate!... Je 
n'en suis pas là, heureusement... mais, c'est ma joue cra- 
moisie..< on dirait vraiment que j'ai reçu un soufflet... (se 

mettant de k pondre de rb snr le Tlsage.) Ma foi, COla UO SC VOit 

plus... (ÀTee indignation.) Jc mo maquiUc à préscntl... G'est bien 
fait, monsieur!... c'est le châtiment de votre indigne con- 
duite... et madame veuve du Rasoir, votre future belle- 
mère, aura raison de vous faire souffrir pendant toute votre 
existence. — Non, unr instant! ~ pendant toute son exis- 



236 LE COMMENCEMENT DE LA FIN 

tence à elle... car j'espère bien qu'elle s'en ira avant moL.. 
malgré mes torts... Et Camille, ma future!... que dira Ca- 
mille si elle s'aperçoit... Ah bahl ce n'est qu'après-demain 
le grand jour... il n'y paraîtra plus... C'est aujourd'hui le 
mariage à la mairie et après-demain... ahl dame... après- 
demain... après-demain... mariage à l'église et vous savez 
ce que cela veut dire... (u toorit.) Ce jour-là, je ne pourrais 
plus dissimuler Vincamat de ma joue... d'autant plus 
qu'elle sera noire ou bleus,,. Me voyez-vous avec un arc- 
en-ciel... là... sur la figure... (ii eontiaae sa toilette.) Lo Surlen- 
demain, ma femme et moi, nous partons en Italie, avec ar- 
rêt à Fontainebleau... comme c'est l'usage... Ma foi, quand 
on vient de se marier, on n'aime pas à passer les nuits en 
chemin de fer... (u Uiiie.) Âh 1 je ne suis pas bien éveillé!... 
j'ai dû rentrer fort tard... ai-je une minel... Je suis décidé- 
ment peu présentable... Si Camille allait me trouver laid! 
û elle allait répondre à la question de monsieur le maire, un 
^îON qui me tuerait... car je Taime... elle est un peu bou- 
iOtte et elle a les yeux d'un si beau bleui... 

C'est ce grand imbécile de Patinais qui est cause de tout 
cela!... je voulais m'en aller à deux heures du matin... ^ 
c'était raisonnable — il s'y est opposé et a proposé un bac- 
carat... 

Je suis moins joueur que le chat qui vient de naître... Eh 
bien! il m'a fait jouer jusqu'au lever de Taurore, comme di- 
sent les postes... et je ne suis rentré chez moi, qu'au jour... 
Léontine, mon ancienne, voulait absolument m'accompa- 
gner, vu mon état peu... équilibré... J'ai eu assez de carac- 
tère pour l'en empêcher... Ah! Léontine!...maisil faut bien 
que je me ménage... vous comprenez!... 

C'est cet imbécile de Patinais qui me Ta fait connaître... 
C'était à la terrasse de Saint-Germain... à la musique mili- 
taire... 

Elle écoutait si bien, bouche béante, les accords harmo- 
nieux de l'orchestre à pantalons rouges, que Patinais me 
dit : « Voilà une petite femme charmante qui a un petit air 



LE COMMENCEMENT DE LA FIN 237 

» bébête engageant, je parie qu'elle ne ferait pas faire de 
» sottises à celai qui... » 
Ma foi, me dis-je : ' 

Aimer c^est le grand point, qu'importe la maîtresse, 
Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait Tivresse. 

Et elle était si piquante!... Que vous dirai-je... Patinais avait 
raison... Seulement elle m'a coûté dix mille francs par mois... 
elle est moins bête que moil 

Ooxe hearet aonneat. 

Onze heures!... et Baptiste qui ne descend pas... 
Ahçà! est-ce que Baptiste lui aussi, aurait enterré ma 
vie de garçon I 

Il tire le eordon de la sonnette. 

Baptiste est encore un cadeau de Patinais. — Patinais a 
toujours vécu ma vie... — Ce grand imbécile-là était un 
des forts en thème au collège Henri IV, où j*ai étéé levé 
à côté de lui... Ce nigaud, qui possède aujourd'hui cent vingt 
mille livres de rente, travaillait, au lycée, comme un pauvre 
diable qui a besoin dlaipprendre ! Je vous le dis, Patinais a 
toiyours été on original!... 

Il est instruit... il peint... joue du piano comme Ritter et 
Rowalski... ne fait pas une faute d'orthographe!.. Je vous le 
dis, c'est un originall 

Aussi, comme il était amusant... je me liai avec lui... poui 
mon malheur!... Il fait trop de blagues!... c'est lui qui m'i 
mis dans Tétat où Je me trouve... 

Je ne sais pas si, sans rompre positivement avec lui, je ne 
dois pas lui défendre l'accès du nid conjugal... Je le connais, 
il serait dans le cas de me faire quelques mauvaises plai- 
santeries... et... mais où est donc ma cravate?... (u u cherche 

ior les meubles et aper^t les Terres 4 liqaears disséminés pertont.) HelU?... 

Deux... trois... cinq... sept... neuf... dix... douze!... Douze 
verres!... Comment?... Ils sont donc montés ici en sortant 
de chez Brébant?... Voilà un cigare inachevé... — je ne 



23^> V.E GOMMENGBMENT DE LA FIN 

famé qae la cigarette. — Patinais!... c'est PatiDaisl... ilaora 

goûté à tous les flacons... (AlUnt 4 U «ave 4 liqa«acg.) EUc 6St 

Yîdel... je le disais bien... qaelqne manvaise farce de ce 
Patinais... mais, à lui seul, il n'aurait jamais pu dévaliser la 
cave à liqueurs... Et Baptiste qui ne vient pasi (a sonne.) Un 

gant de femme! (11 le prend snr on meable et le flaire.) Ça Setlt 

Léontine... C'est Patinais qui aura égaré ce gant chez moi!... 
le gueux m'a pris ma maîtresse, parbleu!... je le tuerai!... 
Me voler ma maîtresse!... aumoment où jevais me marier... 
il aurait pu attendre... C'est mal!... on ne fait pas celai... 

One mèche de cheveux ! (11 ramasse la bonde de cheTenx qui est à 

terre.) Uu souvcnir pcut-étre ! . . . Mais ce n'est pasja couleur 
. do Léontine... c'est une boucle appartenant à Clarisse... la 
connaissance à Patinais... (sonriaut.) Est-ce que, par hasard» 
elle aurait voulu...? un chassé-croisé, alors!... (11 rit.) Ah! 
ah! ce serait original!... Pauvre Patinais! (s'adressant 4Umèche 
qn'u uent dans u main.) Ma petite Clarisso, je Ic regrette bien... 
mais, je me marie... nous verrons plus tard... s'il y a lien... 

{11 ouTre on tiroir de la eonmode-toilette et preod ane eraTate. — Sérieox.) 

C'est égal, en voyant ces épaves parfumées on pourrait 
croire que des femmes ont naufragé ici... Des femmes chez 
moi, un tel jour!... Si ma belle-mère me surveille —et elle 
doit me surveiller — si elle apprend... je n'oserai phfô la 
regarder en faee... 

La demie aonae. 

Onze heures et demie... et je ne suis pas plus avancé que 

cela... (U brasie son habit et sonne de nonvean.) Et BaptistO ! ... Pdth- 

nais l'aura grisé... Parbleu! voilà pourquoi, j'ai beau le son- 
ner, Une... (Apeceerant tme tasse et une thAttoe snr la ehemiaie.) Qu'CSt- 
ce que c'est que ça?... une tasse. (11 flaire loeonteMi de U théière.) 

Du thél... on a pris du thé... Voyons! voyons! je n'y sais 
plus du tout... J'aurai te mot de cette énigme... Dépêchons- 
nous... habillons-nous à la hâte... courons chez beUe-ma- 
man, ensuite à la mairie... et puis nous aviserons... 

n prend one ekeadee qa'tt a tirée de k commode et passe derrière ke li- 
deaax pow Vs mettre. 



LE COMMENCEMENT DE LA FIN 239 



SCÈNE II 
GONTRAN, BAPTISTE. 

BAPTISTE, coiffé d'un bonnet de ootoo, lei denz jvax pockéf , 

entrant par le fond. 

Monsieur a sonné? 

CONTRAN, derrière les rideau. 

Voilà vingt fois que je te sonne. 

BAPTISTE. 

Je n'ai pas entendu... Monsieur Toudra bien m'excuser. 

GONTRAN. 

Je ne t'excuse pas le moins du monde, (ii sort de derrière let 

rideau. — 11 Toit Baptbte de dos.) Qu'oSt-CO qUO C'OSt qUO CeltC te« 

nue?... En bonnet de coton! 

BAPTISTE. 

C'est que... 

GONTRAN, le roymat de &«. 

Et ces yeux!... Monsieur Baptiste, vous vous ôtes battu 
comme un chiffonnier, je vous chasse... 

BAPTISTE. 

Mais... c'est monsieur Patinais... 

CONTRAN. 

Patinais? 

BAPTISTE. 

Oui, monsieur^ c'est lui... quand je lui ai dit que ce qu'il 
voulait faire était absurdéi 

GONTRAN. 

Gomment cela? 



/^ 



t40 LE COMMENCEMENT DE LA FIN 

• BAPTISTE. 

Oui, monsieur... et comme je lui répétais que je ne pou- 
vais pas voir cela... il m'a dit : « Eh bien! je vais te fermer 
les yeux... » et voilà ce qu'il a faiti 

Il montre ses yenz pochés. 
CONTRAN. 

Mais alors, ce coup que j'ai sur la joue...? 

BAPTISTE. 

Ohl çà n'est pas lui qui... 

GONTRAN, iat. 

Cest Léontiûe, parbleul... le dépit de ce que je la quitte. 

BAPTISTE. 

Ohl non, monsieur... elle a dit qu'elle s'en fichait pas 
mail 

CONTRAN, yexé. 

C'est touchant I... Qui donc alors? 

BAPTISTE. 

. Je ne sais pas!... mais quand je suis entré dans la cham- 
bre de monsieur... j'ai trouvé monsieur, là, étendu à côté de 
son lit. 

CONTRAN, à part, montrant son lit. . 

Ahl... j'y suis... J'aurai mal pris mon élan pour le saisir 
dans son voyage autour de ma chambre. 

BAPTISTE. 

Monsieur a dit? 

CONTRAN. 

Rien. 

BAPTISTE. 

Alors, j^ai fait prendre un peu de thé à monsieur, maigre 
monsieur Patinais qui prétendait qu'il fallait vous poser des 
sangsues. 



LE COMMENCEMENT DE LA FIN 241 

GONTRAN. 

Je reconnais bien là cet animal! Mais ils sont donc venus 
ici avec moi ce matin? 

BAPTISTE. 

Monsieur lé sait bien, quand monsieur Patinais... 

GONTRAN. 

Encore !... 

BAPTISTE. 

 proposé de coucher ici... toute la bande, comme il di- 
sait.. 

GONTRAN. 

Toute la bande? 

BAPTISTE. 

Et que monsieur m'a fait leur installer des lits dans le sa- 
lon et dans la salle à manger. 

GONTRAN, qui continue m toilette. 

Comment ils sont là I 

BAPTISTE. 

Tous, oui monsieur, tous!... Il y a dans le salon : Mon- 
sieur Gaston, monsieur Emile, mademoiselle Lucie... Dans 
la salle à manger : Monsieur Charles, mademoiselle Cécile, 
monsieur... 

GONTRAN. 

Assez! assez!... Toute la bande I... Et qu'esiy-ce qu'ils 
font? 

BAPTISTE. 

Ils dorment! Faut-il les réveiller? 

GONTRAN. 

Avise-t'en !... Maïs c'est épouvantable cette situation!... Si 
ma belle-mère venait me chercher I... car je suis en retard... 
iiu 14 



242 LB G/)1I11BNGEMBNT Dl LA Fin 

BAPTISTK, d'os «r maBn. 

Ah! elle nd pourrait pas entrer I 

GONTRAN. 

C omment cela? 

BÀPTISTB. 

Monsieur Patinais s'est couché sur un tapis en travers de 
ia porte. 

CONTRAN. 

Et tu Tas laissé faire?... 

BAPTISTB. 

Je lui avais déjà fait une observation... et après sa ré- 
ponse.., (Montrant ses yeax.) je U'ai paS OSé... D'alilCUrS CO U'OSt 

que lorsque vous-même, monsieur, m'avez ordonné d'instal- 
ler les lits..* 

CONTRAN. 

Moi 1 je t'ai ordonné!... c'est impossible] 

BAPTISTE. 

Il est vrai que monsieur était un peu... 

CONTRAN. 

Eméché... en effet! 

BAPTISTE. 

Monsieur pourrait dire chauve... 

CONTRAN. 

Mais enfin, que comptent-ils faire ici?... 

BAPTISTE. 

Déjeuner chez vous... Vous-môme^ moasieuTi avez te* 
cepté cette proposition de... 

CONTRAN. 

De Patinais?... 



LE COMMENCEMENT DE LA FIN 24» 

BAPTISTE. 

Oui, monsiearl 

OONTRÂN. 

Parbleu 1... toujours Patinais!... Aussi pourquoi m'a-t*on 
mis au collège à Henri IV, je ne l'aurais pas connu et tout 
eela ne serait pas arrivé... Baptiste, prends mon sac de 

voyage, (SaptUte le prend dans on plaeard.) mOtS-y troiS ChemlseS, 

un gilet de flanelle, des mouchoirs, des crayates, tout ce 

que tu pourras y fourrer. (ll oarre ses tiroirs, en tire des objets d« 

toilette qn'u jette à Baptiste.) Empile... empile... Je mo sauve d'ici; 
je vais m'installer à ThôteL 

BAPnSTI* 

Où cela, monsieur? 

OONTRAN. 

Je ne le dirai à personne... Patinais n'atirait qu'à l'ap- 
prendre... Tu ne me verras que le jour de mon mariage à 

réglise... (Lni donnant de l'argent*) Voici dO i'argeUt... tU lOS foraS 

manger et tu les mettras à la porte. 

BÂPTISTB, montrant ses yaui. 

Si monsieur Patinais le veut bien I 

GONTRAN, qni a fini sa toilette, metUat Mn ehapean et prenant le ho 

qne Baptiste loi a préparé. 

Moi, je cours chez ma belle-mère et de là à la mairie... 
puis à rhôtel... à Vhôtel meublé... Tu diras à Patinais que 
je suis parti... à Gonstantinople comme reporter du Figaro... 

(On entend one yoitnre s'arrêter dans la rne.) Uue VOitUTO 1 
BÂPTISTB, qoi a regardé par la feaétN» 

Une grosse mère en descend. 

GONTRAN. 

Une grosse mère?... 

BAPTISTB. 

Une vraie caricature I 



244 LE COMMENCEMENT DE LA FIN 

aONTRAN, effrayé. 

C'est ma belle-mërel... Elle vient me chercher!... Il ne 
faut pas qae... (Midi Mnae.) Parbleu! midi!... Adieu Bap- 
tiste!... 

BAPTISTE. 

Monsieur fera attention à monsieur Patinais qui est couché 
en travers de la porte. 

CONTRAN. 

Dussé-je lui passer sur le corps I 

BAPTISTE. 

Monsieur y sera bien forcé. 

CONTRAN. 

Misérable Patinais! 

Il sort. — On entend la porte qni la forme, pnii on immense bàiflement 
à la cantonade, enfin ces oris : GoUtraU ! GoUtraul j'ai faim! 

BAPTISTE. 

Il était temps l... 

Ridata. 



riK DU GOIiaUlICBMIRT I» Là fh 






TABLE 



LE GAPITALISTS • a«. CHAILIS CïOS 1 

INFANTERIE ET GATALERIE EUGÉNB YERCONSm 9 

LE CLOWN H^^« lïINA DE YILLABS 25 

LE HARQUIS ERNEST MM. LOUIS DÉPRET 31 

MON AMI NAZ PAUL ARÂNE 47 

LE NEYIU BE LA MARQUISE 6E0R6BS D'HETLLI 53 

LE HARENG SAUH CB\RLE3 GROS 75 

LES LILAS BLANCSK CAMILLE ALLARJ 79 

PREMIER AMOUR PAUL BILHAUD 95 

YALENTIN. . . . , JULES GLARETIE 107 

INDÉCISION CH. DE SIVRY 129 

UN COUP DE RASOIR EUGÈNE LABICHE 135 

IBS TENTATIONS D'ANTOINE JACQUES KORMAKD 151 



246 TABLB 

LA DAKE DE NIORT QUATULLCS 159 

DAMES DE COMPTOIR LOUIS FOIAIN 177 

LE MAITRE D'ARMES CaLLELBS GROS 181 

MONSIEUR CAMBREFORT LOUIB DÉPRST 1S9 

L'ALLIANGl JULES DK HABTHOLD ... 211 

LE CHAPEAU CHINOIS YaLIBRS DE l'iSLB-ADAM 223 

LE COMMENCEMENT DK LA FIN GBAUTIN 231 



FIV DE LA TA«L1 
X- 



F. AUBilAU. — IMP. BB IthQVY, 



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